Sommité mondiale en matière de microbiologie et éminent spécialiste des maladies infectieuses émergeantes, le professeur Didier Raoult, qui dirige l’Institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de Marseille (IHU Méditerranée Infection), a été chargé par le gouvernement français, en août 2002, d’établir un rapport de mission sur les menaces liées au bio-terrorisme et aux nouvelles maladie infectieuses.
Selon les termes de la lettre de mission qu’il a reçue du ministère de la santé, il lui était demandé alors, dans le contexte post-11 septembre 2001, d’« établir, en étroites concertation avec les Haut fonctionnaires de Défense du ministère chargé de la santé et du ministère chargé de la recherche, un état des lieux de l’ensemble des mesures de santé publique et des actions de recherche prévues dans le dispositif français et européen de lutte contre le bio-terrorisme », d’« évaluer les dispositifs de santé publique existant actuellement en matière de prévention de la lutte contre les menaces infectieuses » et surtout de « présenter des propositions pour améliorer tant la surveillance épidémiologique que la prise en charge par les laboratoires français et européens des agents responsables des maladies contagieuses non curables ».
Le rapport de 374 pages qu’il a remis au gouvernement, le 17 juin 2003, est un document d’une valeur inestimable. 17 ans plus tard, il n’a rien perdu de sa pertinence et demeure d’une actualité brulante. Il apporte un enseignement inégalé sur les raisons qui ont conduits – même dans les pays les plus développés – aux nombreux ratages et lacunes observés lors de la pandémie actuelle de Covid-19.
Les recommandations qu’il préconise mériteraient une attention toute particulière, de la part des institutions internationales et des gouvernements du monde entier, dans le cadre de l’indispensable réflexion qu’il faudra engager, de toute urgence, pour parer aux futurs risques de pandémies liées à l’émergence de nouvelles maladies contagieuses.
Nous reproduisons, ici, l’état des lieux général établi dans l’introduction de ce rapport et l’intégralité de sa partie consacrée aux nouvelles maladies contagieuses :
Lire le facsimilé du document original du Pr. raoult
Introduction :
Les maladies infectieuses et les épidémies ont joué jusqu’au 20ème siècle un rôle majeur dans l’histoire humaine représentant la plus grande cause de mortalité et occasionnant des épidémies qui ont changé le cours de l’histoire, depuis la peste d’Athènes qui a décimé la population athénienne pendant la guerre du Péloponnèse, la grande peste noire qui, au 15ème siècle, a tué 30% de la population européenne, puis le typhus pendant la campagne de Russie napoléonienne qui a été responsable d’environ la moitié des morts de la retraite de Russie, la grippe espagnole qui, en 1918, a tué autant que la première guerre mondiale (20 millions de morts), jusqu’aux maladies transmises par les poux qui, pendant la guerre puis la révolution bolchévique en Russie, ont été à l’origine de 3 millions de morts.
A côté de ces grandes épidémies, les maladies infectieuses ont trouvé de nouvelles opportunités dans les changements de notre écosystème et se sont particulièrement développées dans les hôpitaux sous la forme d’infections nosocomiales. L’hygiène, l’augmentation du niveau de vie dans les pays les plus développés, associées à la vaccination puis, à partir de la 2ème guerre mondiale, à l’usage des anti-infectieux, ont fait reculer les maladies infectieuses et ont été corrélées à une augmentation spectaculaire de l’espérance de vie. Les maladies infectieuses en 1995 n’étaient plus responsables que de 30% de la mortalité globale dans le monde. Toutefois, ce chiffre cache en réalité qu’elles restent la première cause de raccourcissement de vie car elles frappent indistinctement les sujets jeunes et les sujets âgés, à la différence du cancer ou des infections cardiovasculaires.
L’effacement des grandes maladies infectieuses identifiées dans le courant du 20ème siècle (recul de la tuberculose, disparition de la variole, quasi disparition de la poliomyélite, de la diphtérie) a pu laisser penser que le problème était résiduel. Or, les épidémies sont des phénomènes chaotiques, mal prévisibles et mal contrôlables. Un changement radical s’est fait dans l’esprit de la population avec l’apparition du SIDA dans les années 1980 où on a vu apparaître une maladie dont l’ampleur ne cesse d’augmenter, qui s’est propagée extrêmement rapidement dans le monde entier et qui a constitué le paradigme de l’épidémie nouvelle totalement imprévue. Depuis cette époque, et grâce à l’intervention aux Etats Unis de l’Institute of Medicine, qui a défini le concept de maladies émergentes en 1992, une mobilisation de la communauté scientifique, essentiellement américaine mais aussi internationale, s’est faite autour du problème des maladies infectieuses émergentes qui a permis en une vingtaine d’années l’identification de 200 micro-organismes pathogènes nouveaux, ceux-ci étant soit anciens, mais identifiés de façon récente grâce au progrès technique, soit entièrement nouveaux. Cinq problèmes majeurs ont pu être identifiés.
