Depuis le 7 octobre dernier et l’attaque sanglante perpétrée par le Hamas sur le sol israélien, on évoque peu la situation des Arabes israéliens, appelés également ‘‘Arabes citoyens d’Israël’’. Selon les dernières données démographiques, ils représenteraient pourtant 21 % de la population israélienne, descendants des 160.000 Palestiniens restés (ou qui n’ont pas été chassés) dans le territoire accordé à Israël en 1948. Pour ce qui est du droit à la nationalité, ce n’est qu’à la fin des années 1960 qu’ils y auront accès.
Aujourd’hui, bien qu’ils bénéficient des mêmes droits que la population juive, y compris celui de voter, ils restent cependant victimes de discriminations. Déjà passablement mal considérés, les derniers événements poussent davantage encore les Juifs d’Israël à s’en méfier. La situation est particulièrement complexe puisqu’ils partagent, pour la plupart, encore des liens très forts avec les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza. Amis ou membres de la famille qui ont choisi de partir ou qui y ont été contraints, lors des exodes de 1948 et 1967.
Les Arabes, restés sur place après 1948, ont fait ce choix pour de multiples raisons, dont la plus importante est morale. Il s’agit d’une lignée de plusieurs générations qui naquirent et vécurent sur ces terres, et pour beaucoup, partir aurait signifié trahir leurs ancêtres. Conscients des difficultés, mais aussi animés par une énergie créative et positive dans un pays neuf où tout était à construire. Dès la fin des années 1940 et pendant plusieurs décennies, ils ont été rejoints par une population juive, bâtisseuse de nouveaux logements en périphérie des quartiers historiques. Des habitats modernes, occupés majoritairement par les nouveaux arrivés, où la mixité n’a pas réellement été à la hauteur d’une véritable diversité qui aurait pu être un modèle pour le reste du monde.
Plutôt qu’une véritable cohabitation, il s’agit d’une mitoyenneté dans son expression la plus simple. La population de certaines villes est arabe à plus de 50 %. Jérusalem-Est et le plateau du Golan, même si la Communauté internationale ne les reconnaît pas comme appartenant à Israël, font partie de la liste. Autre exemple éloquent, le communautarisme dans la ville d’Acre. Dans sa version récente, elle est constituée d’environ 25 % d’Arabes alors que la ville historique est arabe à 95 %. Autre ville d’envergure, Haïfa : 10 % d’Arabes dans les quartiers mixtes contre 70 % environ dans la ville basse bâtie avant 48.
Ce conglomérat s’est construit majoritairement aux abords de la ‘‘Ligne verte’’, à la frontière entre Israël et la Cisjordanie. C’est également dans ce fameux ‘‘Triangle’’ (villes et villages arabes israéliens proches de la Ligne verte, dans la plaine orientale de la région de Sharon) qu’est située Tayibe, une agglomération exclusivement composée d’Arabes israéliens. Nazareth est également connue pour être la plus grande ville arabe du pays.
Le choc du 7 octobre 2023
Si les populations parvenaient, jusque-là, à vivre côte-à-côte malgré quelques débordements et incivilités, le nouveau conflit qui s’annonce à Gaza, avec déjà des milliers de morts, menace de gangrener le tissu social. Cette cohabitation, déjà fragile depuis la création d’Israël, est sérieusement mise à mal. Une difficulté d’équilibre qui, comme l’affirment les spécialistes de l’État hébreu, vient de la complexité à définir : « Qu’est-ce qu’un État juif aujourd’hui ? ».
Les Arabes israéliens étant des citoyens à part entière, ils bénéficient d’un passeport israélien, mais qui ne peuvent intégrer l’armée qui leur reste interdite. Concentrés au sud ou au nord du pays, ils sont victimes d’un déficit d’infrastructures qui affaiblit considérablement leur statut social : ils sont statistiquement plus pauvres que la population juive.
Avant le début du conflit, des tensions se faisaient déjà sentir. Druzes, Tcherkesses (Circassiens, Musulmans originaires du Caucase), Bédouins, Arabes chrétiens et musulmans, aujourd’hui citoyens d’Israël, se retrouvent aujourd’hui au cœur d’une guerre à laquelle il leur est impossible de prendre part. C’est le conflit le plus important qu’ils aient connu depuis ces 50 dernières années.
Des manifestations de soutien au peuple de Gaza avaient eu lieu l’été dernier, des affrontements avec les forces de l’ordre et des arrestations massives d’Arabes israéliens avaient suivi. La nouvelle génération, majoritairement solidaire des Palestiniens, se définit comme des ‘‘Palestiniens d’Israël’’ et refuse d’être appelée ‘‘Arabes israéliens’’. Néanmoins, les études les plus sérieuses révèlent que dans son écrasante majorité elle n’est pas désireuse d’aller vivre en Palestine, même avec des frontières et un État reconnus !
Si aujourd’hui, le fossé entre les populations juive et arabe se creuse davantage, la faille remonte au début des années 2000, lorsque des Arabes israéliens avaient perpétré des attentats kamikazes à Jérusalem et Tel-Aviv. Depuis, la méfiance n’a cessé de croître entre les deux populations. Elle a atteint son paroxysme depuis les attaques du 7 octobre.
Certains hommes politiques israéliens, parmi les plus radicaux, notamment à l’extrême droite, ont joué sur la peur des attentats, pour claironner que les Arabes israéliens sont des traîtres et qu’il faut s’en méfier, voire les chasser du pays. Le terreau des radicalisations, de part et d’autre, se revigore à chaque nouveau conflit, apportant son lot de haine et d’abjection.