S’il est vrai que la vieillesse est un naufrage, dans le cas du raïs palestinien Mahmoud Abbas (85 ans), cela s’apparente davantage à une longue et lamentable noyade qui entraîne dans son sillage la Palestine toute entière et sa juste cause. Usé physiquement, isolé et contesté politiquement, Abbas multiplie les gaffes et aberrations, depuis de longues années. Ultime dérapage, s’exprimant le 24 août dernier devant le ‘‘conseil révolutionnaire’’ de son parti, le Fatah, il a proféré de gravissimes propos antisémites : « Hitler n’a pas tué les juifs parce que juifs […] mais uniquement à cause de leur statut social d’usuriers » a-t-il asséné.
Le raïs palestinien reprenait ici une théorie fumeuse qu’il avait déjà développée lors d’une ‘‘leçon d’Histoire’’ prononcée devant le Conseil national palestinien, à Ramallah, le 30 avril 2018, selon laquelle « la raison de l’holocauste n’est pas l’antisémitisme des Nazis, mais le ‘‘comportement social’’ des Juifs » ! Mais dans ses élucubrations du 24 aout dernier, il a enrichi cette théorie infamante d’un argument nouveau teinté de complotisme : dans une délirante tentative de prouver que les « nazis n’étaient pas antisémites », il avançait l’étrange argument selon lequel « les juifs ashkénazes ne sont pas sémites », car « ils sont les descendants des Khazars [peuple turc ancien] qui n’ont rien à voir avec le sémitisme ». Ce qui, bien entendu, n’a aucun fondement historique !
Pis encore, il y a un an, en visite en Allemagne, à la veille du cinquantenaire de l’attentat de Munich (attaque perpétrée par le groupuscule palestinien ‘‘Septembre noir’’, lors des Jeux Olympique de 1972, qui a coûté la vie à 12 personnes, dont 11 athlètes israéliens pris en otages puis exécutés par le commando palestinien), Abbas a été interrogé, lors d’une conférence de presse, pour savoir s’il ‘‘regrettait’’ ce carnage qui avait, à l’époque, choqué le monde entier. Rien n’obligeait le vieux raïs à faire son mea culpa. Il pouvait même éluder la question, comme les politiciens savent si bien le faire. Mais, non ! Il choisit la surenchère, se lançant dans d’étranges élucubrations, qu’il conclut par une formule qui a glacé tout le monde : « Les massacres perpétrés par les Israéliens contre le peuple palestinien équivalent à 50 holocaustes » !
En se laissant aller à un tel sacrilège précisément depuis la capitale allemande, Abbas a provoqué le « dégoût » du chancelier Olaf Scholtz et soulevé un tollé médiatique mondial, qui a trouvé – et c’est un fait inédit – un retentissant écho dans la presse arabe et palestinienne.
Ainsi, pour l’éminent éditorialiste palestinien, Ma’n al-Bayari, la problématique soulevée par cette « réponse catastrophique » ne devrait pas porter sur l’holocauste, mais sur l’inaptitude politique d’Abbas : « Que le président palestinien considère que les crimes de guerre commis par Israël depuis 80 ans ne peuvent apparaître suffisamment affreux que si on les considérait 50 fois plus odieux que l’holocauste nazi infligé aux Juifs, est une nouvelle preuve que ce type est inapte à être le leader d’un peuple qui milite contre les affres de l’occupation. Et que son comportement, sous le regard du monde entier et des médias internationaux, est nuisible à la position morale que mériteraient le peuple palestinien et son combat parmi les peuples qui aspirent à la liberté ». Et de conclure : « Ceci est une terrifiante misère qu’il faut dénoncer publiquement en affirmant, haut et fort, que le président palestinien n’est plus seulement illégitime [son mandat a expiré en 2009], mais aussi inapte à ce poste car il joue un rôle nuisible. »
Le plus terrifiant dans cette ‘‘misère’’ est que les dérapages antisémites de Mahmoud Abbad ne sont pas – seulement – dus au naufrage de la vieillesse. À 44 ans déjà, lors d’une thèse de doctorat soutenue à l’Institut des études orientalistes de Moscou (1982), il considérait que le nombre « avancé par des historiens » de 6 millions de victimes juives de la Shoah était « exagéré » !
