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L’Université Libre de Bruxelles malade d’un manque de libre-examen !

30 mai 2024 Expertises   60529  

Nadia Geerts

Depuis le 6 mai 2024, des activistes occupent un bâtiment de l’Université Libre de Bruxelles. Dans leur communiqué, ils affirment, toute honte bue, prendre cette décision « après plus de 7 mois de génocide et 76 ans d’une Nakba ininterrompue », sans un mot, bien sûr, pour le pogrom du 7-Octobre !

Le soir-même le coprésident de l’Union des Étudiants Juifs de Belgique (UEJB), Gad Deshayes, était frappé au visage et au ventre par un activiste qui a ensuite tenté de l’étrangler, et deux étudiants qui avaient eu le culot de passer par là avec un drapeau israélien se faisaient également agresser et traiter de « Sionistes, fascistes, c’est vous les terroristes ! ».

Quelques jours plus tard, des immondices et de la peinture étaient jetés sur le bâtiment du rectorat car, « Depuis plus d’une semaine, les autorités de l’ULB nous mènent en bateau, méprisent nos revendications et n’entendent rien ! Nous n’avons pas d’autres choix que d’intensifier notre lutte pour le peuple palestinien, contre le génocide, pour la fin de la colonisation et la fin de la complicité de l’ULB ! ».

Parmi les revendications de ces activistes figurent la cessation des « partenariats actifs entre l’ULB et l’entité sioniste israélienne » et l’annulation immédiate de la venue à l’ULB d’Élie Barnavi, prévue le 3 juin. Car Élie Barnavi fut, horresco referens, ambassadeur d’Israël en France de 2000 à 2002.

Informé de cette volonté d’empêcher sa venue, Élie Barnavi a dénoncé l’« abyssale ignorance » de ces étudiants qui se vautrent dans leur bonne conscience, se faisant ainsi les alliés objectifs à la fois du Hamas, organisation génocidaire, et du gouvernement extrémiste israélien.

Et en effet, réclamer le boycott d’Élie Barnavi, c’est ne rien connaître au parcours de ce brillant intellectuel, farouchement opposé à l’occupation, et qui a d’ailleurs enseigné trois ans à l’université al-Qods, en Palestine occupée. C’est obéir à un réflexe pavlovien consistant à faire de toute personne ayant un lien quelconque avec Israël, un agent du mal. Et ce réflexe porte un nom : antisémitisme.

Est-ce la même abyssale ignorance qui explique que le bâtiment occupé ait été renommé Walid Daqqa, nom d’un membre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) récemment décédé en prison ? Que sur sa façade trône une bannière à l’effigie du terroriste libanais Georges Ibrahim Abdallah ainsi qu’un étendard d’une femme en kéfié, kalachnikov à la main ? Un beau tableau à la gloire du terrorisme – pardon, de la ‘‘résistance’’ –, en somme… !

On ne peut que se féliciter que la rectrice Annemie Schaus ait affirmé très clairement que jamais elle ne cèderait « ni aux intimidations, ni aux pressions, ni aux menaces » et qu’en conséquence, Élie Barnavi serait bien présent le 3 juin lors de débats qui « donneront la parole aux quelques voix qui réussissent, envers et contre tout, à échapper au vacarme des postures qui nous montent les uns contre les autres et perpétuent le cycle de la violence, au Moyen-Orient comme ici ». Et l’ULB a également annoncé porter plainte suite aux actes de violence commis envers le président de l’Union des étudiants juifs de Belgique et l’agent de la sécurité qui tentait de s’interposer.

Mais l’occupation du bâtiment se poursuit, tout comme persistent les prières clandestines dans des lieux de l’ULB privatisés à cet effet. L’ULB est au courant, mais ne fait rien. Pourquoi ?

Il faut admettre que cela fait plusieurs années que l’Université Libre de Bruxelles est malade. Malade de son libre examen, ou plutôt de l’instrumentalisation de ce dernier à des fins qui n’ont absolument rien à voir ni avec un quelconque examen des idées émises, ni avec la liberté de les examiner avec toute la distance requise.

