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L’État juif et ses allies islamistes !

24 juin 2021 Expertises   50563  

Martine Gozlan

Il faut s’y faire, Israël n’est pas un pays comme les autres. La normalité, but ultime du projet sioniste, est toujours hors d’atteinte, dans le regard porté par le monde sur l’Etat juif ou dans celui qu’il porte sur lui-même. Qui aurait imaginé en effet que la chute de Benyamin Netanyahou serait provoquée par la coalition la plus disparate, la plus originale, la plus invraisemblable de toutes les scènes politiques de la planète ?

Sous la houlette du nouveau Premier ministre Naftali Bennett, issu de la droite religieuse, et partisan de l’annexion en Cisjordanie, travaillent en effet des personnalités que tout semble séparer. Une héritière de la gauche et pasionaria LGBT, Merav Michaeli, ministre des transports, pose à côté de la star de la droite annexionniste, Ayelet Shaked, ministre de l’Intérieur. Le ministre de la coopération régionale, Issawi Frej, un Arabe israélien membre du Meretz, le parti d’extrême-gauche qui milite pour  l’évacuation des colonies, fraternise avec Avigdor Lieberman, ministre des finances, leader du parti « Israël Beitenou » (Israel notre maison) qui s’illustra naguère par des diatribes antiarabes. La liste des ministres ressemble à l’inventaire de Jacques Prévert. Yair Lapid, ministre des affaires étrangères, centriste et militant laïque, semble aux antipodes de Naftali Bennett qu’il remplacera comme Premier ministre en 2023 selon l’accord de rotation.

Mais le plus étonnant et le plus symbolique, c’est l’ultime alliance qui a permis à la coalition d’exister et de donner enfin à Israël un gouvernement après quatre scrutins en deux ans. Celle tissée avec Mansour Abbas, chef du parti islamiste Raam,  huitième invité de cette surprise-partie politique aussi halal que cacher.

Mansour Abbas, un dentiste de 47 ans, vient de Maghar, au nord. Une ville majoritairement druze mais lui ne l’est pas. Musulman fervent, cet islamiste serait plus pur que dur. Raam est en effet le bras politique de la branche sud du parti islamique. Il se distingue de la branche nord dirigée par le très nerveux cheikh Raed Salah. Ce dernier purge une peine de 28 mois de prison pour incitation au terrorisme. On retrouve l’homme derrière les émeutes récurrentes et meurtrières sur l’Esplanade des Mosquées (le Mont du Temple pour les juifs) de ces dernières années.

Mansour Abbas est son antithèse. Adepte de la négociation, il entend défendre les intérêts de sa communauté et juge contreproductive l’attitude d’opposition systématique de la Liste arabe unie, à laquelle il s’était joint pendant un temps.

Les Arabes israéliens, qui se désignent comme les « Palestiniens d’Israël » représentent 20% de la population. On les retrouve dans tous les secteurs de la société. Sans les médecins arabes, jamais la campagne massive de vaccination n’aurait pu fonctionner. Des cardiologues arabes et juifs soignent ensemble à l’hôpital Hadassah, à Jérusalem, des enfants venus des territoires palestiniens et de Gaza. La vice-présidente de l’Université hébraïque est une arabe israélienne. Mais la fracture sociale s’accroit, dans un pays livré à l’ultralibéralisme débridé du règne de Netanyahou. La violence des gangs ensanglante la communauté qui reproche à la police israélienne de ne pas lui venir assez en aide.

Alors que le conflit faisait rage en mai dernier entre Israël et le Hamas, le spectre de la guerre civile entre arabes et juifs a plané. Il y eut des morts et des attaques de part et d’autre. Un traumatisme bien plus profond pour les Israéliens que l’autre conflit. Car il constitue une menace vitale pour ce pays où bon an, mal an, les enfants d’Abraham travaillent et vivent ensemble, munis du même passeport qu’orne un chandelier à sept branches.

Il fallait donc réconcilier d’urgence juifs et arabes. Mansour Abbas, au lendemain des émeutes, s’était rendu dans la synagogue de Lod, incendiée, en affirmant qu’il participerait à sa reconstruction. Un geste qui a cimenté l’accord avec Naftali Bennett.

Le chef du parti Raam, désormais en charge des affaires arabes au cabinet du Premier ministre, a surmonté deux épreuves dès les quinze premiers jours de son arrivée au pouvoir. Ce fut d’abord la « marche des drapeaux » organisée à Jérusalem par l’extrême-droite et qui constitue pour les Palestiniens une source de tension considérable. Ensuite la prolongation de la loi sur le regroupement familial qui interdit l’attribution de la nationalité israélienne à un Palestinien de Cisjordanie en cas de mariage avec une Palestinienne d’Israël. Mansour Abbas a fini par se rallier après des compromis avec Ayelet Shaked, à l’Intérieur. Rien ne colle et pourtant tout tient.

« Le pari d’intégrer un parti arabe dans le processus politique israélien est une étape majeure, observe Pascale Zonszain, qui dirige la rédaction de la revue Menora. Elle peut marquer le début d’un changement conceptuel à long terme sur l’intégration de la population israélienne. »

Il sera en tous cas plus difficile désormais d’accuser l’Etat hébreu d’apartheid !

* Journaliste et essayiste, rédactrice en chef à l’hebdomadaire Marianne, spécialiste de l’islamisme et du Moyen-Orient.