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MOURAD ALLILI/SIPA

 

Violences urbaines : ceci n’est pas une (énième) émeute de banlieues !

14 août 2023 Expertises   27365  

atmane tazaghart

Ceux qui n’ont vu dans la récente vague de violences urbaines, qui a secoué la France, qu’une énième émeute de banlieues souffrent d’une myopie socio-politique aiguë. Certes, l’étincelle qui fut le point de départ de ces violences n’est pas sans rappeler de précédentes émeutes éclatées à la suite de bavures policières ayant coûté la vie à des jeunes de banlieues, comme ce fut le cas en octobre 2005, après le mort de Zyad et Bouna à Clichy-sous-Bois. Mais, à la différence des émeutes de 2005, les récentes violences urbaines ne peuvent être imputées aux seules banlieues.

Et ce non seulement parce qu’il y a eu « beaucoup de Kevin et de Mathéo dans ces émeutes », comme l’a relevé – à juste titre – le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, que l’on ne peut accuser de laxisme envers ceux qu’il qualifie de « fauteurs de troubles ». Mais aussi – et surtout – en raison d’un phénomène émergent lié à une grogne qui ne cesse de monter chez les laissés-pour-compte du macronisme. Un cumul de diverses colères qui a produit un effet de ‘‘ruissellement’’ non pas de la richesse mais la violence, faisant déborder les émeutes du traditionnel creuset insurrectionnel des banlieues. Raison pour laquelle les récentes violences urbaines ont investi les centres-villes et se sont étendues à des villes de taille moyenne réputées paisibles et qui, contrairement aux grandes métropoles, ne sont pas dotées de ces traditionnelles ‘‘ceintures de pauvreté et d’exclusion sociale’’ que sont les cités de banlieues, mais dont des catégories de plus en plus larges d’habitants ont vu leurs conditions de vie et leur pouvoir d’achat se dégrader considérablement, notamment depuis la crise du Covid.

Sans vouloir occulter les aspects liés aux banlieues ou à l’immigration (Lire la tribune de Hamid Zanaz), il y a dans ces récentes émeutes une part importante de fronde sociale qu’il conviendrait d’éviter de criminaliser (en réduisant les solutions à préconiser au seul aspect sécuritaire ou au rétablissement, certes nécessaire, de l’ordre républicain). Et ce au risque de voir la grogne enfler davantage encore et les explosions de colère se multiplier.

Autre phénomène qui distingue les récentes violences urbaines des traditionnelles émeutes de banlieues : le rôle inquiétant et prépondérant des réseaux sociaux. Il ne s’agit plus, ici, de la simple possibilité d’user de ces réseaux comme des moyens de communication permettant, sous couvert d’anonymat – donc de quasi-impunité, d’émettre des messages incitant à l’émeute ou d’appeler à des rassemblements ou des actions qu’il serait risqué de revendiquer à visage découvert. Non, les réseaux ont largement débordé leur fonction d’outil d’échange échappant (ou presque) au contrôle et à la régulation. Désormais, ils ne se contentent plus de véhiculer ou refléter (en les amplifiant) les haines et les ressentiments en tous genres. Ils sont devenus des plateformes qui génèrent de la haine en ligne.

Ainsi, ces réseaux qui étaient destinés – à l’origine – à connecter et rapprocher les gens, se sont mués en un redoutable instrument de discorde sociale. De plus en plus, les réseaux sociaux sont montrés du doigt pour leur rôle grandissant dans l’exacerbation de différents types de ‘‘violences émergentes’’ (rixes adolescentes, dérives survivalistes, violences urbaines, uber-terrorisme…), en alimentant chez les jeunes générations une fascination addictive et souvent macabre pour la violence à caractère spectaculaire.

Les récentes émeutes sont la parfaite illustration des méfaits de cette fascination pour la violence spectaculaire : le meurtre de Nahel, parce qu’il est filmé et diffusé sur les réseaux, a provoqué des émeutes dans toutes la France. Alors qu’un autre jeune des banlieues, Alhoussein Camara, tué dans les mêmes circonstances, à Angoulême, 13 jours auparavant, n’a pas suscité autant d’émotion et de colère, car la bavure policière dont il a été victime est intervenue à 4h du matin, sans que personne ne puisse la filmer !

Outre les menaces que représente cette dérive des réseaux sociaux pour le vivre-ensemble et la paix civile, les diagnostics des experts que nous avons interviewés, dans le cadre d’un dossier spécial consacré à ce phénomène (Voir notre magazine ‘‘Ecran de vielle’’, n° 35/36, juillet/août 2023), sont on ne peut plus alarmants : les plateformes numériques produisent une ‘‘trollisation des sentiments’’ génératrice de haines. Et ce faisant, elles exercent une ‘‘manipulation douce des consciences’’, en produisant un phénomène de ‘‘foule numérique’’ qui impacte les ‘‘perceptions cognitives des plus jeunes’’ et a pour effet de ‘‘désinhiber les actes de transgression’’.