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Belgique : Les dessous d’une fiche (pas très) pédagogique sur le conflit israélo-palestinien !

8 novembre 2023 Expertises   45367  

Nadia Geerts

Depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre dernier, le conflit fait à nouveau rage au Proche-Orient, tandis que son inévitable importation fait des dégâts considérables en Europe et en Belgique en particulier, notamment à cause d’une résurgence préoccupante des actes antisémites. Agressions physiques et verbales, tags, publications et autres visuels comparant Israël avec l’Allemagne nazie… La liste est longue des manifestations de haine envers la communauté juive, tant et si bien que les écoles et les lieux de culte juifs font l’objet d’un contrôle renforcé dans l’ensemble de la Belgique, et plus particulièrement à Bruxelles et Anvers.

La jeunesse est particulièrement concernée par cet embrasement. Il était donc indispensable de prévoir au plus vite, dans les écoles, un retour distancié sur les événements tragiques qui se déroulent actuellement en Israël et dans la bande de Gaza. Le ministère de l’Enseignement francophone s’était donc engagé à fournir au plus vite un support pédagogique sur cette thématique. Cette fiche est finalement publiée après quatre longues semaines. Et son contenu est pour le moins décevant. Retour sur un accouchement difficile.

Le 17 octobre, interpellé sur la question, le cabinet de la ministre de l’Éducation, Caroline Désir (PS) assurait que l’Agence fédérale de développement Enabel, qui produit ponctuellement des outils pédagogiques, publierait incessamment sur le site Questions vives1 une fiche pédagogique consacrée au conflit actuel au Proche-Orient.

Comme toutes les autres fiches thématiques, elle serait composée de deux grandes parties : la première consacrée aux informations factuelles, la seconde aux pistes de réflexion. Une méthodologie à laquelle on ne peut que souscrire, car il est essentiel de se plonger d’abord dans l’histoire de ce conflit qui dure depuis 75 ans pour tenter d’y voir clair.

Enabel est en réalité l’agence de coopération belge au développement. Pour réaliser ses fiches, elle s’entoure du Haut Conseil à l’éducation aux médias (CSEM), d’Amnesty International et de notre chaîne d’information publique, la RTBF. Elle se vante sur son site d’être particulièrement rapide : « La force de ce dispositif réside dans la grande réactivité à laquelle les partenaires s’engagent : les fiches sont publiées et envoyées maximum 36 heures après la survenue d’un événement d’actualité vive. ». En outre, elle s’engage, pour ce qui concerne le volet informatif, à « présenter les faits tels qu’ils sont connus et vérifiés au moment de la rédaction de l’article ».

Alors pourquoi la publication de la fiche consacrée au conflit israélo-palestinien a-t-elle pris non pas 36 heures, mais plus de 600 ?  Elle aurait été retardée par le cabinet de Caroline Gennez, la ministre (du parti Vooruit, socialiste flamand) de la Coopération au développement, qui devait valider son contenu. Le sujet serait par ailleurs tellement ‘‘explosif’’, sans mauvais jeu de mots, que la peur des conséquences aurait paralysé les rédacteurs de ladite fiche. Elle s’ouvre d’ailleurs sur cet avertissement : « Le sujet abordé est sensible et nécessite une grande prudence. Nous ne pouvons être tenus responsables des difficultés qui pourraient en résulter. ». Nous voilà prévenus !

Quant au volet informatif, on le chercherait en vain : les auteurs ont préféré se référer à trois sources médiatiques dont ils se bornent à mentionner les liens, avant de proposer quelques pistes pour appréhender la complexité de la situation. Or, comment peut-on sérieusement envisager de penser les faits, avec toute la distance requise, sans avoir un minimum d’informations sur la chronologie de ce conflit, le contexte historique, la géographie de la région ou les enjeux géopolitiques ? N’est-ce pas précisément à l’école de fournir ces informations, d’une manière qui soit à la fois accessible, succincte, complète et factuelle, c’est-à-dire en toute équité ?

Et à propos de neutralité, justement, la fiche précise que « Les auteur·es de cette fiche ont veillé à ne pas poser une question centrale, aussi visible qu’un éléphant dans un couloir : à quel camp donner raison ? Plusieurs explications conjuguent leurs effets : la crainte de s’attirer les foudres – parfois extrêmement violentes – des adeptes de tel ou tel camp ; la nécessité de respecter les règles relatives à la neutralité des espaces scolaires et la volonté d’offrir des espaces de réflexion sereins sur des éléments connexes à ce conflit. »

Le questionnement est à la mode, particulièrement en pédagogie. Ses défenseurs insistent sur la nécessité de susciter l’intérêt des élèves, et on ne pourra évidemment que les approuver sur ce point. Mais s’agissant d’un sujet aussi brûlant, gageons que l’intérêt est déjà bien là, et osons même suggérer qu’il est parfois excessif, si on le compare à celui suscité par d’autres conflits faisant de nombreuses victimes innocentes – on pense ici aux Ouighours, aux Ukrainiens, aux Soudanais, aux Birmans, aux Iraniens ou aux Éthiopiens par exemple.

