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Alija Izetbegovic, un leader musulman pas si modéré

30 juillet 2020 Expertises   47824  

Ian Hamel
Ian Hamel

A sa mort en 2003, Bernard-Henri Lévy avait qualifié l’ancien président Aliza Izetbegovic de « de Gaulle de la Bosnie en lutte ». C’est pourtant cet homme qui écrivait en 1980 : « Les musulmans ont formé le dessein de prendre en main les commandes du sort de leur monde et de le modeler grâce à leurs propres conceptions ». Chef d’État pendant la guerre des Balkans, Aliza Izetbegovic accueillait par milliers des djihadistes venus du monde entier.

Depuis sa rencontre avec Hitler en novembre 1941 à Berlin, Amin al-Husseini, le grand mufti de Jérusalem, anime des émissions de propagande appelant les musulmans à « tuer les Juifs où qu’on les trouve [car] cela satisfait Dieu, l’histoire et la religion ». En avril 1943, les responsables de la SS organisent sa visite à Sarajevo. « Il y reçoit les représentants des principales associations musulmanes ainsi que des délégations venues de toute la Bosnie-Herzégovine, du Sandjak et même d’Albanie », raconte le chercheur Xavier Bougarel, spécialiste de l’islam des Balkans, dans un ouvrage récent intitulé La division Handschar. Waffen SS de Bosnie 1943-1945 (1).

Parmi la délégation de l’organisation des Jeunes Musulmans reçue par le grand mufti, un lycéen de 18 ans, Alija Izetbegovic, le futur président de la Bosnie. Depuis les défaites en Afrique du Nord et en Russie, l’armée allemande a besoin de chair à canon. Pour cela, Heinrich Himmler choisit de balayer les critères raciaux en vigueur dans la Waffen SS et de recruter des musulmans. D’où la naissance de la tristement célèbre 13e division de montagne de la Waffen SS Handschar. Elle va recruter entre 20 et 30 000 soldats musulmans. A l’échelle d’un pays comme la Bosnie, qui ne comptait que 1,5 million de musulmans à l’époque, c’est énorme (mois de 10 000 Français ont servi dans la Waffen SS pendant la guerre), en dehors des Alsaciens incorporés de force). L’uniforme de la division Handschar présentait deux particularités : un fez musulman avec une tête de mort, et sur le col de la chemise, un cimeterre (en allemand Handschar, en bosnien Handzar). Autre particularité : Handschar était encadrée par des imams et des mollahs.

Trois ans de prison en 1946

Depuis, Handschar, qui a commis des atrocités, ne cesse de hanter la mémoire des Balkans. Pour être précis, il ne s’agit pas exactement d’une division musulmane, mais d’une division allemande, composée principalement de Bosniaques musulmans, mais aussi de quelques Croates chrétiens (la Croatie, comme le régime de Pétain en France, collaborait avec le Reich). Faut-il s’étonner si les Serbes, pendant la guerre des Balkans, ont réécrit l’histoire de cette 13e division, insistant notamment sur les sympathies qu’aurait eu Izetbevovic pour le national-socialiste. Un article du New York Times datant du 20 octobre 2003 affirme que « Izetbegovic décide de soutenir la division SS ». Xavier Bougarel relativise l’engagement du futur président bosniaque. Si des membres de l’organisation des Jeunes Musulmans ont, effectivement, combattu dans la division Handschar « notamment trois d’entre eux en tant qu’imams », en revanche, ce ne serait pas le cas d’Alija Izetbegovic. Il était « originaire d’un milieu aisé qui n’avait nullement l’habitude d’envoyer ses enfants à la guerre », souligne le chercheur dans une interview donnée au Courrier des Balkans (2). Toutefois, en 1946, le futur président de Bosnie, alors âgé de 21 ans, est condamné à trois ans de prison, non pas pour une collaboration avec l’ennemie, mais pour « activité panislamique ».

« Le pouvoir absolu d’Allah »  

Alija Izetbegovic retrouve les barreaux d’une cellule en 1970, puis en 1983. Il est arrêté par le régime communiste avec treize autres intellectuels musulmans, et condamné à 14 ans d’emprisonnement pour « propagande islamiste ». On lui reproche la publication du Manifeste islamique (« Islamska deklaracija »). L’ouvrage n’a été traduit en français qu’en 1999, préfacé par Ahmed Abidi (3).

