C’est l’histoire d’un homme qui s’est engagé dans le djihad à 21 ans, a croisé le fer avec le Grand satan occidental, durant deux décennies, pris le pouvoir par les armes, s’est fait ‘‘élire’’ président de la République, non pas par les urnes mais par la seule Bay’a (prestation d’allégeance) de ses disciples. Et le voici reçu avec les honneurs à l’Elysée et présenté comme un ‘‘modéré’’ ayant renoncé à la violence djihadiste, qui mènerait une transition démocratique dans son pays. Et ce alors même que ses disciples continuent à massacrer les minorités…
Il a suffi que le leader de Hay’at Tahrir al-Sham (ex-Jabhat al-Nusra, filiale syrienne d’al-Qaïda) troque son turban djihadiste contre un treillis militaire, pour qu’on le qualifie de chef de la résistance ! Qu’il renonce à son nom de guerre (Abou Mohammed al-Joulani) au profit de son nom d’état-civil, inconnu jusque-là (Ahmed al-Charaa), pour qu’on s’empresse d’en déduire qu’il est devenu ‘‘modéré’’ !
Et sitôt le tyran Assad renversé, s’imposant (par la force des armes) comme le nouveau maître de Damas, il tomba l’uniforme, s’affichant désormais en parfait gentleman erdogano-frériste : costume-cravate, barbe soigneusement taillée et sourire (de circonstance) ostensiblement affiché… Et le voici érigé en modèle de ‘‘post-islamisme’’ (rien que ça !), par les plus zélés ‘‘spécialistes de la spécialité’’ islamique ! Et adoubé, par les chantres de la realpolitik et du pragmatisme géostratégique, comme chef de file d’un ‘‘néo-djihadisme’’, prétendument ‘‘inclusif’’ et ‘‘localisé’’, qui serait tolérant et sans portée ou ambition transnationale. Oxymores criants, qu’on nous avait déjà servis, durant l’été 2021, à propos des Talibans, lors des accords de Doha qui avaient ouvert la voie à leur retour au pouvoir à Kaboul. On connaît la suite…
Face à tant d’insanités, théorisées et propagées par de pseudo analystes portés par une étrange fausse naïveté (et vraie stupidité !) qui les amènent, à chaque soubresaut géopolitique, à vouloir prendre leurs désirs pour des réalités (et chercher, de ce fait, à nous faire prendre les vessies pour des lanternes), quelques vérités évidentes mériteraient d’être rappelées :
– Le fondamentalisme intégriste peut-il devenir ‘‘inclusif’’ ?
Les pratiques sanguinaires des ‘‘Talibans 2.0’’, présentés (à coups de millions de com’ qatarie) comme ayant changé et renoncé à leurs visions moyenâgeuses (notamment en ce qui concerne le statut des femmes), prouvent que le totalitarisme et l’intolérance sont constitutifs (et donc indissociables) de l’ADN islamiste. Et, au-delà de quelques nuances de gris tactiques, rien n’indique qu’il en sera autrement avec les nouveaux maîtres (djihadistes) de Damas : remise en question de la mixité dans les écoles, refus par al-Joulani de serrer la main des femmes (fussent-elles ministres de pays occidentaux venues le soutenir), obligation faite aux influenceuses et autres groupies youtubistes cherchant à prendre des selfies aux côtés du nouveau Raïs syrien, de se couvrir les cheveux…
– Le fanatisme est-il compatible avec le pluralisme ?
En dépit de la cécité (feinte ou réelle ?) des chancelleries occidentales, qui prêtent aux nouveaux maîtres de Damas la volonté de conduire une ‘‘transition’’ qui respecterait les libertés et protègerait les droits de toutes les composantes politiques, confessionnelles et ethniques de la Syrie, la réalité est tout autre : les nominations décidées par al-Joulani traduisent la volonté d’imposer au pays une chape de plomb djihadiste. Ainsi, le chef de l’actuel gouvernement syrien, Mohammed al-Bachir, est celui-là même qui était à la tête du ‘‘gouvernement du salut’’, instauré par le HTS dans son fief d’Idlib (2017-2024), qui n’avait rien à envier (en matière d’application zélée de la Charia) au gouvernement de Kaboul. Pis encore, son ministre de la Justice, Shadi al-Waisi, est un criminel de guerre qui exécutait, de ses propres mains, les femmes adultères dans le gouvernorat d’Idlib.
Preuve, s’il en faut, qu’il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, de telles balivernes ont toujours le vent en poupe, en dépit des exactions perpétrées par les disciples du nouveau président syrien contre les minorités alaouites, kurdes et druzes,
– Le djihadisme peut-il renoncer au califat mondialisé transnational ?
Bien qu’il n’y ait nul doute sur l’obédience djihadiste des groupes qui ont pris Damas, bien des âmes charitables en Occident considèrent que leur prise de pouvoir est moins dangereuse, car ils auraient (prétendument) renoncé au djihad mondialisé, n’affichant plus aucune volonté de mener ou soutenir des actions violentes en-dehors de la Syrie. De ce fait, ils seraient devenus adeptes d’un ‘‘néo-djihadisme non transnational’’, voire les précurseurs d’un ‘‘post-islamisme’’ qui intégrerait le concept de l’État-nation, mettant ainsi fin au projet expansionniste du ‘‘califat global’’ théorisé par les Frères musulmans et repris par les djihadistes d’al-Qaïda et de Daech.
Or, au-delà de l’indécence qui voudrait que la barbarie djihadiste serait plus tolérable, dès lors qu’elle n’opérerait plus qu’à l’intérieur de pays musulmans et renoncerait à vouloir frapper l’Occident, rien n’indique qu’al-Joulani a réellement adopté ce prétendu ‘‘djihadisme non transnational’’. Sinon, pourquoi aurait-il donné le grade de général à 6 djihadistes de nationalités turque, jordanienne, albanaise, tadjike, égyptienne et chinoise, pour les intégrer à l’état-major de la nouvelle armée de la Syrie dont ils ne portent même pas la nationalité !