Les élèves qataris apprennent que les juifs, en « manipulant les marchés économiques et en accumulant d’immenses richesses » ont ruiné l’Allemagne après la Première Guerre mondiale. Il était donc logique que le Führer leur fasse payer cher leur infâme trahison. Ou comment biberonner, de l’enfance à l’adolescence, dans l’antisémitisme.
Dans « Mein Kampf », publié en 1925, le futur dictateur allemand fait référence à l’ouvrage « Les Protocoles des Sages de Sion », un faux, imaginé en 1902 dans la Russie tsariste, qui raconte un plan de domination du monde par les juifs et les francs-maçons. « Les Protocoles », traduit en allemand en 1909, permettent à Hitler de justifier la théorie du complot juif. Et plus tard l’extermination de six millions de juifs. Si les manuels scolaires qataris s’inspirent des « Protocoles », ils se gardent toutefois d’évoquer l’Holocauste, et donc de le cautionner. Les cours évoquent pourtant la haine de l’Allemagne nazi à l’encontre des populations juives européennes. Et, sans beaucoup de retenue, ils donnent raison au IIIe Reich.
C’est ce que l’on retient notamment d’un rapport de 128 pages, intitulé « Understanding Qatari Ambition. The Curriculum 2016-20 », réalisé par l’ONG israélienne IMPACT-se (Institute for Monitoring Peace and Cultural Tolerance in School Education). En se basant sur les normes internationales concernant la paix et la tolérance, définies par l’UNESCO, IMPACT-se s’est spécialisée dans la recherche, la traduction, la dénonciation de l’intolérance dans les manuels scolaires au Moyen-Orient. L’ONG a ainsi examiné 238 manuels qataris utilisés par les élèves inscrits dans douze niveaux différents, entre 2016 et 2020. Pour faire simple, comme le résume le Jerusalem Post du 26 août 2020, à l’école au Qatar, les juifs sont systématiquement présentés comme « méchants » et « immoraux ».
Le juif « traitre et comploteur »
L’ONG ne conteste pas le droit pour un pays arabe de dénoncer la politique israélienne, notamment vis-à-vis des Palestiniens. En revanche, IMPACT s’indigne de la manière dont l’émirat gazier éduque ses enfants par rapport à la religion, aux sociétés, aux cultures, aux valeurs démocratiques et surtout à l’autre. En clair, s’en prendre à un État même ennemi n’autorise pas pour autant à émettre des opinions racistes sur ses habitants et à développer systématiquement des contre-vérités. Or, si l’on en croit les manuels scolaires qataris, les juifs seraient capables de tout. A commencer par « prendre possession des femmes (musulmanes) grâce aux médias et à l’argent ».
Les élèves qataris apprennent également que les juifs ont de « mauvaises mœurs », qu’ils sont « perfides », et la plupart d’entre eux sont « immoraux ». Ils possèdent un « comportement corrompu ». Et du temps du prophète, les juifs se conduisaient en « traitres et en comploteurs ».
Les programmes éducatifs du Qatar peinent apparemment avec la vérité historique. Ils assurent ainsi que les Cananéens, comprenez les habitants de Canaan, seraient des Arabes. Cette région, située le long de la rive orientale de la mer Méditerranée, correspond plus ou moins aujourd’hui aux territoires réunissant l’État d’Israël, la Palestine, l’ouest de la Jordanie, le Liban, et l’Ouest de la Syrie. Eh bien, selon l’Éducation nationale du Qatar, « les Cananéens étaient en fait des Arabes venant de la Péninsule arabique qui s’installèrent sur les terres en – 6 000 ans, alors que les Juifs n’arrivèrent qu’en – 1400 ». Plus irrationnel encore, les petits qataris apprennent que « Jésus invitait sa nation à vénérer Allah », et que pour cette raison les juifs décidèrent de tuer Jésus ! « Cependant, Allah sauva son prophète Jésus de leurs mains et l’éleva vers les cieux. Le Tout-Puissant dit alors : “Et ils ne le tuèrent pas, ni ne le crucifièrent“ ».
Par ailleurs, les juifs auraient « accusé les prophètes d’être des menteurs et d’en avoir tué un certain nombre ». Les élèves sont d’ailleurs invité à réfléchir « aux crimes commis par les juifs contre Moïse, Jésus et Mahomet ».
Pas de place pour les juifs en Israël !
Difficile de ne pas être atterré par l’indigence de tels écrits. Le conflit israélo-palestinien n’est pas non plus traité avec plus de rigueur. Alors que le programme scolaire qatari dit soutenir une « culture de paix », Israël n’est jamais cité et n’apparaît sur aucune carte dans les manuels scolaires. Or, comment faire la paix si l’on ne négocie pas avec son ennemi ? Le manuel de « Social Studies » utilise, au contraire, un langage guerrier, en qualifiant les juifs d’« immigrants envahisseurs », et en parlant systématiquement de « gangs sionistes ». L’État d’Israël étant un État « colonisateur », et le « pire type de colonialisme », un État « occupant », et donc illégitime. Il doit donc être rejeté… En clair, Israël n’a pas sa place. L’école qatarie apprend donc aux élèves que leur religion leur impose de « libérer la Palestine du joug israélien et de ne laisser aucune place pour les juifs en Israël ».
Les livres de classe ne précisent toutefois pas s’il faut rejeter les juifs à la mer ou carrément les tuer tous. En revanche, ils insistent sur le rôle du Qatar pour soutenir la cause palestinienne. Et notamment la visite « historique » en 2012 du Sheikh Hamad bin Khalifa Al Thani dans la bande de Gaza. Toutefois, les enseignants préfèrent passer sous silence les négociations entre le Qatar et Israël afin justement de permettre la venue du souverain qatari dans la bande de Gaza. La cause palestinienne étant considérée comme l’une des principales causes du monde arabe, les efforts de l’émirat pour réconcilier les différentes factions palestiniennes est mise en avant, tout comme son intervention réussie pour « arrêter les offensives d’Israël contre la bande de Gaza ».
Les juifs ne méritent pas d’État !
Mais à force de dénigrer les juifs, les manuels scolaires finissent par se prendre les pieds dans le tapis. Ils peuvent écrire que tous les juifs sont des « juifs capitalistes » et qu’ils « obéissent aux ordres sionistes dans tous les pays », et affirmer dans le même temps que les juifs « n’ont aucune caractéristique d’une nation. Ils ne méritent pas d’État puisqu’il y a des juifs anglais, des juifs américains, des juifs français, des juifs russes, des juifs éthiopiens, etc. ».
Enfin, il faut rappeler que dans d’anciens manuels scolaires qataris (retirés en 2016) les juifs étaient décrits comme étant des « alliés des polythéistes, faisant partie de l’alliance éternelle anti-islamique ». Et que les « Peuples du Livre [juifs et chrétiens] s’opposèrent à l’islam tout en corrompant les musulmans ». En 2016, dans les ouvrages d’éducation islamique, les jeunes qataris pouvaient également lire que « le flambeau du mensonge fut porté par les polythéistes et leurs soutiens juifs. Tous les ennemis de la nation islamique s’étaient ralliés à eux. Ainsi les croisés attaquèrent les terres musulmanes » !
* Journaliste et écrivain, spécialiste des Frères musulmans.