Libéré en 1988, Alija Izetbegovic fonde le Parti d’action démocratique, qui sortira vainqueur des élections de novembre 1990. Contrairement aux accusations de la propagande yougoslave, dans son livre, Alija Izetbegovic n’appelle pas à l’instauration de la charia en Bosnie. Néanmoins, il tient un discours très radical, que ne renieraient pas les islamistes. Son introduction ne s’intitule-t-elle pas : « Programme pour l’islamisation des Musulmans et des peuples islamiques » ? Il est difficile pour les Serbes de ne pas y voir une déclaration de guerre lorsque l’auteur proclame : « Nous déclarons aujourd’hui, à nos amis comme à nos ennemis, que les Musulmans ont formé le dessein de prendre en main les commandes du sort de leur monde et de le modeler grâce à leurs propres conceptions ».

Parmi les “perles“ du Manifeste islamique, retenons : « Toute personne, qui que ce soit, qui abandonne l’Islam ne récolte que l’exécration et l’opposition », ou encore, « Reconnaître le pouvoir absolu d’Allah signifie le désaveu total et le rejet définitif de tout autre pouvoir absolu ». Il n’hésite pas non plus à se référer au Coran : « Beaucoup de rabbins et de moines dévorent les biens des gens illégalement et (leur) obstruent le sentier d’Allah. A ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne les dépensent pas dans le sentier d’Allah, annonce un châtiment douloureux ». On retiendra qu’Alija Izetbegovic chante les mérites du Pakistan (« seule république islamique qui déclare aujourd’hui son islamité »), pays qui n’est pourtant pas un modèle en matière de démocratie. Il ne se montre pas spécialement ouvert vis-à-vis des autres religions, notamment du christianisme, parlant d’une « révélation divine en partie falsifiée ». Alors que la Bosnie est peuplée de musulmans, mais aussi d’orthodoxes, de catholiques et de juifs. Concernant ces derniers, il annonce clairement la couleur : « Si les Juifs veulent garder Jérusalem, ils devront battre l’Islam et les Musulmans. Mais cela est, Dieu merci, au-dessus de leur pouvoir ».

Des milliers de moudjahidines

Le président de la Bosnie-Herzégovine de décembre 1990 à octobre 2000, n’en déplaise à Bernard-Henri Levy (qui l’a qualifié d’« homme doux »), n’apparaît pas vraiment comme un grand démocrate. Difficile également d’en faire « l’un des plus grands penseurs musulmans du XXème siècle », comme l’écrit Ahmed Abidi, son traducteur en français. Il ne s’agit pas pour autant de minimiser les crimes commis par les Serbes durant la dernière guerre des Balkans (ils auraient tué environ 65 000 Bosniaques). Mais on peut s’étonner de l’aveuglement des pays occidentaux, qui n’ont voulu voir en Bosnie qu’une communauté musulmane martyrisée. Ils ont fermé les yeux sur le recrutement par Alija Izetbegovic de plusieurs milliers de djihadistes (que l’on appelait alors moudjahidines). Des combattants pour qui les droits de l’homme ne constituent pas une préoccupation essentielle. 25 000 Serbes ont également péri durant ce conflit. Certains djihadistes se sont ensuite établi dans le pays après la fin des hostilités.

Alija Izetbegovic est mort en 2003, son fils Bakir (né en 1956) anime aujourd’hui le Parti d’action démocratique, la principale formation musulmane de Bosnie. A plusieurs reprises, il a été président du collège présidentiel de Bosnie-Herzégovine (qui réunit musulmans, serbes et croates). En 2016, Bakir Izetbegovic avait provoqué un incident diplomatique avec la Serbie en allant faire campagne électorale au Sandjak, une région serbe majoritairement peuplée de musulmans.

Une étude récente révèle que 60 % des Français partis se battre en Afghanistan, mais aussi en Bosnie-Herzégovine et en Irak ont été condamnés postérieurement à leur retour du djihad pour des infractions terroristes distinctes de leur seul séjour en zone de guerre » (4).

(1) Passés/Composés, 438 pages.

(2) « Seconde guerre mondiale en Bosnie-Herzégovine : sur les traces de la division Handschar », 17 juillet 2020.

(3) Éditions Al-Bouraq, 174 pages.

(4) Jean Chichizola, « Une étude révèle un taux élevé de récidive chez les djihadistes », Le Figaro, 21 juillet 2020.