Politologue et essayiste, ancienne directrice de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès (2017-2020), Chloé Morin a été conseillère de deux Premiers ministres de gauche, Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls (2012-2016). Elle est l’auteure de plusieurs essais dont ‘‘Les Inamovibles de la République : Vous ne les verrez jamais, mais ils gouvernent’’, (Éditions de l’Aube, 2020), ‘‘Le Populisme au secours de la démocratie ?’’ (Gallimard, 2021) et ‘‘On a les politiques qu’on mérite’’ (Fayard, 2022). Dans cet entretien, elle analyse les répercussions de la censure du gouvernement Barnier.
Les récentes élections législatives et européennes montrent à quel point une grande partie de la classe politique est coupée du peuple et incapable de porter un projet à long terme qui fédère la nation tout entière. D’un côté, les élites de la Macronie, dont la seule obsession est de nous ‘‘délivrer’’ du péril de l’extrême droite, n’ont fait preuve d’aucune vision pour redresser la France. En clair, elles n’ont travaillé à rien d’autre que l’évitement de la confrontation au réel. De l’autre, les médias woko-compatibles qui pratiquent l’inversion des valeurs à la façon de Big Brother, n’ont eu de cesse, depuis des années, d’expliquer aux Français comment ils devaient penser, se déplacer et consommer, sans imaginer que ces derniers leur feraient payer, un jour, ce trop-plein de moraline inepte.
Les réseaux sociaux ont eu un impact sur les scrutins des européennes et législatives, comme les différents sondages et les statistiques affolantes ont pu le démontrer. Beaucoup moins présent sur les réseaux sociaux et très divisé, le Nouveau Front Populaire est pourtant parvenu à faire de l’outil numérique une force de frappe capable de concurrencer Jordan Bardella, devenu presque un influenceur sur les applications préférées des jeunes. Un pari gagnant.
Face au risque d’une victoire du Rassemblement national, qui aurait mis l’extrême droite au pouvoir, le salut est venu d’une mobilisation républicaine ralliant tous les démocrates. Le formidable sursaut citoyen du 7 juillet dernier a refréné les ambitions de Marine Le Pen et Jordan Bardella. Sauf que le ‘‘plafond de verre’’ se heurte à des clivages de plus en plus nombreux qui risquent d’entraver, à terme, ce ‘‘cordon sanitaire’’ destiné à maintenir l’extrême droite hors de l’arc républicain.
Les résultats du second tour des élections législatives du 7 juillet ont engendré une crise politique inédite en France. Une impasse due à l’absence d’une majorité parlementaire suffisamment large pour pouvoir gouverner de façon sereine et durable. Cependant, en dépit des risques de blocage qui menacent d’ébranler les institutions de le Vème République, il existe au moins 4 raisons de se réjouir de l’issue de ce scrutin :
Malgré une victoire en trompe-l’œil au 2ème tour des élections législatives, la campagne du Nouveau front populaire (NFP) a été minée par les outrances du mélenchonisme – véritable épouvantail apte à faire fuir laïcs, universalistes, sociaux-démocrates – et plombée par la purge menée, au sein de LFI, envers les députés dissidents ayant osé contester la stratégie clivante de Jean-Luc Mélenchon.
Journal de bord d’une campagne électorale dévorée par les divisions et les querelles intestines qui ont empêché le NFP d’obtenir la majorité absolue, malgré l’impressionnante dynamique née de l’espérance d’une gauche unie apte à constituer le socle d’une alternative républicaine au péril d’extrême droite…
Entre les peurs et les leurres, la France balance. Malgré les rodomontades de Jean-Luc Mélenchon qui, dès 20h07, le 7 juillet dernier, annonçait l’affaire bouclée en même temps – laissait-il entendre – que son attaché-case pour Matignon, rien n’est résolu. « Avoir évité le pire – l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir – ne nous préserve pas d’un autre pire : l’ingouvernabilité du pays », prévient Bernard Cazeneuve, ex-Premier ministre socialiste (entre décembre 2016 et mai 2017), tendance gauche laïque et universaliste.
Face au risque d’une victoire électorale qui offrirait la majorité parlementaire à l’extrême droite, le salut ne peut venir que d’une mobilisation républicaine ralliant tous les démocrates, car aucune formation politique ne peut résister, seule, à la poussée du Rassemblement national. Or, de nombreux clivages entravent le ‘‘cordons sanitaire’’ républicain. Pour les dépasser, il conviendrait de substituer au bon vieux ‘‘Front républicain’’, dirigé exclusivement contre l’extrême droite, un ‘‘tri sélectif républicain’’ destiné à isoler et bloquer tous ceux que les outrances et les dérives placent hors de l’arc républicain, de quelque bord politique qu’ils se revendiquent.
Ils ont pris en otage le beau cri de ralliement des républicains espagnols pendant la guerre civile de 1936 à 1939 : ‘‘No pasaran’’ (Ils ne passeront pas). C’est le titre qu’une vingtaine de rappeurs ont osé donner à une infâme vidéo censée mobiliser contre le Rassemblement national. Sous couvert d’appeler les jeunes à leur devoir de citoyen, ces brillants artistes, soucieux – disent-ils aux gogos – de « revenir à l’essence du rap », nous déversent dix minutes d’appels à la haine, au meurtre, au viol et au pogrom.
Le monde d’hier décrit par Stefan Zweig dans son exil brésilien en 1943 n’a jamais été si proche de nous. Sa déploration d’Européen, contemporain de l’engloutissement de tout ce qu’il aimait, nous poursuit alors qu’une nouvelle Europe et une nouvelle France surgissent des urnes du 9 juin, puis, dans notre pays, de celles des 30 juin te 7 juillet. La campagne de crise précédant le vote a été marquée par la disparition des principes-clés qui fondent notre civilisation : l’affrontement courtois, la rationalité contre le délire, la recherche du sens contre l’insensé et l’impensé.
La perte de ces concepts et l’absence de décence dans l’expression, marque d’une faillite morale et politique, ont ouvert la voie à une tragique concurrence des extrêmes. Elle a culminé dans un coup de théâtre – la dissolution du Parlement français – qui fait de l’hexagone le miroir vers lequel se tournent, fascinées, les démocraties du vieux continent.