1- Les grandes épidémies que l’on croyait oubliées réapparaissent au cours des désastres sociaux, en particulier des guerres civiles, survenant dans le monde. Ainsi, dans les 10 dernières années du 20ème siècle, l’incidence mondiale de la peste a augmenté (singulièrement à Madagascar) ; le choléra qui avait été pendant longtemps limité à l’Asie et à l’Europe, s’est maintenant étendu au continent africain dans les années 1970 et au continent américain dans les années 1990 avec un nombre toujours croissant de cas et de morts. La diphtérie (pourtant bien contrôlée par la vaccination) a explosé dans les années 1990 dans l’ex-URSS après la baisse de la vaccination de même qu’en Algérie. Enfin, les maladies transmissibles par les poux sont réapparues ; la plus grande épidémie de Typhus depuis la deuxième guerre mondiale a commencé au Burundi, au Rwanda et au Congo et continue d’évoluer et la fièvre des tranchées s’est installée en zone urbaine dans les pays développés, y compris en France (Paris, Lyon et Marseille). Ainsi, on a pu constater le retour des grandes maladies infectieuses, témoignant d’une baisse du contrôle social et d’une baisse de la vigilance vis-à-vis de ces pathogènes. Les moyens de contrôle de ces maladies sont pourtant extrêmement simples, basés sur la qualité des services sociaux, la vaccination et la politique de gestion nationale de l’hygiène.
2- Les infections nosocomiales se développent dans l’écosystème hospitalier. Dans ce domaine, la France se situe à une place particulièrement mauvaise, comparée aux autres grandes nations. On estime que 500.000 personnes souffrent d’infections nosocomiales par an dont 10.000 meurent.
3- L’explosion des résistances des micro-organismes aux anti microbiens est préoccupante. Ainsi, des résistances sont apparues, y compris pour des micro-organismes extrêmement banals, avec une course entre l’ingéniosité pharmaceutique humaine et les microorganismes qui n’a pas laissé de vainqueur définitif. Le staphylocoque est devenu au fur et à mesure des découvertes de l’industrie pharmaceutique successivement résistant aux Sulfamides, à la Pénicilline, aux Tétracyclines, aux Pénicillines anti-staphylococciques et maintenant à la Vancomycine. Les bacilles pyocyaniques sont aussi devenus résistants dans un certain nombre de cas à tous les antibiotiques, à l’exclusion de la Colimycine. Les pneumocoques deviennent résistants aux antibiotiques de 1ère ligne, Pénicilline et Macrolides. Ces micro-organismes sont des agents banals d’infections qui étaient entièrement contrôlées ces dernières années. Enfin, le bacille tuberculeux présente un niveau de résistance croissant dans les pays de l’Est européen. L’augmentation rapide des résistances pose des problèmes très inquiétants. Elle résulte d’un équilibre entre microorganismes et prescription des antibiotiques. Celle-ci constitue incontestablement une pression de sélection qui favorise l’émergence de micro-organismes résistants. Ces microorganismes sont ensuite éventuellement transmis de patient à patient de façon épidémique, soit directement soit, comme dans le cas du staphylocoque doré, par le truchement des soignants. La France est le pays où l’on prescrit le plus d’antibiotiques et où les niveaux de résistance aux antibiotiques sont les plus élevés.
