Dans le contexte tendu de la recrudescence des actes antisémites et (dans une moindre mesure) antimusulmans depuis les attaques du 7 octobre 2023, Écran de Veille a commandé à l’IFOP un sondage exclusif auprès des Français musulmans à propos du conflit israélo-palestinien et ses éventuelles répercussions en France. Cette enquête, dont nous publions ici les résultats détaillés, apportent trois enseignements principaux : deux bonnes nouvelles et une mauvaise.
Le premier point positif est le très faible soutien des Français musulmans au Hamas. Seuls 19 % expriment de la sympathie pour le mouvement islamiste. Un chiffre bien rassurant, compte tenu de l’attachement des Français musulmans à la cause palestinienne qui s’illustre dans ce sondage par 59 % de sympathie pour l’Autorité palestinienne (contre 10 % seulement chez l’ensemble des Français).
Ce faible soutien au Hamas contraste avec les tensions extrêmes qui ont vu le jour, notamment à la suite de l’interdiction des premières manifestations pro-Gaza en France. D’autant plus que la sympathie pour le mouvement islamiste palestinien est modérée par le degré de religiosité et l’âge des sondés : 14 % seulement chez les Français musulmans non pratiquants, contre 28 % chez les pratiquants très réguliers ; 24 % chez les 15-24 ans, contre 17 % seulement chez les 35 ans et plus.
Une sympathie inédite pour Israël, surtout chez… les plus religieux !
Plus étonnant encore, 9 % des Français musulmans expriment de la sympathie pour Israël. Cette empathie pour l’État hébreu est un fait inhabituel (même chez l’ensemble des Français, la sympathie pour Israël ne dépasse pas 28 % !). Cela s’explique par l’émotion provoquée, y compris chez les Français musulmans, par les atrocités des attaques du 7 octobre.
Autre indicateur inhabituel, les Français musulmans qui se disent ‘‘très pratiquants’’ expriment davantage de sympathie pour Israël (14 %) que les ‘‘non pratiquants’’ (9 %) ou les ‘‘pratiquants occasionnels’’ (5 %). Un phénomène qui peut surprendre, mais qui a déjà été relevé dans plusieurs pays musulmans où les personnes à la religiosité la plus intense (pour peu qu’elles ne soient pas adeptes du djihadisme) sont celles qui se sont dites les plus choquées par les horreurs du 7-Octobre : elles ont été sidérées que des combattants qui se réclament de l’islam puissent perpétrer des viols, des assassinats d’enfants, des enlèvements de vieillards et des mutilations de cadavres, bafouant ainsi le très strict ‘‘code de la guerre’’ édicté par la Charia qui prohibe précisément de s’en prendre aux femmes, aux enfants et aux vieillards ou de mutiler les cadavres.
Face aux atrocités du Hamas, la majorité de ces Musulmans à la religiosité très intense se sont réfugiés dans le déni : pour eux, de telles horreurs ne sauraient être l’œuvre de combattants islamistes. Ils alimentèrent, ainsi, les théories du complot selon lesquelles les atrocités du 7-Octobre seraient des ‘‘inventions de la propagande israélienne’’. D’autres (plus minoritaires) ont été plus lucides : tout en condamnant ces exactions, ils expriment, tout naturellement, de l’empathie pour les victimes israéliennes. Ils sont 14 % en France.
Nul ne souhaite l’importation du conflit en France
Seconde bonne nouvelle, et non des moindres, parmi les enseignements de ce sondage : les répercussions éventuelles du conflit israélo-palestinien suscitent de la crainte chez l’écrasante majorité des Français musulmans (76 %), comme chez l’ensemble de Français (82 %). Preuve que nul ne souhaite voir le conflit moyen-oriental importé ou transposé dans l’Hexagone. Ces chiffres se situent, donc, à l’exact opposé de certaines thèses très en vogue, notamment à l’extrême droite, selon lesquelles la France serait au bord de l’implosion communautariste.
Cependant, si les Français musulmans s’accordent avec l’ensemble de leurs concitoyens sur la nécessité de se prémunir des éventuelles répercussions en France du conflit au Moyen-Orient, les positions des uns et autres se détachent de ce point de consensus et s’opposent diamétralement sur d’autres aspects de la question israélo-palestinienne :
– 62 % des Français musulmans jugent approprié le terme de ‘‘nettoyage ethnique’’ pour désigner les opérations de l’armée israélienne et des colons en Cisjordanie, alors qu’au contraire, 62 % de l’ensemble des Français trouvent ce terme inapproprié ;
– 67 % des Français musulmans considèrent le traitement du conflit israélo-palestinien par les médias français favorable à Israël (22 % seulement le jugent objectif), alors que 50 % de l’ensemble des Français trouvent ce traitement médiatique plutôt objectif (38 % lui reprochent d’être pro-israélien) ;
– Quant à la position du gouvernement français dans le conflit israélo-palestinien, 58 % des Français musulmans pensent qu’elle penche plutôt du côté d’Israël (13 % seulement la trouvent neutre), alors que 31 % de l’ensemble des Français estiment que la position de leur gouvernement est neutre (20 % la trouve pro-israélienne). Autre point de divergence, à ce sujet, les avis des Français musulmans sont plus tranchés : seuls 12 % disent qu’ils ne savent pas, alors que 43 % de l’ensemble des Français n’arrivent pas à se faire une idée, sans doute en raison des errements de l’en-même-temps macronien qui rend les prises de positions françaises sur le conflit contradictoires et difficiles à cerner.
45% des Français musulmans qualifient les attaques du 7 octobre d’actions de résistance !
L’aspect le plus problématique, parmi les indicateurs de divergence entre les Français musulmans et l’ensemble de leurs concitoyens, concerne le caractère des attaques du 7-Octobre. C’est le point noir de cette étude : paradoxalement, alors qu’ils ne soutiennent que très minoritairement le Hamas, 45 % des Français musulmans considèrent que les attaques du 7 octobre sont des ‘‘actions de résistance contre la colonisation’’ (seuls 10 % de l’ensemble des Français partagent cet avis). Les chiffres sont encore plus affligeants chez plus jeunes, les plus religieux et les partisans de l’extrême gauche (50 % des 15-24 ans, autant chez les pratiquants réguliers et les électeurs de Jean-Luc Mélenchon).
Cependant, il n’en demeure pas moins qu’une majorité de Français musulmans (55 %) condamnent les attaques du 7-Octobre : 36 % les qualifient de ‘‘crimes de guerre’’ et 29 % les considèrent comme des ‘‘actes terroristes’’.