La classe politique belge se caractérise peut-être davantage que toute autre en Europe par son déni de ce qui se passe actuellement au Proche-Orient. C’est particulièrement vrai depuis le pogrom du 7 octobre, qui semble émouvoir nettement moins que la riposte enclenchée depuis par Israël. Ainsi, ces dernières semaines, les propos affligeants et révoltants se succèdent. En voici un florilège :
Éliane Tilleux (PS) d’abord, présidente de la Chambre, qui dès le 10 octobre affirmait lors d’une interview qu’« à partir du moment où les règles de droit international ne sont pas respectées de part et d’autre, je ne sais pas où nous devons qualifier les faits de terroristes ».
Jean-Pascal Labille, ancien ministre socialiste et actuel président des mutualités socialistes, publiait ensuite sur les réseaux sociaux une illustration du siège de Gaza représentant une étoile de David entremêlée d’une croix gammée. Un peu plus tard, André Flahaut, ancien ministre PS également, comparait Gaza au ghetto de Varsovie. Puis, ce fut le tour de la ministre écologiste Zakia Khattabi, qui refusa de désigner le Hamas de ‘‘terroriste’’, prétextant sa méconnaissance de la définition juridique de ce terme. Egbert Lachaert, ancien président du parti libéral flamand, osa quant à lui, pour qualifier les frappes israéliennes, comparer Gaza à Molenbeek : « Les frappes sur Gaza, c’est comme si on avait balancé des bombes sur Molenbeek, car des terroristes y avaient grandi ».
Sans oublier bien sûr Raoul Hedebouw, député d’extrême gauche (PTB), pour qui les crimes du Hamas s’expliquent par le fait qu’Israël est un État colonial. Et, last but not least, Fouad Ahidar, député bruxellois Vooruit (socialistes flamands), qui, interviewé le 5 novembre dernier par Zinneke TV, qualifiait le pogrom commis par le Hamas le 7 octobre de « Petite réponse (…) donnée par une partie du Hamas », ajoutant même – à propos des bombardments à Gaza – que « Toute personne sensée voit bien que c’est un génocide humain. Et je peux utiliser ce terme, moi qui suis allé à Auschwitz, en Pologne, pour voir ce qu’est un génocide. Je peux constater aujourd’hui qu’on utilise pratiquement les mêmes méthodes. »
Compte tenu de tout cela, il aurait certainement été utile que les députés puissent visionner la vidéo présentant les massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas, comme l’avait proposé l’ambassadrice d’Israël en Belgique à la présidente de la Chambre Éliane Tillieux. Mais cette demande, relayée par Catherine Fonck (députée fédérale, Les Engagés), a finalement été tout bonnement refusée, après avoir été examinée par la conférence des présidents de la Chambre (les chefs des groupes parlementaires) !
Un refus que le député Georges Dallemagne (Les Engagés) ne s’explique pas, dès lors que « Quand un ambassadeur demande de montrer un document, un film, à la Chambre, la une réponse positive. Quitte à faire cette projection à huis clos. »
Alors, pourquoi ce refus ? Il semblerait qu’il soit motivé par l’absence de consensus entre les groupes parlementaires : les partis de gauche y sont, semble-t-il, opposés, et le PTB a justifié ce refus ainsi : « Nous ne voulons pas regarder un film qui sert à justifier les crimes de guerre d’Israël ».
Or, cela ne fait évidemment que renforcer le problème qu’il s’agissait pourtant de combattre. Comme le soulignait Georges Dallemagne, « La Belgique a déjà été pointée du doigt car certains de ses responsables politiques n’ont pas été capables de qualifier correctement ce massacre, se sont tus, ont minimisé ou pris beaucoup de temps avant de réagir. Composé à partir des bodycams des assaillants et des fichiers récupérés sur les téléphones des victimes, ce film aurait permis aux parlementaires de voir ce qu’il s’est passé. »
Et c’est très exactement pour cette raison qu’Israël tient à ce qu’il soit montré. Comme l’a expliqué l’ambassadrice d’Israël en Belgique Idit Rosenzweig-Abu, suite à une projection du film le 6 novembre dernier à destination exclusive des journalistes, l’objectif est de prouver que ces atrocités ont bien eu lieu, dans un contexte où leur réalité est remise en question jusque dans les rangs de certains partis politiques, notamment PTB, Écolo et Vooruit.
Peut-on alors parler d’une propagande israélienne ?
L’accusation doit être sérieusement relativisée dès lors qu’il ne s’agit ni d’une vidéo glorifiant Israël, ni même d’une séquence réalisée sur la base d’images enregistrées par l’État hébreu : les images des atrocités proviennent en effet notamment des caméras portées par des assaillants terroristes du Hamas. Car là est sans doute une des spécificités les plus glaçantes de ce pogrom : contrairement à la pratique courante de dissimulation et de négation, les tortionnaires ont filmé leurs crimes. Et rien que cela mérite d’être analysé et décrypté par tous ceux qui osent aujourd’hui relativiser la barbarie de l’attaque du 7 octobre, comme s’il ne s’agissait que d’un énième soubresaut dans le conflit israélo-palestinien.
Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a annoncé que son parti prendrait l’initiative de diffuser cette vidéo au Sénat, dont il est membre, afin que ceux qui le souhaitent puissent la voir. Une projection qui a eu lieu le 23 novembre, en l’absence, comme il fallait s’y attendre, de tout représentant du PTB, ceux-ci ne voulant manifestement pas prendre le risque de voir bousculées leurs certitudes.
Quant à moi, je ne supporte pas de voir défiler des démocrates, des humanistes, des laïques, aux côtés d’individus qui réclament la destruction d’Israël. À côté d’islamistes qui admirent le Hamas ou le Hezbollah, haïssent les Juifs et nazifient Israël. Sans, à tout le moins, clamer leur désaccord profond avec ces gens-là. Dire clairement qu’ils sont infréquentables. Exprimer leur profond malaise à se retrouver à leurs côtés pour manifester.
Je ne peux accepter de les voir renvoyer dos-à-dos Israël et le Hamas, comme si chacun avait commis des crimes de même nature. Ce n’est pas vrai : les mots ont un sens. La boucherie à laquelle on a assisté le 7 octobre 2023 n’a aucun équivalent côté israélien. Et en plus, les assaillants du Hamas ont filmé leurs actes, comme les islamistes de Daech filmaient et postaient hier leurs décapitations.
Si une comparaison avec le nazisme est à faire, c’est du côté du Hamas qu’il faut aller la chercher, et non pas du côté d’Israël.