4- Le quatrième problème est celui de l’utilisation des micro-organismes comme agent de bio-terrorisme. La première utilisation des micro-organismes comme agent de guerre est extrêmement ancienne puisqu’elle remonte à l’utilisation en 1347 à Caffa par les Mongols de cadavres pestiférés, jetés par dessus les murailles, pour infecter la population défendant la ville assiégée. Depuis, de nombreux micro-organismes ont pu être proposés et ont bénéficié d’un début d’utilisation comme arme biologique. Ceci inclut, entre autres, les bactéries du typhus, de la brucellose, de la tularémie, du charbon et de la peste. Le traité de non prolifération de 1972, signé par l’ensemble des pays, pouvait laisser espérer une disparition de l’usage de ces micro-organismes comme arme de guerre. En réalité, il a été constaté en 1979 que les Russes avaient poursuivi leurs études sur le charbon à l’occasion d’une épidémie de charbon en Russie ayant entraîné une centaine de morts dans une ville qui comprenait un laboratoire militaire. Les autopsies de ces patients morts dans des tableaux de pneumonie, avec hémorragie cérébrale ont permis de mettre en évidence le bacille du charbon et le fait a été reconnu par Boris Eltsine en 1992. Par ailleurs, quelques cas de variole sont survenus chez les croisiéristes en déplacement sur la mer d’Aral, en face d’un laboratoire militaire russe. Ces cas de varioles étaient extrêmement graves, hémorragiques, et ont entraîné la mort de sujets vaccinés, sans que ces patients aient eu des contacts directs avec un sujet varioleux. Ceci laisse penser qu’ils ont été victimes d’un aérosol émanant du laboratoire militaire en question et que ce virus varioleux était particulièrement virulent. Ultérieurement, le bio-terrorisme a pris naissance avec la secte Aum au Japon. Celle-ci a utilisé le gaz sarin dans le métro et fait des tentatives d’utilisation du charbon, de la fièvre Q et de la toxine botulique. La guerre du Golfe a permis d’identifier des stocks de bacilles du charbon en Irak. Les informations récentes ont pu montrer que le réseau terroriste al-Qaïda proposait d’utiliser un certain nombre d’agents infectieux comme source de terrorisme. Enfin, quelques cas de charbon qui ont succédé à des envois postaux sont survenus aux Etats-Unis en 2001 et la découverte d’un stock de la toxine du ricin en Angleterre en 2003 ont concrétisé ce risque. La menace d’utilisation des agents bio-terroristes est plausible du fait que le coût de production des armes biologiques est de 2000 fois inférieur à celui des armes conventionnelles à efficacité comparable.
5- La cinquième menace est celle de virus émergents. Les années 1970 ont permis de voir apparaître les virus des fièvres hémorragiques en Afrique et en Amérique du Sud (Lassa, Ebola, Machupo). Les épidémies ont été pour l’instant limitées, mais ont posé le problème de la manipulation d’agents extrêmement pathogènes, éventuellement contaminants par aérosols au laboratoire et qui, avec une mortalité brutale et fréquente, constitueraient une menace équivalente à celle de la grande peste du Moyen-Age si la transmission inter-humaine par aérosol devenait naturelle. Les années 1980 ont été celles du Sida et les années 1990 celles de l’hépatite C. Le risque actuel d’apparition de mutants de virus respiratoires, en particulier de la grippe, est le phénomène le plus redoutable. Un nouveau mutant grippal est apparu en 1999 à HongKong. Ce virus d’origine aviaire, fréquemment mortel, a rapidement pu être contrôlé mais le prochain mutant grippal pourrait ne pas l’être. Le risque épidémique par les maladies transmises par voie respiratoire est extrêmement important, du fait de la densification de la population humaine. Actuellement, plus d’un milliard 600 millions d’hommes vivent dans des villes dont 24 mégapoles de plus de 10 millions d’habitants, la plupart se trouvant maintenant dans des pays de faible niveau économique. Entre 500 millions et 1 milliard de voyages par avion se dérouleront dans tous les coins de la planète au cours de l’année 2003, et la mutualisation d’un virus transmissible par voie respiratoire sera extrêmement rapide. Ce type d’événement, la mutation brutale puis l’introduction d’un virus d’origine animale dans le monde humain, sont des événements rares, chaotiques mais qui peuvent avoir des conséquences extrêmement rapides et extrêmement dangereuses. Seule l’implantation durable de centres de recherche et de surveillance en pays tropical permettra la détection précoce de ces nouveaux agents.
Notre préparation face à ces événements chaotiques est faible ; ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que l’époque ne prête pas à la prévision d’événements catastrophistes (Cassandre est toujours ridicule !). Les besoins sociaux relayés par la presse sont des besoins immédiats ; ils répondent à des peurs spontanées qui sont rapidement chassées par d’autres peurs ou inquiétudes. Dans ces conditions, mettre en place un système qui permette d’éviter les conséquences dramatiques d’événements improbables et à long terme est extrêmement difficile. Il est même vraisemblable que cela soulèverait dans la presse des commentaires extrêmement négatifs dénonçant le catastrophisme, la paranoïa, voire le gaspillage. Pourtant, le coût des réactions en urgence est bien supérieur à celui de la prévention. Pour exemple, le coût généré par la prévention de l’infection par le nouveau variant de la maladie de Creutzfeld-Jacob (maladie de la vache folle) dans les hôpitaux, par rapport au bénéfice en terme de santé publique, est invraisemblablement élevé. Ainsi donc, une politique de surveillance à long terme nécessite le courage politique d’investir dans des phénomènes qui ne sont pas médiatiquement intéressants, qui sont parfois même inquiétants pour la population (construction de P4, de P3) et qui nécessitent un peu de pérennité dans les choix.
