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JEANNE ACCORSINI/SIPA

 

De l’extrême droite à la gauche communautariste : la tectonique des antisémites

12 juin 2024 Investigations   78772  

Depuis l’affaire Dreyfus, les mouvements de gauche était perçus comme judéophiles, en dépit d’un antisémitisme historique datant du XIXe siècle qui a vu la gauche amalgamer judéophobie et anticapitalisme. Et depuis l’horreur nazie, l’antisémitisme était relégué à l’extrême droite. Sauf que les dérives décoloniales et indigénistes du wokisme sont en passe de donner naissance à un néo antisémitisme de gauche qui n’a rien à envier aux abjections de courants fascisant d’extrême droite.

Par Pierre Rolet et Gérard Legraud

Le 6 novembre 2003, trois dirigeants du Parti socialiste lançaient un appel dans Le Nouvel Observateur intitulé ‘‘Monsieur Ramadan ne peut pas être des nôtres’’. L’objectif était de récuser la participation du petit-fils de Hassan al-Banna au Forum social européen. Le prédicateur venait d’accuser des intellectuels juifs français d’obéir à des logiques communautaires. « En pointant des intellectuels désignés comme “Juifs’’ et en les plaçant en dehors de la raison commune, Monsieur Ramadan s’est inscrit dans la tradition classique de l’extrême droite. Ce sont les fascistes qui pensent et parlent ainsi », concluait alors cette tribune signée par Manuel Valls, Vincent Peillon et… Jean-Luc Mélenchon.

Que s’est-il passé, depuis, dans la tête de l’ancien ministre socialiste devenu leader de La France insoumises ? Nombre de ses ‘‘compagnons de route’’ attestent qu’il n’était guère antisémite du temps où ils le fréquentaient. Beaucoup doutent même qu’il le soit devenu avec l’âge (73 ans en août prochain). Comment expliquer, alors, ses dérapages glaçants qui feraient presque passer Jean-Marie Le Pen pour un modique amateur de blagues de mauvais goût ?

Pour l’historien Robert Hirsch, auteur de ‘‘La Gauche et les Juifs’’1, bien qu’il y ait eu, dès le XIXème siècle, un antisémitisme spécifique à la gauche, amalgamant la judéophobie à l’anticapitalisme (Lire la tribune de Pierre-André Taguiff, page 28), les dérives antisémites du leader de LFI et d’un certain nombre de ses zélateurs lieutenants obéissent à une toute autre motivation : elles accompagnent – avec l’arrière-pensée clientéliste d’en tirer quelque profit électoral – la montée d’un antisémitisme d’obédience islamiste chez une large partie de la jeunesse arabo-musulmane des banlieues françaises.

Des islamistes appellent à voter LFI      

Ce type d’antisémitisme se nourrit du conflit israélo-palestinien. Raison pour laquelle LFI hystérise délibérément le débat à ce propos, au point de faire sa campagne des Européennes quasi exclusivement autour de la guerre à Gaza.

Et ce sordide cynisme électoral porte, hélas, ses fruits. Lors de l’élection présidentielle de 2022, un sondage réalisé par l’IFOP pour le journal La Croix révèle que 69 % des Musulmans ont glissé un bulletin au nom de Jean-Luc Mélenchon dans l’urne.

Pis encore, des islamistes parmi les plus radicaux, comme Vincent Guyot, dit Vincent Souleymane – décrit  par la préfète du Rhône, Fabienne Buccio, comme un « prédicateur salafo-frériste connu pour sa haine anti-Juifs » – ou Hani Ramadan – directeur du Centre islamique de Genève, frère de Tariq Ramadan, favorable à la lapidation des femmes adultères – appelaient à la veille des Présidentielles de 2022 « les citoyens français de confession musulmane à voter dès le premier tour pour le moins pire des candidats à cette élection présidentielle : Jean-Luc Mélenchon ».

Examinant les déclarations outrancières du leader de LFI, Iannis Roder, directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean-Jaurès, parlait déjà en 2021 « d’un calcul politique d’implantation et de consolidation électorale2 ». Le but de manœuvre étant de flatter les bas instincts de l’électorat musulman : autrefois, les communistes pouvaient compter sur la ‘‘ceinture rouge’’ ouvrière autour de Paris. Aujourd’hui, les Insoumis cherchent à se tricoter une ‘‘ceinture verte’’ !

