Alors qu’officiellement les secteurs alimentaire, pharmaceutique et médical échappent aux sanctions décrétées contre l’Iran, les États-Unis s’arrangent pour bloquer les livraisons de médicaments pour Téhéran. Leur arme ? Des tracasseries bancaires et administratives sans fin…
Par Ian HamelLe SECO, le secrétariat d’État à l’économie à Berne, n’adopte pas vraiment un ton neutre pour évoquer le mécanisme de paiement pour les livraisons humanitaires à l’Iran. Dans un communiqué, il souligne que depuis le rétablissement des sanctions commerciales par les États-Unis, « les exportateurs suisses sont confrontés à des difficultés croissantes pour livrer des biens humanitaires en Iran », alors que ceux-ci ne sont normalement pas concernés par les sanctions. Le SECO ajoute que « pour des raisons juridiques liées à ces sanctions, plus aucune institution financière ou presque n’était disposée à effectuer des paiements en lien avec l’Iran. Les quelques canaux de paiement restants étaient chers, complexes et peu fiables ».
Déjà, en mai 2019, le think tank américain Atlantic Council, cité par Mediapart, constatait que le Trésor américain, « poursuivait les sociétés qui vendaient de petites quantités de médicaments à l’Iran, avec pour conséquence un effet dissuasif sur les autres sociétés faisant du commerce avec Téhéran ». Davantage qu’aux fabricants de médicaments, les États-Unis cherchent – en réalité – à mettre des bâtons dans les roues aux banques et aux organismes financiers qui effectuent les transactions avec l’Iran. C’est plus vicieux, mais tout aussi efficace.
Si la Suisse monte aux créneaux, c’est que depuis la prise d’assaut de l’ambassade américaine à Téhéran et la prise en otages du personnel, au lendemain de la révolution Islamique, c’est la Confédération helvétique qui représente les intérêts américains en Iran, et vice-versa. Petit pays neutre, la Suisse sert d’intermédiaire, et donc de messager, entre les deux pays ennemis. Elle joue également le même rôle entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Par ailleurs, la Confédération, puissance de premier plan à la fois dans la finance et l’industrie pharmaceutique, aimerait jouer un rôle dans la livraison de médicaments à l’Iran, qui en a actuellement le plus grand besoin, en raison de l’épidémie du Covid-19.
Elle a d’ailleurs mis en place un mécanisme de paiement pour la livraison de biens humanitaires à Téhéran, baptisé Swiss Humanitarian Trade Arrangement (SHTA), qui a pu livrer en début d’année pour 2,3 millions d’euros de médicaments contre le cancer et d’autres produits pharmaceutiques nécessaires lors des transplantations d’organes. Des médicaments produits par la multinationale suisse Novartis. Quant aux transactions financières, elles sont passées par la Banque commerciale et de placements (BCP) de Genève. Toutefois, il ne s’agit-là que d’une minuscule goutte d’eau face aux besoins gigantesques d’un pays de 80 millions d’habitants, devenu l’un des principaux foyers mondiaux de l’épidémie.
Certes, les États-Unis ne sont pas responsables de la gestion catastrophique de cette crise par le pouvoir iranien. Il faut se souvenir du vice-ministre iranien de la santé affirmant que « la mise en quarantaine appartenait à l’âge de pierre », avant d’être contraint à reconnaître le lendemain qu’il était lui-même contaminé ! Néanmoins, aggraver les ravages de l’épidémie en bloquant la livraison de médicaments, c’est faire payer injustement – et avec des conséquences souvent mortelles – au peuple iranien le comportement politique de ses dirigeants.