En 2012 déjà, l’essayiste Caroline Fourest, invitée à présenter une conférence sur le thème ‘‘L’extrême droite est-elle devenue fréquentable ?’’, était odieusement chahutée et empêchée de s’exprimer par quelques activistes, parmi lesquels un chercheur et assistant, par conséquent membre du personnel de l’ULB, Souhail Chichah.

L’événement, passé à la triste postérité sous le nom de ‘‘Burqa bla-bla’’ était annoncé sur Facebook : il s’agissait de trouver cent personnes prêtes à revêtir une burqa pour participer à une ‘‘Burqa Pride’’ dans l’enceinte où devait se tenir la conférence. Des messages privés envoyés par Chichah précisaient davantage le projet, en le complétant d’un entartage en règle.

Chichah n’en était pas à son coup d’essai. Il avait déjà, entre autres élégances, traité un éminent professeur de l’ULB de ‘‘suceur de bites sioniste’’. Mais cette fois, l’ULB annonça le lancement d’une procédure disciplinaire susceptible d’amener Souhail Chichah devant la commission de discipline, seule autorité compétente pour prononcer des sanctions disciplinaires majeures. Et en fait de sanction majeure, l’intéressé fut suspendu pendant un mois, sans perte de salaire ! C’est ensuite et de son plein gré qu’il quitta l’ULB. Il enseigne désormais aux USA, au Williams College. Ses recherches portent sur la théorie du capital, l’anthropologie de la blanchité et la généalogie du racisme. Il a publié en mars 2023 un article avec François Burgat, intitulé ‘‘L’islamisation de la France : acteurs et ressorts d’une dangereuse rengaine’’.

Quant à Caroline Fourest, qui n’envisage plus de remettre les pieds à l’ULB depuis ce ‘‘Burqa bla-bla’’ de la honte, elle avait déjà été victime d’un entartage en 2007, dans la même enceinte universitaire, et (ironie du sort) dans le contexte du ‘‘chantier valeurs’’ mis sur pied par les autorités académiques pour tenter, sous la houlette de la conseillère au recteur Philippe Vincke, Emmanuelle Danblon, de répondre à la question « Que signifie le libre examen aujourd’hui ? ». Il s’agissait plus précisément de « proposer à la communauté universitaire de s’engager dans une réflexion collective pour redessiner ensemble les conditions de l’exercice du Libre Examen en ce début de 21ème siècle. Cette invitation en passait par une redéfinition de notre vision actuelle des valeurs traditionnellement portées par le Libre Examen, c’est-à-dire les valeurs héritées des Lumières : la raison, le progrès, la laïcité, la liberté mais aussi la vérité scientifique. »1

Mais tandis que Caroline Fourest était par deux fois malmenée à l’ULB, le prédicateur Tariq Ramadan, petit-fils du fondateur des Frères musulmans Hassan el-Banna, y avait quant à lui ses entrées, jusqu’à ce que le recteur Philippe Vincke prenne la décision d’annuler sa venue. Caramba ! Comment osait-on censurer la venue du célèbre prédicateur ? C’était de toute évidence le signe d’une coupable « aversion à l’égard de nouvelles diversités culturelles et religieuses », et cela donna naissance au Collectif des cent valeurs, d’emblée conçu par certains membres du corps académique comme un contrepoids au chantier valeurs, et qui s’empressa d’inviter… Tariq Ramadan, mais cette fois aux côtés de Malek Chebel et Youssef Seddik. Deux cercles étudiants coorganisaient la rencontre portant sur le rapport de ‘‘l’Islam aux lumières’’ : le Cercle du libre examen et le cercle des étudiants arabo-européens (CEAE). Et l’événement, organisé dans le grand amphithéâtre Émile-Janson (1200 places) fit salle comble, en présence du ministre de l’Enseignement supérieur lui-même.

Le CEAE est probablement l’un des cercles étudiants les plus dynamiques de l’ULB. Et ces dernières années, il a organisé de nombreux événements, parfois en collaboration avec le Cercle du Libre examen, donnant la parole à nombre d’acteurs de la scène islamique franco-belge : Malika Hamidi, Mahinur Özdemir, Marwan Muhammad, Yacob Mahi, Mehmet Saygin, Fatima Zibouh, Asmae Bakach, Myriam Lhboubi, Mustapha Chairi, Ihsane Haouach, Kaoutar Boustani, etc. Que du beau monde, dont la proximité de certains avec les Frères Musulmans est avérée, de même que celle de certains autres avec l’AKP. Et aujourd’hui, le CEAE proclame fièrement son soutien à ‘‘Free Palestine’’, y compris en invitant tout récemment BDS ou l’avocat et activiste franco-palestinein Salah Hamouri.

