Ils ont pris en otage le beau cri de ralliement des républicains espagnols pendant la guerre civile de 1936 à 1939 : ‘‘No pasaran’’ (Ils ne passeront pas). C’est le titre qu’une vingtaine de rappeurs ont osé donner à une infâme vidéo censée mobiliser contre le Rassemblement national. Sous couvert d’appeler les jeunes à leur devoir de citoyen, ces brillants artistes, soucieux – disent-ils aux gogos – de « revenir à l’essence du rap », nous déversent dix minutes d’appels à la haine, au meurtre, au viol et au pogrom.
Par Martine GozlanAussi insupportable que soit le fait même de citer ces vociférations, en voici quelques-unes qui relèvent plus des tribunaux que d’une « variété d’angles assez enthousiasmante » comme se pâme Libération.
Pour le versant djihadiste : « J’recharge la kalachnikov comme Ramzan Kadyrov / Nique l’imam Chalgoumi et ceux qui suivent le Sheitan à tout prix ». On sait que notre ami Hassen Chalghoumi, artisan de l’espérance entre les êtres de bonne volonté quelle que soit leur foi, est la cible des fanatiques depuis de longues années. La référence à Kadyrov, président tchétchène obscurantiste et cruel à la solde de Poutine, nous indique de quel côté sombrent ces belles consciences musicales à l’heure où Moscou ouvre les bras aux talibans afghans.
Pour le versant misogyne et l’obsession sexuelle : « Marine et Marion les putes / Un coup de bâton sur ces chiennes en rut ». Dans cette saine atmosphère de « violence artistique », comme disent les béats commentaires, qu’en termes galants ces choses-là sont dites ! Tous les défoulements sont validés et glorifiés.
Pour le versant trafiquant : « Ferme les frontières mais la dope remontera d’Marbella quand même/ Donc ouais c’est pour ça que j’ai la paye ». Là, les rois du crack et de la coke se lâchent, idoles du faubourg planant au-dessus des urnes de la conscience civique.
A-t-on bien compris, dans le concert de louanges qui, de France Inter à Libé, a salué cette bluette, l’ivresse suprémaciste dédiée aux marchands de mort, aux balles perdues qui fusent dans les cités de Marseille, aux enfants foudroyés dans les check-points des petits caïds ?
Pour le versant antisémite : « Les années 30 font leur come-back, normal que Sheitanyahou soit le Blanc qui assure leur contact / Vive la Palestine d’la Seine au Jourdain ! » L’invocation et l’évocation de « Sheitan », le diable, réunifient toutes les nuances de l’Oumma intégriste, des incantations ayatollesques aux anathèmes de Daech, en passant par les cris de fureur du Hamas.
« Sheitan » est un mot de passe qui a traversé toutes les générations de pogromistes. De ceux qui, voici trente ans en Algérie, brûlaient et égorgeaient femmes et enfants des villages exterminés par les Groupes islamiques armés – à Bentalha, Raïs et tant d’autres lieux – à ceux qui, le 7 octobre 2023 ont brûlé, éventré, violé femmes et enfants des kibboutz Nir Oz, Beeri, Nahal Oz. Sans oublier ceux qui ont brûlé, violé, kidnappé enfants et femmes Yézidi des montagnes d’Irak. Sheitan appelle le sang qui coule de la gorge des victimes juives, musulmanes, yezidi torturées sur l’autel de la fureur.
Voici Sheitan repris, en France, au nom de la liberté. Métamorphose kafkaïenne. Voici, encore et encore, la Palestine sur laquelle veille le keffieh de Rima Hassan adoubé par Jean-Luc Mélenchon. Les rappeurs de la peur font remonter le cours du Jourdain jusqu’à la Seine, histoire de terroriser un peu plus les Français juifs. Qui peut être dupe de ce hold-up ? Non, les faussaires ne passeront pas. Le mensonge, déjà, les ronge. No pasaran !