Solidaris, c’est le nom des mutualités socialistes en Belgique. Une vénérable institution, née en 1869 sous la forme d’une caisse de secours coopérative et mutuelliste implantée alors en Wallonie, à Fayt-lez-Manage. Depuis, les Mutualités Socialistes ont bien grandi. Présentes partout sur le terrain tant en Wallonie qu’en Flandre et à Bruxelles, elles œuvrent « au quotidien pour humaniser le changement et réinventer un modèle de société inclusive, émancipatrice et durable. »
Depuis 1998, Solidaris organise un festival qui rassemble chaque année à Namur « un public familial où toutes les générations se retrouvent autour d’un même désir de vivre-ensemble, de justice sociale et de lutte contre les inégalités. »
Et au programme de cette édition 2023, outre Zazie, Stéphane Eicher, Louise Attaque et bien d’autres, figurait le rappeur Médine ! Médine, manifestement la nouvelle coqueluche de la gauche, puisqu’il est également l’invité des Universités d’été de LFI et des Journée d’été d’EELV (Europe Écologie – Les Verts) au Havre.
Cette invitation au Havre fait polémique dans la presse française depuis plusieurs jours, mais aussi au sein même du parti écologiste et de la gauche française : le maire du Havre, Édouard Philippe, a annoncé qu’il ne prononcerait pas le traditionnel discours d’inauguration, et certaines figures écologistes françaises ont décidé de boycotter l’événement, dont notamment les maires de Bordeaux et de Strasbourg.
En Belgique par contre, la venue de Médine ne semblait pas avoir ému grand monde jusqu’au 22 août, soit trois jours avant son concert. Et il a fallu que je dénonce publiquement sa présence pour qu’enfin, la presse belge s’empare du sujet, et encore, de manière extrêmement prudente et timorée, en se concentrant essentiellement sur la reprise de cette information par le président du Mouvement Réformateur (parti libéral, de centre-droit) Georges-Louis Bouchez. Manœuvre dont le résultat, si ce n’est l’objectif, est évidemment de polariser le débat en le transformant en un clivage gauche / droite, alors que d’autres personnalités politiques telles que François Desmet (Défi), Georges Dallemagne (Les Engagés) ont également condamné cette invitation, ainsi que La Ligue belge contre l’antisémitisme.
Or, ce que Médine incarne à merveille, ce n’est pas la gauche, mais son dévoiement actuel, islamophile, donc volontiers antilaïque. Car Médine, c’est celui qui, dans sa chanson Don’t Laik, lance cet appel : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha », pointant ce qu’il considère comme les dérives islamophobes de la laïcité française, incarnée notamment par Caroline Fourest. Cette chanson est sortie le 1er janvier 2015, soit six jours avant l’attentat contre Charlie Hebdo.
C’est aussi celui qui fut invité d’honneur de la Foire Musulmane de Bruxelles en 2012 et 2013, un événement organisé par la Ligue des Musulmans de Belgique (LMB) considérée par la Sûreté de l’État en 2020 comme l’antenne des Frères musulmans en Belgique.
Cette proximité avec un islam très frériste s’est également exprimée en France, puisque Médine a revendiqué en 2018 jouer un rôle d’ambassadeur pour Havre de Savoir, une association normande qui, sous couvert de « faire connaître l’islam et ses valeurs d’ouverture et de tolérance, son éthique et sa morale », a par exemple défendu la présomption d’innocence de Mohammed Merah, le terroriste de Toulouse et de Montauban. Cette association a également invité pour des conférences diverses personnalités proches des Frères musulmans, comme l’imam Iquioussen, depuis expulsé de France, ou Tariq Ramadan.
Médine, c’est aussi celui qui assistait à la conférence du suprémaciste noir Kémi Seba dans le théâtre de Dieudonné, et qui se distinguait par une quenelle en 2014, en soutien au même Dieudonné. C’est aussi celui qui qualifiait recemment l’essayiste Rachel Khan, juive et petite-fille de déporté, de « resKHANpée », avant de prétendre, suite à l’indignation suscitée par ce jeu de mots de très mauvais goût, qu’il ne faisait « aucune allusion à une quelconque origine ou histoire familiale ».
Celui que Tristane Banon qualifiait récemment dans Franc-Tireur de « Tariq Ramadan du Rap » se dit « musulman laïc », se considère comme un « démineur » et justifie ses outrances par sa « liberté intellectuelle», « un esprit outrancier, satirique au nom de la liberté d’expression pour pouvoir blasphémer une valeur lorsqu’elle est dévoyée ».
Mais comme l’analysait déjà Alexis Deck, conseiller municipal EELV de la ville du Havre, dans une pétition(1) de 2018 contre la venue de Médine au Bataclan, « Le rappeur Médine, dans des textes violents et provocateurs, joue en permanence sur les mots et les images, maniant l’ambiguïté des termes avec habilité, « djihad », crucifixion des « laïcards », « fatwa »…. Les clips et des images sont à l’avenant, sabres, symboles djihadistes, gestes d’égorgement, « gangs » menaçants. Les thématiques, guerre d’Algérie, « Palestine », anti-laïcité, sont clairement porteuses d’un communautarisme belliqueux qui n’est pas sans impact sur la jeunesse. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que sous couvert d’outrance et de satire, Médine reprend et magnifie les codes de l’islam politique, dont il est manifestement proche. Mais curieusement, ce n’est pas ce que Solidaris retient du rappeur, dont elle ose faire l’éloge en ces termes : « Un timbre rocailleux pour mettre en relief la finesse de ses textes, une musicalité débordante qui ferait pâlir les plus élitistes : c’est la signature artistique du rappeur havrais Médine depuis maintenant huit albums. Naviguant aisément entre punchlines incisives, storytelling et messages intimes, le rappeur havrais n’a jamais hésité à utiliser sa musique pour se livrer et dévoiler ses failles. En filigrane de tout ce qu’il a proposé depuis plus de 15 ans de carrière, Médine conte des histoires de luttes éternelles qui se jouent dans le cœur de tout être humain : entre l’instinct et la raison, les principes et les pulsions, la logique et l’émotion. Ses textes se veulent originaux et percutants pour ne laisser aucun auditeur indifférent. Et ses combats qui valent la peine d’être écoutés et… soutenus ! »
Un message clair : il faut soutenir les combats de Médine… sans qu’on sache cependant quels sont ces nobles combats qu’il s’agirait de soutenir au nom de la solidarité et de la justice sociale. Ce ne sont en tout cas pas ceux de la gauche historique, tant belge que française. Celle qui était encore laïque et universaliste.
Ce n’est pas la première fois que Médine fait partie des invités « de choix » d’un parti de gauche en Belgique. En 2015 et en 2017, il figurait ainsi en tête d’affiche de « Manifesta », la fête de la solidarité organisée chaque année par le parti d’extrême-gauche PTB. Et en 2022, il se produisait à Verviers dans le cadre du festival Libertad.
Ce 23 août 2023, en revanche, Solidaris a décidé, en accord avec le bourgmestre de la Ville de Namur, Maxime Prévot, de déprogrammer Médine. Mais pas la moindre prise de conscience quant au bienfondé des critiques exprimées : au contraire, la décision est prise avec « avec une certaine consternation, mais dans un souci d’apaisement », afin d’éviter que d’éventuels débordements viennent ternir ce festival.
Une autre manière de dire que le problème n’est pas Médine, mais ceux qui s’opposent à sa venue !