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Gérald Olivier : ‘‘L’Europe doit se résoudre à l’idée que l’Amérique ne jouera plus le rôle de gendarme du monde’’

8 novembre 2024 Interviews   245901  

Ancien rédacteur en chef de ‘‘Spectacle du Monde’’, Gérald Olivier est un fin connaisseur de la politique américaine. Il est notamment l’auteur de ‘‘Sur la route de la Maison-Blanche : le dictionnaire des élections présidentielles américaines’’ (Jean Picollec Éditeur, 2020). Dans cet entretien, il analyse les répercussions de la réélection de Donald Trump pour les États-Unis et le reste du monde.

Par Nicolas Chene et Yacine Tazaghart

De quoi la réélection de Donald Trump est-elle le nom ?

– Gérald Olivier : Trump est un New-Yorkais. C’est un homme d’affaires qui a grandi dans le Queens. Le Queens, c’est la petite banlieue, je dirais la seconde zone de New York. Ce n’est pas Manhattan : ça n’en a ni le luxe ni la classe. Mais ce n’est pas le Bronx, qui est le sous-prolétariat. Le Queens, c’est une petite classe moyenne qui n’est pas forcément suffisamment ambitieuse. C’est d’ailleurs le reproche qu’il avait fait à son père. Son père était devenu riche dans le Queens. Et lui, il voulait devenir riche et conquérir Manhattan. Il est allé bien au-delà. C’est un homme d’affaires extrêmement ambitieux, qui croit en lui. Il croit aussi au pays qui lui a permis de réaliser sa fortune et d’avoir la destinée qu’il a eue. Et il s’est rendu compte qu’au fil du temps, cette destinée dont il a profité n’était plus forcément accessible au commun des Américains. Tous les Américains ne souhaitent pas devenir Donald Trump, mais tous veulent avoir la possibilité de faire de leur vie ce qu’ils ont envie d’en faire, librement. C’est en cela qu’il communique avec le peuple américain et c’est en cela qu’il est l’illustration du rêve américain. Il n’est pas forcément la personnification du rêve américain, mais l’une des significations de ce rêve. Et Trump veut rendre à nouveau ce rêve accessible à toutes les masses qui, au XXème siècle, le trouvaient naturellement accessible, parce que la prospérité américaine faisait que quiconque pouvait vivre son propre rêve américain.

Que pourra vraiment réaliser Trump de ces promesses en termes d’immigration, de pouvoir d’achat ou de politique internationale ?

– Ce n’est pas aussi facile que cela y paraît. Mais Trump ne va jamais le dire. Il va toujours parler en termes brutaux, extrêmement simplifiés, voire simplistes. Sa première priorité sera de rendre sa souveraineté à l’Amérique. Il faut bien comprendre qu’un pays qui n’a pas de frontières n’a pas de souveraineté. Donc, pour lui, la première chose sera de rétablir la souveraineté américaine en remettant ses frontières pour stopper l’immigration clandestine. L’immigration clandestine, pas l’immigration légale. Deuxième priorité : se focaliser sur l’économie. Pour rendre le rêve américain à nouveau accessible, il lui faudra stopper l’inflation et relancer la machine économique à travers notamment un secteur fondamental aux États-Unis, c’est-à-dire la production d’énergie. Les États-Unis sont le plus gros détenteur de réserves d’énergies fossiles au monde. Trump ne va pas se priver de les utiliser. Il va inonder le monde de pétrole et de gaz de schiste. Ce qui aura pour premier effet de baisser le coût de cette matière première et rendre, à nouveau, économiquement viable l’industrie de l’automobile, entre autres secteurs majeurs de l’économie américaine. Ce qui nous amène à la troisième priorité, qui est de booster l’industrie américaine à travers une forme de protectionnisme économique, en imposant des taxes douanières sur les produits non américains. Et enfin, la quatrième priorité de Trump sera de s’occuper des affaires du monde. Chose qui ne sera pas aisée, car il ne contrôle pas toutes les cartes. Il doit compter avec des partenaires, dont certains sont des rivaux, comme la Chine, et d’autres des alliés, comme l’Europe. Et comme Trump veut mettre un terme à à guerre en Ukraine, il aura forcément à gérer les relations complexes entre les États-Unis et la Russie, entre l’Europe et la Russie et entre les États-Unis et l’Europe, notamment à travers l’OTAN. Cela demandera beaucoup d’efforts et d’accommodations. Mais Trump est quelqu’un qui aime mettre les mains dans le cambouis !

– Est-ce que l’Europe doit avoir peur du retour de Trump, notamment en matière de défense ?

– Non, au contraire. Donald Trump est une opportunité pour l’Europe. L’Europe devrait en profiter pour développer sa propre défense. Aujourd’hui, l’Europe a très peu d’intérêt pour les États-Unis. Dans la campagne présidentielle américaine, sa place a été quasiment nulle. Je ne suis même pas sûr que le mot Europe ait été prononcé une seule fois lors des conventions démocrates ou républicaines. L’Europe n’est vraiment pas prioritaire pour les Américains. Leurs priorités sont les relations avec la Chine et peut-être avec les BRICS, qui sont des puissances montantes. Sans oublier les rapports avec les pays du Proche-Orient, dont l’Iran qui est une puissance déstabilisatrice majeure dans une région extrêmement fragile et en ébullition. L’Europe est finalement devenue un sujet périphérique. Aux yeux des Américains, elle n’apparaît qu’en périphérie du dossier ukrainien, à travers la question épineuse de la destinée de l’Ukraine au sein de l’Union européenne.

Que devrait faire l’Europe pour y remédier ?

– Ce que les Européens doivent retenir de la réélection de Donald Trump, c’est que le monde est véritablement en train de changer. Les États-Unis évoluent vers une position radicalement moins interventionniste sur les théâtres internationaux. Ils ne veulent plus jouer systématiquement le rôle du ‘‘gendarme du monde’’ et mobilisable à souhait. À partir de là, les Européens devront trouver quelqu’un d’autre pour assurer leur sécurité. Ils auront à le faire eux-mêmes ou via de nouvelles institutions destinées à gérer les conflits internationaux. Les États-Unis de Donald Trump n’estiment pas avoir vocation à envoyer leurs soldats se battre à l’extérieur de leurs frontières. Et ils ne le feront plus.

Est-ce la fin de l’OTAN ?

– Non, pas du tout. Je peux me tromper, mais il me semble que la solution au conflit ukrainien passera justement par une remise en valeur de la fonction et de la finalité de l’OTAN. Qu’est-ce que cela veut dire ? Il est clair que l’objectif de l’Ukraine est d’obtenir une protection européenne. Cette protection vis-à-vis de la Russie ne pourra passer que par l’OTAN. Dans ce cas de figure, l’objectif de la Russie sera d’obtenir une forme de garantie que l’OTAN n’engage jamais d’hostilité à son encontre. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Jusque-là, le véritable dessein de Poutine est de reconstruire l’Union soviétique, en recréant des États vassalisés à ses frontières. Or, des États sous protection de l’OTAN ne pourront jamais être vassalisés par la Russie. Ce sera la meilleure façon d’amener Poutine à admettre que l’Union soviétique appartient au passé, qu’il ne pourra jamais la reconstruire. Et il y aura forcément un moment où il faudra bien que la Russie fasse un compromis.