Entourée par des pays de l’Union européenne qui considèrent l’organisation islamiste palestinienne comme terroriste, la Suisse continue à ne pas appliquer de sanctions au Hamas, ni à interdire son territoire à ses dirigeants. Mais depuis les attaques du 7 octobre dernier, le Conseil fédéral (gouvernement) a décidé de se faire violence et à utiliser le mot ‘‘terrorisme’’ pour désigner les Frères musulmans palestiniens. Il a aussi annoncé qu’il allait procéder à « une analyse détaillée des flux financiers » en direction du Proche-Orient, une façon bien suisse de dire que le gouvernement entend contrôler les sources de financement du Hamas.
Ce n’est pas tous les jours que le gouvernement helvétique se fait huer lors de manifestations. Or, à Genève, place des Nations, devant le siège de l’ONU, le 12 octobre, plusieurs centaines de manifestants pro-palestiniens exigeaient que la Suisse reste neutre, considérant que « tant qu’il y aura une occupation, la résistance en Palestine n’est pas du terrorisme ».
L’un des meneurs de cette manifestation n’est autre que Hani Ramadan, le directeur du Centre islamique de Genève (CIG). Présenté à l’audience comme un ‘‘défenseur des droits humains’’, a pris la parole pour dénoncer les « informations qui émanent de la propagande de guerre d’un État colonisateur ». Selon lui, il n’y aurait jamais eu de bébés assassinés ni de femmes violées. Au contraire, les « soldats palestiniens », des « musulmans combattants », ne toucheraient jamais un cheveu des femmes, des enfants et des vieillards, a-t-il assuré ! Il est vrai que ce petit-fils d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, n’est pas à son premier dérapage négationniste : on se souvient de ces élucubrations à propos du 11-Septembre ou de la pandémie du Covid-19.
La veille, le gouvernement suisse avait annoncé dans un communiqué qu’il condamnait « les attaques terroristes du Hamas en Israël », et qu’il est « d’avis que le Hamas doit être qualifié d’organisation terroriste ». Il a chargé la task force Proche-Orient (TFPO) « d’examiner les options juridiques permettant d’interdire l’organisation ». Pourquoi utiliser un ton aussi “mollasson“ pour parler d’évènements si dramatiques ? C’est que la loi suisse est très stricte en la matière. Berne a ainsi mis beaucoup de temps avant d’interdire al-Qaïda et l’État islamique. « Le Hamas a beau être considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne et les États-Unis, il ne l’est pas pour l’ONU. Or, il s’agit d’une condition pour Berne », explique le quotidien 24 heures de Lausanne1.
Pas de preuves de financement ?
Malgré la lenteur proverbiale de la Confédération, la décision d’interdiction devrait tomber rapidement. Ce sera une mauvaise nouvelle pour le Hamas et ses ‘‘sponsors’’, l’Iran, le Qatar, et plus récemment la Turquie, qui bénéficient jusqu’à présent d’une terre accueillante au cœur de l’Europe, dotée d’une place financière réputée. Certes, il n’y a jamais eu de véritables révélations sur des ONG en Suisse qui auraient pu financer les brigades Ezzedine al-Qassam, la branche armée du Hamas. Mais, en 2003, les États-Unis avaient mis à l’index l’Association de secours palestinien – Suisse, sans toutefois apporter contre elle d’éléments déterminants2. Depuis, cette structure a été dissoute.
On peut aussi imaginer que les responsables du Hamas, et tous ceux qui les soutiennent, sont suffisamment bien conseillés par leurs établissements bancaires pour ne pas ouvrir de comptes à leurs noms. Malgré tout, les gestionnaires de fortune risquent dorénavant de montrer davantage de curiosité vis-à-vis des financements proche-orientaux, sachant que sur ce sujet la justice américaine ne plaisante guère.
Alors que l’Union européenne s’interroge encore sur l’utilisation éventuelle par le Hamas de son soutien financier aux palestiniens, la Suisse a fait le tri il y a cinq ans déjà. C’est ce qu’ont constaté les journalistes de Tamedia, qui se sont penchés sur la liste des organisations actives au Proche-Orient subventionnées par la Suisse.
Entre 2017 et 2022, le nombre d’ONGs soutenues par le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) a été réduit de moitié, passant de 69 à 30. L’enveloppe globale a aussi diminué. En 2022, le montant total des contributions de la Suisse aux ONGs locales s’est élevé à 5 millions de francs (5,25 millions d’euros), soit 2 millions de moins qu’en 2017.
L’an dernier, la Confédération a octroyé des fonds à 13 ONGs palestiniennes (pour un total de 2,9 millions CHF) et à 13 ONGs israéliennes (pour 1,9 million CHF). Les 180 000 francs restants sont allés à l’Initiative de Genève, qui vise à réfléchir à une solution à deux États, mais Berne s’en désengagera à la fin de l’année, et à trois autres ONGs classées dans la catégorie ‘‘à définir’’. Mais le gouvernement helvétique affirme qu’il attache une « grande importance à ce que son soutien financier soit utilisé à bon escient ».
Un dirigeant du Hamas en Suisse
Pays neutre, la Suisse a toujours mis en avant son rôle de bons offices, qui nécessite de pouvoir dialoguer avec toutes les parties (elle sert d’intermédiaire entre les États-Unis et l’Iran). Il y a plus d’une décennie, la socialiste Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères de 2003 à 2011, s’était beaucoup investie au Proche-Orient. En 2007, Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, avait été reçu avec les honneurs à Genève. Il avait même pu dialoguer avec l’Internationale socialiste, organisation qui regroupe les partis socialistes, sociaux-démocrates et travaillistes du monde entier. Mahmoud Abbas en a, d’ailleurs, profité pour dénoncer le « coup d’État sanglant » que le Hamas venait de perpétrer dans la bande de Gaza…
Deux ans plus tard, la Suisse recevait Mahmoud al-Zahar, alors chef de la branche politique du Hamas. « C’est un acteur qui compte, on ne peut pas l’ignorer dans la résolution du conflit », expliquait la ministre suisse des Affaires étrangères. Le dirigeant palestinien, dont deux des fils ont été tués lors d’affrontements avec l’armée israélienne, avait pu rencontrer non seulement des diplomates, mais aussi des parlementaires et des journalistes. Résultat, les relations entre Berne et Tel-Aviv s’étaient alors nettement rafraîchies.
Au lendemain des attaques du 7 octobre dernier, l’actuel titulaire du Département des Affaires étrangères, le libéral-radical (droite) Ignazio Cassis, s’était précipité pour annoncer que la Confédération ne pouvait pas « classer le Hamas comme organisation terroriste ». Il a, presque aussitôt, été désavoué par les autres membres du gouvernement.
1- Florent Quiquerez, « La répudiation du Hamas par la Suisse est programmée », 24 heures, 9 octobre 2023.
2- Sylvain Besson, « Qui se cache derrière l’ONG suisse accusée de flirter avec le terrorisme ? », Le Temps, 28 août 2003.