Ce constat conduit certain analyste – notamment à gauche – à minimiser la nature et la portée du néo antisémitisme de gauche qui ne serait finalement ‘‘pas bien grave’’. Presque un antisémitisme à visage humain ! Puisqu’il n’est que « contextuel, populiste et électoraliste » et n’aurait donc rien avoir avec le bon vieux méchant antisémitisme du Rassemblement national, « fondateur, historique et ontologique3 ».

Or, cette vision édulcorée ne perçoit que la partie émergée de l’iceberg mélenchoniste. Au-delà d’un cynisme électoral prêt à souffler sur les braises des passions communautaristes et instrumentaliser les pires pulsions dans l’espoir d’accéder un jour au pouvoir, les dérives antisémites mélenchonistes s’inscrivent aussi – et surtout – dans la continuité d’une judéophobie historique dépourvue de toute corrélation avec le conflit israélo-palestinien.

Ainsi, qu’en 2017, lors de la commémoration de la rafle du Vél’ d’Hiv’, Jean-Luc Mélenchon prétendait que la France n’avait « rien à se reprocher » quant au sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Quant au Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), fondé en 1943 dans la Résistance, il serait, selon Mélenchon, « d’extrême droite ». Puis, en 2020, parlant du Christ, le leader de LFI reprend le vieux poncif du peuple déicide : « Ce sont ses propres compatriotes qui l’ont mis sur la croix ».

Néo antisémitisme woke

Pis encore, à ces outrances portant les séquelles du ‘‘vieil antijudaïsme chrétien’’ se greffe un antisémitisme d’un type nouveau : sous les coups de butoir woke, indigéniste et intersectioniste, l’antisémitisme mélenchoniste ne marche pas seulement sur les pas du vieil antisémitisme de gauche amalgamant judéophobie et anticapitaliste. Il recoupe bien des aspects de l’antisémitisme fascisant longtemps relégué à la seule extrême droite !

Porté par les composantes décoloniales et intersectionalistes du wokisme, ce néo antisémitisme se caractérise par le déni obsessionnel : refuser aux Juifs – amalgamés au sionisme et/ou à l’État d’Israël et catalogués, de ce fait, dans la case de l’oppresseur ‘‘blanc dominateur’’ – un quelconque statut de victime. Même lors des attaques de Mohamed Merah visant des enfants juifs de l’école Ozar Hatorah à Toulouse, en 2012, ou après le pogrom du 7 octobre 2023.

Ainsi, Mélenchon est incapable de voir dans les tueries de Merah autre chose qu’un complot fomenté à dessein durant la campagne électorale des Présidentielles. Et devant l’extrême sauvagerie des actes perpétrés par le Hamas, le 7 octobre 2023, le député LFI David Guiraud se réfugie dans le déni complotiste. Biberonné aux réseaux sociaux et admirateur du pamphlétaire conspirationniste Alain Soral, Guiraud affirmait, lors d’une conférence à Tunis, à propos de la maman éventrée et du bébé qui aurait été jeté dans un four, lors du pogrom du 7-Octobre, que « ça a été fait par Israël (…) La maman éventrée… ça été fait, c’est vrai, par Israël ».

Et comme les extrêmes ont une fâcheuse tendance à se rejoindre, cette tectonique des antisémites risque d’aboutir à une ‘‘convergence des luttes’’ de l’antisémitisme mélenchoniste et des courant fascisants de l’extrême droite, qui ont brusquement refait surface, lors des récentes campagnes électorales – malgré les efforts déployés par Martine Le Pen pour rompre avec cet héritage – à travers les multiples dérapages antisémites des candidats RN (Lire page 26).

Preuve, s’il en faut, qu’une telle ‘‘intersectionalité’’ – qui pourrait apparaître au premier abord comme une alliance contre-nature – n’est absolument pas à exclure :  personne à LFI ne s’offusque ou se désolidarise des propos nauséabonds de l’égérie indigéniste, Houria Bouteldja, qui affirme dans ‘‘Les Blancs, les Juifs et nous’’ : « Pour le Sud, la Shoah est – si j’ose dire – moins qu’un “détail’’. Elle n’est même pas dans le rétroviseur ». Suivez son regard !

(1)  La Gauche et les Juifs, Robert Hirsch, Éditions Le Bord de l’Eau, 2022.

(2)  Clément Pétreault, ‘‘Les vieux démons de Mélenchon’’, Le Point, 20 juillet 2023.

(3)  Arié Alimi, Vincent Lemire, ‘‘L’antisémitisme de gauche est instrumentalisé pour décrédibiliser le Nouveau Front populaire’’, Le Monde, 21 juin 2024.