Nombreux sont les films consacrés à l’horreur nazie et la Shoah que le Festival de Cannes a accueillis, célébrés et récompensés. Il y a notamment eu le tragi-comique ‘‘La vie est Belle’’ de Roberto Benigni (Grand Prix – 1997), l’émouvant et magistral ‘‘Le pianiste’’ de Roman Polanski (Palme d’Or – 2002), le sombre et poignant ‘‘Ruban Blanc’’ de Michael Haneke (Palme d’Or – 2009) et l’atypique et éblouissant ‘‘Le fils de Saul’’ de Laszlo Nemes (Grand Prix – 2015).
Par Atmane Tazaghart et Nicolas CheneCes œuvres majeures et nécessaires ont toutes fait face à la même et épineuse problématique : comment évoquer la Shoah sans en montrer l’insoutenable horreur ? Et de toutes les approches adoptées ou envisagées, celle de ‘‘The Zone of Interest’’ de Jonathan Glazer – qui a décroché le Grand Prix de ce 76ème Festival de Cannes – est, de loin, la plus éprouvante : le cinéaste britannique a fait le choix à la fois singulier et déroutant de filmer Auschwitz depuis la maison adjacente du commandant nazi Rudolf Höss, qui dirigea le terrible camp de mai 1940 à décembre 1943, puis à nouveau de mai à septembre 1944.
Depuis cette maison coquette – où ce criminel nazi menait une vie familiale des plus paisibles, s’occupant tendrement de ses enfants et entretenant soigneusement son jardin – on n’aperçoit du terrifiant camp de la mort que quelques cheminées de chambres à gaz. Et on n’entend de l’horreur qui s’y déroule que de vagues cris nocturnes qu’on devine être ceux de fugitifs qu’on abat à la mitrailleuse ou qu’on noie dans le fleuve.
L’horreur s’arrête au pas de la porte de la maison du commandant, tout comme les bottes militaires couvertes de sang que les convives y déposent, pour qu’un domestique les nettoie au tuyau d’arrosage. La famille du commandant s’y plaît tellement, que lorsqu’il reçoit un ordre de mutation, en décembre 1943, son épouse demande à y rester : « On a tout ce dont on a toujours rêvé ici » ! Et lorsqu’on lui demande d’y retourner, en mai 1944 – son successeur n’arrivant plus à tenir les macabres cadences, depuis la déportation des Juifs de Bulgarie (12.000 déportés par jour) – il se précipite vers le téléphone pour annoncer la ‘‘bonne nouvelle’’ à sa femme !
Au final, le film ne montre de l’horreur d’Auschwitz que quelques plans du musée actuel : murs d’effets personnels de déportés (habits, chaussures, prothèses en tous genres) mis sous verre, que les agents de ménage du musée s’appliquent à nettoyer soigneusement. Cependant, il a réussi l’exploit de pointer du doigt – comme jamais une œuvre cinématographique n’a pu le faire – ce que l’horreur nazie a de plus terrifiant : la ‘‘banalité du mal’’ personnifiée par ces ‘‘monstres à visage humain’’, capables d’accomplir les pires des crimes qu’un Homme puisse commettre, puis rentrer tranquillement à la maison, après les heures de ‘‘travail’’, pour s’occuper tendrement de leurs enfants et des roses de leurs jardins !