Aussi étrange que cela puisse paraître, en dépit de toutes ces horreurs, Mahmoud Abbas est parvenu à se forger une réputation de ‘‘modéré’’, pour le simple fait d’avoir présidé les délégations palestiniennes pendant les négociations de paix, lors de la Conférence de Madrid en 1991 et des Accords d’Oslo en 1993. Or, il n’a pas été choisi pour une telle mission grâce à son charisme (inexistant) ou sa ligne politique (impossible à cerner), mais pour une simple raison bureaucratique : il était, à l’époque, le délégué aux relations internationales de l’OLP !
La prétendue ‘‘modération’’ d’Abbas – qui a poussé les autorités israéliennes à favoriser son ascension, au détriment de l’héritier le plus légitime d’Arafat au sein du Fatah, Marwan Barghouti – n’était qu’une illusion. La preuve en est que, dès son accession au pouvoir, il a instauré un système répressif et totalitaire, qui n’a rien à envier à ses homologues parmi les despotes arabes et comparé auquel même l’autoritaire et colérique Arafat passerait pour un Gandhi palestinien !
À la tête de l’Autorité nationale palestinienne depuis le 15 janvier 2005, Abbas s’accroche au pouvoir, en dépit du fait que son mandat a expiré depuis bientôt 14 ans ! Le 9 janvier 2009, à défaut de nouvelles élections présidentielles, il devait remettre son mandat au Président du Conseil législatif palestinien (CLP), qui assure – selon la Constitution palestinienne jamais respectée par Abbas ni par son prédécesseur Yasser Arafat – l’intérim présidentiel jusqu’à l’élection d’un nouveau raïs. Or, le CLP ne s’est plus réuni depuis le 5 juillet 2007, en raison de la sécession du Hamas qui, ayant pris le pouvoir de fait à Gaza, ne reconnaît plus l’Autorité de Ramallah.
Qu’a cela ne tienne, Abbas prolonge lui-même son mandat ad vitam æternam, en s’autodésignant ‘‘Président de l’État de Palestine’’ avec l’approbation du Conseil central de l’OLP contrôlé par son Parti, le Fatah. Contesté dans les Territoires palestiniens, en raison de la corruption généralisée de son administration et la multiplication des violations des droits de l’Homme ; isolé et discrédité sur la scène internationale et arabe, à cause de ses dérapages politiques et ses déclarations à l’emporte-pièce (contre La ligue arabe, l’ONU, les États-Unis, la Chine…), depuis 2009, Abbas forme, avec l’inamovible Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, un ‘‘duo maléfique’’. De concert, malgré leur diversité apparente, ils ont été les fossoyeurs du processus de paix initié par Yitzhak Rabin et Yasser Arafat en 1993.
Ultime tentative pour restaurer la légitimité de l’Autorité palestinienne, la Haute cour constitutionnelle de Palestine (HCCP) a rendu une courageuse ordonnance en décembre 2018 : constatant que le CLP, le pouvoir législatif de l’Autorité, est bloqué depuis juillet 2007 et comme en plus son mandat a expiré le 25 janvier 2010, elle ordonne l’organisation d’élections générales (législatives et présidentielles) dans un délai maximum de 6 mois.
Le vieux raïs a fait mine d’accepter. Mais, dès qu’un premier sondage, réalisé par ses propres moukhabarate, a indiqué que la liste menée par Mohammed Dahlan, l’ancien ministre de la Sécurité d’Arafat, réfugié à Abou Dhabi, pouvait l’emporter, Abbas a décidé – en despote aguerri – l’annulation pure et simple des élections !
En novembre dernier, une médiation algérienne est parvenue, à coups de ‘‘millions de pétro-dinars’’ à réconcilier – théoriquement – le Fatah et le Hamas. Selon les ‘‘Accords d’Alger’’, des élections générales palestiniennes devraient être organisées avant la fin octobre 2023. Nul doute cependant que le vieux Abbas trouvera une nouvelle ruse pour annuler le scrutin et se maintenir au pouvoir.