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L’agriculture durable au Moyen Orient : Urgence environnementale et enjeu de sécurité alimentaire

1 mars 2021 Expertises   46356  

Fabienne Durand

La crise du Covid a mis en exergue la nécessité de relocaliser ce qui est essentiel, comme l’alimentation et la production de médicaments. Au Moyen Orient, force est de constater que l’approvisionnement en produits alimentaires de base dépend beaucoup, et de plus en plus, des marchés internationaux, les terres arables et les ressources en eau devenant de plus en plus rares.

Les politiques menées soutiennent la production et la consommation de céréales, ce qui a pour effet que ces produits exigeants en eau, notamment le blé, qui occupe une grande place dans la ration calorique, mobilisent 65 % des superficies cultivées. D’après les projections, la consommation de produits alimentaires devrait croître dans la région, l’alimentation devrait évoluer graduellement en faveur des produits animaux. Et qui dit animaux, dit élevage et donc des superficies agricoles dédiées à la production de denrées pour nourrir les animaux d’élevage, voraces en eau.

L’utilisation de l’eau devrait se maintenir à des niveaux non durables et la dépendance à l’égard des marchés mondiaux devrait s’accroître, si rien ne change. Le tournant durable s’impose plus que jamais dans le monde et plus encore dans cette partie du monde très fragile sur le plan environnementale et instable sur le plan géopolitique.

Comptant parmi les plus gros importateurs mondiaux de produits alimentaires, le Moyen Orient est face à de multiples incertitudes sur le plan de l’offre comme de la demande. L’incertitude concernant l’offre est notamment liée aux limites et à la durabilité des espaces qui se prêtent à la production. S’agissant de la demande, les incertitudes sont le résultat des répercussions des conflits sur le plan géopolitique, de l’instabilité des marchés mondiaux des hydrocarbures, qui constituent la première des sources de richesse économique de la région, qui ne sont pas pérennes.

Cela pose des problèmes alimentaires et nutritionnels croissants. L’une des préoccupations majeures tient au fait que l’approvisionnement de la région en produits alimentaires clés dépend beaucoup, et de plus en plus, des marchés internationaux. Cette situation a conduit à l’adoption de mesures qui semblent inappropriées au vu des ressources dont dispose la région. Par exemple, cette dernière compte parmi les plus pauvres en eau et en terres arables de la planète, mais les prix de l’eau y sont parmi les plus bas du monde et la région subventionne fortement la consommation d’eau à hauteur d’environ 2% de son PIB. Régénérer les sols est un vrai problème, car l’assolement de la région est difficile à concilier avec la rareté de l’eau. Ainsi, les céréales gourmandes en eau représentent encore 60 % des superficies récoltées, même si la plupart des pays de la région ont un avantage comparatif dans le domaine de l’exportation des fruits et des légumes.

L’une des principales raisons de l’apparente incohérence entre la politique et la pénurie d’eau est une vision de la sécurité alimentaire qui vise à réduire la dépendance à l’égard des importations, notamment de céréales. Pourtant, beaucoup de pays subventionnent la consommation d’aliments de base et cette politique, conjuguée à la hausse des revenus, favorise une consommation excessive de féculents et de sucres. Ce qui se traduit par des problèmes nutritionnels et sanitaires tels que l’obésité et le diabète, selon des derniers rapports de la FAO.

La sécurité alimentaire est affectée par les conflits et par les choix agricoles dans cette région fragile. Elle affecte 30 millions de personnes, notamment au Yémen, en Syrie, en Irak et au Soudan. Cette sécurité alimentaire est plus que jamais un challenge. Le soutien des pouvoirs public n’est pas suffisant. Il faut mettre en place des stratégies et des agricultures plus vertueuses comme au temps des physiocrates.

Le Moyen Orient est un environnement difficile pour l’agriculture. Les ressources en eau et en sol sont rares et les terres, irriguées ou non, souffrent en permanence de la dégradation causée par l’érosion éolienne et hydrique, ainsi que par les pratiques agricoles non durables. Dans la plupart des pays de la région, les exploitations sont assez petites et leurs propriétaires sont donc confrontés aux mêmes difficultés que les petits producteurs du monde entier.

Le dérèglement climatique se traduit dans la région par un climat plus chaud et plus sec et un stress hydrique croissant. Outre le manque de terres arables, les sols cultivés sont gravement dégradés, au point qu’ils auraient perdu 30 à 35 % de leur productivité potentielle. Le labour épuise les sols, provoquant des effets nocifs, tels que la diminution de la teneur en eau et en matières organiques, qui rendent le sol plus vulnérable à l’érosion éolienne et hydrique.

