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SOS Hôpital au bord de la crise de nerfs !

21 août 2023 Investigations   15527  

L’épisode caniculaire qui traverse la France accentue les tensions dans les établissements hospitaliers. Mais la vague de chaleur n’est qu’un facteur aggravant d’une crise qui n’a cessé de s’envenimer, notamment depuis la pandémie du Covid-19, et qui met l’hôpital au bord de l’agonie : en Ile-de-France, 16 % des lits des 38 hôpitaux de l’AP-HP sont fermés par manque de personnel, c’est-à-dire deux fois plus qu’avant le Covid ! L’engorgement des CHU est symptomatique de la crise globale du système de santé : à cause de la désertification médicale, faute de médecins traitants ou de spécialistes, beaucoup de Français se rabattent sur les urgences, qui saturent. Des généralistes aux urgentistes, en passant par les infirmières des EHPAD et même jusqu’aux cadres de santé, tout le monde est au bord de la crise de nerfs.

Par Cédric Gouverneur

Créées dans les années soixante pour secourir les accidentés de la route, les urgences se sont transformées en réceptacle de toutes les carences du système de santé français : « On a des patients fous et alcoolisés qui sont refusés par les urgences psychiatriques », soupire Gwendal*, ambulancier au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes. « Alors on les emmène aux urgences où ils restent jusqu’à leur dégrisement. Même s’il n’y a plus de place, les urgences sont tenues d’accepter tout le monde ». Assistante sociale dans un CHU de l’Ouest de la France, Anne* témoigne que « les médecins en ont marre, ils sont là pour soigner, pas pour gérer des problèmes sociaux et administratifs. Avec des moyens constants mais une demande qui augmente, logiquement ça sature ». Débordés, les urgentistes passent des heures au téléphone à la recherche de lits au sein d’autres établissements (Lire l’interview d’Éric Guéret, réalisateur du documentaire Premières Urgences). « Les contextes interne – sous-effectif – et externe – vieillissement de la population et précarisation – s’avèrent de plus en plus dégradés, ce qui impacte l’hôpital, détaille Anne. Àcause du sous-effectif, les infirmières se voient rappelées pendant leurs congés ! De plus en plus de soignants sont en burn out. Les risques psycho-sociaux sont palpables ». Le surcroît de tâches administratives a aussi rendu les journées plus pénibles, tandis que les relations de travail sont plus tendues : « On doit notifier le moindre acte sur l’ordi, détaille Gwendal. L’usage de gants, de bandes etc… Cela prend du temps et ça n’a aucun intérêt, estime l’ambulancier, sauf pour se couvrir juridiquement au cas où un patient ferait un procès pour négligence. En pratique, c’est devenu un moyen de se venger entre collègues, sur le mode ‘oh regardez, il n’a pas fait ça’ ! » Le malaise ambiant touche aussi le management : Sébastien Rétif, vice-président de la catégorie ‘cadres’ du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), explique qu’« il n’y a rien de plus compliqué que le management d’un environnement contraint, amené à fonctionner 24/7 avec un personnel toujours plus réduit. Le cadre est un peu le pompier de l’unité ». La crise du Covid avait « au moins permis aux hôpitaux de faire sauter les verrous entre les services, de travailler main dans la main, de façon plus fluide ». La leçon, estime-t-il, n’a pas été tirée : « Les rigidités sont de retour, avec un cloisonnement en silos », déplore le cadre, lui-même ancien infirmier.

Embolie du parcours de soins

Anne est assistante sociale à l’hôpital. Son rôle est de « conseiller les patients et leurs familles afin de faciliter leur projet de sortie », explique-t-elle. « L’hospitalisation coûte cher, on ne peut donc pas garder les gens plus longtemps que nécessaire. Ce qui implique une prise en charge à l’extérieur de l’hôpital, un passage de relais à la filière médico-sociale et à la médecine de ville. Nous devons effectuer davantage de démarches pour dénicher des solutions adaptées à la prescription du médecin et aux besoins du patient. Mais il n’a plus assez d’aides-soignantes à domicile ». Autre exemple : « La MDPH (maison départementale pour les personnes handicapées, nldr) accuse un retard de 12 à 14 mois dans le traitement des demandes ! Tout ça provoque une embolie du parcours de soins ».

L’engorgement des urgences s’explique en partie par l’arrivée de patients qui auraient dû consulter un généraliste : « Des gens sans mutuelle viennent aux urgences, soupire Anne. Certains ont des revenus juste au-dessus du seuil et n’ont pas accès à la complémentaire santé solidaire », ex-couverture maladie universelle (CMU). D’autres ne trouvent pas de médecins traitants, ou de rendez-vous avec un spécialiste. Le docteur Jean-Christophe Naugrette, président du syndicat de médecins généralistes MG France, nous confie que sa profession « ne peut pas faire plus. Un quart des patients reçus en cabinet n’est déjà ‘pas programmé’ », c’est-à-dire des patients qui se réveillent malades et sollicitent un rendez-vous le jour même. Le système de santé lui évoque « un château de cartes qui s’effondre. Nous avions donné l’alerte il y a déjà un quart de siècle ! Beaucoup de médecins ont été formés dans les années 70, explique-t-il : ils arrivent désormais à la retraite, c’est logique ». Il souligne aussi que, « sur 90 000 généralistes, seulement 51 000 sont ‘traitants’, car ce n’est plus assez attractif. Les revenus dans la médecine générale sont en moyenne inférieurs de 30 à 40 % à ceux de la médecine spécialisée ». Un carabin choisira donc souvent de prolonger ses études afin de se spécialiser, puis s’établira sur un territoire chatoyant (la région Nouvelle-Aquitaine, PACA…), délaissant les zones rurales et mal desservies : « Le nombre de généralistes baisse, mais celui des spécialistes augmente », confirme la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), dans une étude sur la densité médicale actualisée en septembre dernier. Dix millions de Français vivent dans une zone où l’accès aux soins est inférieur à la moyenne, rappelle sur son site l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Les inégalités spatiales et sociales ont des conséquences dramatiques : les plus aisés peuvent se rendre dans les cliniques privées. Mais des patients – souvent défavorisés – sont reçus aux urgences avec des symptômes gravissimes, des cancers diagnostiqués trop tard, faute d’avoir pu consulter un spécialiste. La DREES déplore que « de longs délais de rendez-vous peuvent conduire à renoncer aux soins ».