Mais revenons en 2007. La fracture entre les tenants d’un ‘‘chantier valeurs’’ et les adeptes du Collectif des cent valeurs amena finalement le Conseil d’administration de l’ULB à enterrer purement et simplement le Chantier valeurs, le 15 septembre 2008. Dans la foulée, le nom de la conseillère aux valeurs fut tout simplement barré de la liste de l’équipe rectorale, sans qu’aucune annonce ne fut faite ni à la communauté universitaire, ni encore moins à la presse.

De cet enterrement dans la plus grande discrétion du Chantier valeurs en 2008 à l’occupation en 2024 d’un bâtiment en soutien à la Palestine, voire au Hamas, en passant par la ‘‘Burqa bla-bla’’ et les lieux de prière clandestins, connus de longue date des autorités académiques, l’ULB cherche manifestement à ne pas faire de vagues, et ne recourt à des procédures disciplinaires qu’avec la plus grande réticence. Ce souci de laisser libre cours à l’expression d’idées variées pourrait l’honorer, tant il trouve sa source, au moins partiellement, dans le sincère attachement de l’institution au libre examen. Mais en réalité, on assiste de plus en plus souvent, sous couvert de libre examen, à une véritable prise de pouvoir, émanant d’activistes et/ou de bigots dont il y a fort à parier, d’ailleurs, qu’ils ne sont pas tous, loin s’en faut, des étudiants de l’ULB, sans même parler de leur définition du libre examen ou leur avis sur le Hamas.

Ce 23 mai, la rectrice Annemie Schaus, accompagnée de Marius Gilbert (vice-recteur à la recherche) et de trois professeurs de l’ULB – Corinne Torrekens (spécialiste de l’islam), Andrea Rea (spécialiste des migrations) et Olivier Corten (professeur de droit international) – a même été reçue dans ce squat géant. Les occupants étaient manifestement peu disposés à faire le moindre compromis ni sur le fond, ni sur la forme. Et d’ailleurs, pourquoi l’auraient-ils été, puisqu’à quelques nuances près, leurs invités soutenaient leur combat ? Corinne Torrekens déclara ainsi aux occupants du bâtiment : « Je suis fière de vous », et Olivier Corten n’hésita pas à affirmer son soutien de principe à la résistance armée, sans que la rectrice s’en émeuve.

Aussi n’est-il pas étonnant que le Conseil académique ait voté ce 27 mai la fin de toute collaboration avec les universités israéliennes, ajoutant qu’il n’y aurait pas non plus de partenariat avec une université palestinienne. Mieux encore : une vingtaine de conseils académiques ont annoncé qu’ils feraient une « grève de la surveillance » et laisseraient donc les étudiants tricher lors des examens. Ils seront reconnaissables, expliquent-ils, car ils arboreront dans les amphithéâtres et les salles d’examen des pin’s, des autocollants ou des kéfiés.

Il est grand temps de siffler la fin de la récréation, pour que chacun puisse à nouveau se sentir chez lui, en sécurité, sur ce campus universitaire. Faute de quoi, la vénérable institution deviendra chaque jour davantage la chasse gardée d’activistes plus attachés au voile et à la Palestine qu’au noble projet qu’énonçait son fondateur, Pierre-Théodore Verhaegen, lors de son Allocution au Roi Léopold Ier, le 1er janvier 1854 : « Examiner, en dehors de toute autorité politique ou religieuse, les grandes questions qui touchent à l’homme et à la société, sonder librement les sources du vrai et du bien, tel est le rôle de notre Université, telle est aussi sa raison d’être. »

1- Emmanuelle Danblon, ‘‘Le Libre Examen et les valeurs de l’U.L.B. Un chantier de réflexions’’, https://www.amub-ulb.be/system/files/rmb/old/412