La productivité des terres est faible dans la région. Elle est aussi très inégale et ne peut qu’aggraver les tensions entre les États, mais aussi générer des problèmes de stabilité politiques internes dans les pays de la région. N’oublions pas que la sécheresse en Syrie a provoqué un exode rural massif de la population vers Damas, ce qui a contribué à déstabiliser le régime en 2011. Et l’Égypte, avec ses sols riches, ses productions céréalières irriguées et la quasi-absence de pâturages, dégage de ses terres agricoles plus de 6.000$ par hectare, tandis que Bahreïn, qui se contente de cultures horticoles et d’élevage, en retire plus de 4.000$ par hectare. De même, en Jordanie, au Liban, dans les territoires palestiniens, aux Emirats Arabes Unis et au Koweït, la valeur de la production par hectare se monte à plus de 1.000$, avec une très petite superficie en céréales.

Enfin, l’eau est un réel enjeu au Moyen Orient, par-delà les conflits. Le problème tient à la rareté de la ressource, mais aussi à l’utilisation non durable des eaux – qu’elle soient de surface et souterraines – qui provoque l’épuisement des nappes dont le Moyen-Orient est très tributaire. L’utilisation non durable de l’eau est favorisée par les politiques menées et par une gouvernance déficiente de la ressource et parfois irresponsable, comme comme en Iran.

Les prix de l’eau dans la région sont, certes, les plus bas du monde, car la consommation d’eau y est subventionnés (environ 2% du PIB). Mais, la majorité des pays de la région se situe sous le « seuil de pénurie d’eau » généralement acceptable, qui est de 1.000 m3 par habitant et par an, de ressources hydriques renouvelables. L’agriculture est le secteur qui utilise le plus d’eau dans chaque pays. En outre, il est essentiel d’améliorer la gestion de l’eau dans le secteur agricole afin de stopper la dégradation des sols et de permettre l’adaptation au changement climatique.

Quelles seraient les solutions à moyen terme pour les secteurs agricole, halieutique et aquacole ? La prise de conscience des problèmes environnementaux est fondamentale. Cela passe par une indispensable médiatisation, afin d’éclairer et d’influencer les opinions publiques. L’enseignement et la formation aux problématiques et aux solutions durables sont aussi essentielles pour inverser la tendance.

Nous savons que l’agriculture régénérative est la principale voie pour contribuer à la baisse des températures par captation du CO2. Il importe de mieux gérer les ressources en eau et d’épargner et régénérer les sols, par l’absence de travail du sol (labours) ou par un travail minimal, et de proscrire l’utilisation de produits phytosanitaires. Les racines qui restent de la culture précédente stabilisent le sol, le protégeant contre l’érosion et les matières organiques à la surface améliorent la fertilité et la capacité de rétention d’eau du sol. Des semoirs peuvent  être utilisés pour insérer directement les semences et les engrais dans le sol sans labourer. Certes, les semoirs sont onéreux (environ 30.000$) et la majorité des petits exploitants n’a pas les moyens d’en acquérir un. Ainsi le Centre International de Recherche Agricole dans les Zones Arides et le gouvernement australien ont encouragé la collaboration des agriculteurs et des artisans locaux, afin de produire et de vendre à un coût abordable près de 200 semoirs qui sont maintenant utilisés en Syrie, en Irak, au Liban et en Jordanie.

Par ailleurs, la taille des exploitations agricoles est, au Moyen Orient, l’une des plus inégales du monde. Dans certains pays de la région (Égypte, Yémen, Jordanie, Liban et Iran), la superficie de la majorité des exploitations est inférieure à un hectare. À l’autre extrémité du spectre se trouve un nombre relativement réduit de grandes exploitations appartenant à un petit nombre de propriétaires terriens ou à l’État. En raison de leur taille, les petites exploitations ne remplissent pas les conditions pour bénéficier d’un soutien public ou de prêts bancaires. Les mesures de « modernisation » sectorielle ont, en grande partie, exclu les petites exploitations du soutien public : de ce fait, elles ne s’agrandissent pas, accusent un retard technologique et demeurent pauvres. Il est urgent de subventionner ces petites exploitations pour engager la transition.

Les données sur les sols sont importantes pour les agriculteurs et les décideurs. Face à la vétusté des cartes des sols disponibles dans les pays de la région, l’Institute of Digital Soil Mapping d’Amman sert de plateforme régionale à un consortium mondial de scientifiques et de chercheurs. Ainsi, sur GlobalSoilMap.net on trouve les données de plusieurs sources destinées à tous les publics. Les données peuvent indiquer le pH des sols, le volume d’eau emmagasiné, la conductivité électrique et la teneur en carbone. Elles sont obtenues par télédétection, spectroscopie dans le proche et le moyen infrarouges et échantillonnages sur le terrain. Le système du Partenariat mondial sur les sols du Réseau international des instituts d’information sur les sols (International Network for Soil Information Institutes) peut aussi être sollicité.

Sur ce sujet comme sur d’autres, qu’il s’agisse de l’univers urbain ou de l’univers rural, qui dit « durable » dit « vert » et « smart ». On l’oubli trop souvent, l’avenir durable passe par là et nécessite l’élaboration d’autre matrice cognitive.

* Politologue et consultante, spécialiste des questions environnementales.