Une seule directrice pour deux sites

Le docteur Naugrette pointe également les horaires des généralistes : « De 8 à 20 heures, cinq jours par semaine, plus le samedi matin. Soit 55 heures en moyenne, plus les périodes de garde. Faible rémunération plus amplitude horaire concoctent un cocktail anti-attractivité ». D’autant, ajoute-t-il, que « la population est plus âgée, avec davantage de maladies chroniques, des pathologies multiples : le généraliste accompagne le grand vieillissement, ce qui implique des consultations plus complexes et plus longues, mais payées au même tarif (25 euros) que le soin d’une simple angine ». Ce vieillissement démographique impacte les EHPAD publics, qui pâtissent des mêmes maux que les urgences, la médecine de ville et les soins à domicile : surcharge, sous-effectif et dévalorisation. Estelle* est infirmière dans un EHPAD public en Bretagne : « Il y a une directrice et une cadre pour deux Ehpad distants de dizaines de kilomètres ! Cherchez l’erreur… Nous sommes deux infirmières pour une soixantaine de résidents, plus deux aides-soignantes le matin et une l’après-midi. La seule cadre, présente le plus souvent sur l’autre établissement, nous délègue ses tâches ». Pendant le Covid, le management était en télétravail et les infirmières étaient sur le pont, au front : « Confiner les résidents, interdire les visites. J’ai eu l’impression d’être un soldat qui devait obéir aux ordres. On n’avait jamais de réponse à nos questions ». 

Malgré le ‘‘Ségur de la Santé’’ post-Covid, la baisse des moyens se poursuit dans son EHPAD : « Depuis 2015, l’équivalent de 70 % de temps infirmier nous a été supprimé. Le temps est compté, ce qui importe à la direction est que les résidents mangent et soient propres. On ne fait plus assez de ‘‘collecte évaluative’’ », un questionnement individuel de chaque résident afin d’évaluer ses besoins. « On n’a plus le temps, donc on évalue une dizaine de résidents par an, sur soixante ». Et de conclure : « Il n’y a pas assez de relationnel. Des personnels deviennent maltraitants sans s’en rendre compte. Quand tu signales à la direction une anomalie, rien ne bouge. C’est seulement quand une famille se plaint qu’il y a une réaction ».    

Comment désengorger – et sauver ! – le système de soins ? Face à la ligne rouge que constituerait, pour les médecins libéraux, la remise en cause de leur liberté du lieu d’installation, MG France appelle à « restaurer l’attractivité du métier : une revalorisation des honoraires et des rémunérations forfaitaires » : plus longue, la consultation de patients âgés souffrant de pathologies multiples et chroniques serait rémunérée davantage que le tout-venant. La prime de 183 euros mensuelle octroyée par le ‘‘Ségur de la Santé’’ n’a pas suffi à ralentir l’hémorragie de départs des soignants de l’hôpital public, débauchés par les cliniques privées, qui rémunèrent largement plus ! Les 2 200 infirmières recrutées en 2022 par l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP, 38 hôpitaux publics en Île-de-France) ne compensent pas les 2 800 départs. Le directeur de l’AP-HP, Nicolas Revel a annoncé dans Le Parisien le 13 décembre son intention de recruter 2 700 infirmières chaque année, avec des incitations pour freiner le turn-over (aides aux transports, logements réservés, tickets-restaurant…). Pas sûr que cela suffise, car aucune augmentation de salaire n’est prévue… Signe du mal-être, les soignants ne se montrent guère intéressés par une reconversion dans le management hospitalier : « Les IFCS (instituts de formation des cadres de santé) ne font pas le plein », nous précise Sébastien Rétif, du SMPS. La hausse de salaire du Ségur « n’a été que le rattrapage des augmentations qui n’avaient pas été versées depuis des années », estime le syndicaliste. Dans un tel contexte, « quitter sa profession – soignant, rééducateur, médico-technique… – pour devenir manager n’est pas attractif ».  

La logique comptable plaide pourtant pour une augmentation des salaires du public : « Mieux rémunérer les aides-soignantes à domicile coûterait à l’État bien moins cher que de prolonger l’hospitalisation des patients, faute de soins à domicile ! », s’agace Anne. « Pourtant, conclut l’assistante sociale, la France a les compétences, les volontés et des équipes pluridisciplinaires. L’hôpital public, rappelle-t-elle, s’articule bien avec les autres acteurs de la santé. On sait bien faire. Avec des moyens supplémentaires, on ferait mieux. On se sent démunis ». Estelle souligne que, dans son double-EHPAD à une seule directrice, « deux infirmières vont partir et la direction ne trouve personne pour les remplacer. Personne. »

* Les prénoms des témoins ont été modifiés pour préserver leur anonymat.