Alors, tant qu’à poser des questions, pourquoi ne pas inviter les élèves à un petit en arrière, en quête d’informations vérifiées, permettant par exemple de répondre à ces quelques questions :

Qu’est-ce que le Hamas ?

Quelle est la composition actuelle du gouvernement israélien ?

Que s’est-il passé le 7 octobre 2023 ?

Pourquoi Israël a-t-il instauré un blocus de la bande de Gaza en 2007 ?

Pourquoi le processus de paix de 2005 a-t-il échoué ?

Que sont les intifadas, quand ont-elles vu le jour et quels ont été les déclencheurs ?

Qui était Yasser Arafat et comment sa position politique a-t-elle évolué, depuis la création de l’OLP en 1964 jusqu’aux accords d’Oslo en 1993 et à sa mort en 2004 ?

Qui était Yitzhak Rabin, pourquoi et par qui a-t-il été assassiné ?

De quand date le premier traité de paix entre Israël et un pays arabe ?

Qu’est-ce que la guerre du Kippour, pourquoi s’appelle-t-elle ainsi et comment s’est-elle terminée ?

Qu’est-ce que la politique des ‘‘trois non’’ établie en 1967 ?

Quand et pourquoi Israël a-t-il commencé à installer des colonies en Palestine ?

Qu’est-ce que la ‘‘nakba’’ ?

De quand date la première guerre israélo-arabe ?

Qu’est-ce que la déclaration Balfour ?

Qu’était la Palestine avant le plan de partage de 1948 ?

Dans un second temps, d’autres questions, plus axées sur la réflexion, peuvent alors être proposées telles que :

Selon vous, le plan de partage instauré par l’ONU en 1948 était-il juste ? Pourquoi ?

Peut-on considérer que l’installation d’un foyer juif en Palestine était une erreur ?

Est-il envisageable, 75 ans plus tard, de remettre en cause l’existence d’un État juif dans la région ?

Quelles seraient les frontières justes, selon vous, des deux États (Israël et Palestine) ?

Est-il envisageable, selon vous, que le conflit débouche sur une solution à un seul État, où coexisteraient pacifiquement les deux peuples ?

En remontant le fil de l’Histoire, à quels moments chacune des parties a-t-elle, selon vous, manqué une occasion d’instaurer une paix durable dans la région ?

Quel est, selon vous, le poids du facteur religieux dans ce conflit ?

On présente souvent ce conflit comme opposant deux camps. Il existe pourtant des Arabes qui défendent Israël et des Juifs qui soutiennent la Palestine. Trouvez des exemples.

Que pourrait faire, selon vous, le peuple palestinien pour obtenir la paix et la sécurité ?

Que pourrait faire, selon vous, le peuple israélien pour obtenir la paix et la sécurité ?

Cette liste n’est évidemment pas exhaustive, et il faudrait y ajouter une recherche approfondie sur ce que prévoit notamment le droit international en matière de guerre, afin de définir plus précisément les concepts de crime de guerre, crime contre l’humanité, génocide, terrorisme, colonisation.

Cependant, dans un tel contexte, il est illusoire et même scandaleux de ne fournir aux enseignants que cinq ‘‘minables’’ pages qui ne prennent absolument aucun risque et n’aideront certainement personne à y voir clair. Surtout, en invitant les élèves à se prononcer sur des faits dont ils n’ont aucune information, on ne peut que les encourager à se maintenir dans une posture essentiellement guidée par l’émotion. Le plus ‘‘drôle’’ étant finalement que cette fiche pédagogique qui est entièrement composée de questions – généralement sans réponse – se clôture par un second avertissement précisant que « Les idées présentées dans ces fiches ne reflètent pas forcément les positions de BeGlobal-Enabel, d’Amnesty International Belgique francophone, du Conseil supérieur de l’éducation aux médias ou de la RTBF ».

Qu’en conclure, sinon que la peur règne en maître, y compris chez ceux qui devraient pourtant nous aider à y voir clair et contribuer à apaiser les tensions ?

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1- https://questionsvives.be