Par ailleurs, les maladies contagieuses contredisent l’évolution individualiste spectaculaire de notre société ces dernières années. En effet, la gestion des maladies infectieuses peut amener à remettre en cause la liberté individuelle. C’est le cas de l’isolement nécessaire pour éviter la contamination lorsque les patients sont contagieux, c’est le cas de la déclaration obligatoire des maladies et c’est le cas de la vaccination obligatoire dans le cadre des maladies contagieuses. Ce peut être aussi la justification de l’obligation de soins pour d’autres maladies contagieuses. Les Hommes constituant une espèce unique, le comportement individuel des humains peut avoir une conséquence sur la santé de l’ensemble de la population. C’est ainsi que l’on a pu identifier un étudiant guinéen qui a importé le choléra en Afrique noire à partir d’URSS et qui a causé secondairement des millions de morts. Ainsi donc, la liberté individuelle de chacun et les choix personnels peuvent contredire les besoins de la société d’une manière très tangible.
La différence de développement qui est en train de se creuser entre les pays les plus riches et les pays les plus pauvres laisse espérer pour les plus riches que les maladies des plus pauvres resteront cantonnées dans le tiers monde. S’agissant des maladies contagieuses, ceci n’est pas vraisemblable. L’espèce humaine est unique, les micro-organismes se déplacent et toute émergence d’un nouveau pathogène dans n’importe quel pays du monde lui permettra une rapide extension sans qu’aucun contrôle ne soit réalisable aux frontières. Ceci signifie que les pays les plus riches (y compris dans le cadre du plus parfait égoïsme) doivent se préoccuper d’une manière très attentive de la santé en terme de maladies contagieuses des pays les plus pauvres. Ceci est d’autant plus vrai que la constitution progressive de mégapoles, quand elles ne sont pas associées au développement sanitaire permettant un minimum d’hygiène, va donner, par l’augmentation de la population et la promiscuité, l’opportunité pour de nouveaux pathogènes de se développer extrêmement rapidement. Les conditions dans ces mégapoles sont réunies pour permettre l’apparition de microorganismes extrêmement dangereux.
Dans la perspective de la lutte anti-infectieuse, un phénomène très inquiétant se fait jour : l’industrie investie dans la lutte des maladies infectieuses est en train de se dégager très rapidement. En effet, sur le plan international, des compagnies telles que Novartis, Glaxo, Smith-Kline, Bristol Meyers Squibb, Eli-Lilly et Laroche-Hoffman sont en train de diminuer leur investissement ou de sortir carrément du champ des antibiotiques. La même situation peut être observée au niveau des vaccinations. Le nombre d’opérateurs susceptibles de créer des vaccins est devenu actuellement extrêmement faible. Il est vraisemblable que nous allons bientôt arriver au paradoxe que la Science proposera des stratégies vaccinales thérapeutiques originales qui ne pourront pas être commercialisées faute d’opérateurs. Ceci est lié au coût de développement de plus en plus spectaculaire qui ne permet pas de retour sur investissement satisfaisant. L’Etat aura donc un rôle considérable à l’avenir car le marché est en train de se désengager de la bataille contre les maladies infectieuses.
Les nouvelles maladies contagieuses :
L’apparition de nouvelles maladies contagieuses rapidement mortelles a été observée dans les années 1970 avec l’apparition des virus des fièvres hémorragiques, en provenance d’Afrique (Ebola, Lassa). L’émotion suscitée à l’époque, qui avait justifié la réalisation de quelques chambres en dépression, est rapidement retombée et le problème reste négligé.
Il y a toujours un risque considérable d’apparition de nouveaux pathogènes qui, compte tenu de la fréquence des voyages et de la globalisation, seraient rapidement mutualisés dans le monde entier. Les zones de prédilection, dans lesquelles on peut redouter l’apparition de ces infections, sont les zones très denses en population, en particulier les mégapoles du Tiers Monde en Afrique, en Amérique du Sud et surtout en Asie. Ainsi, la mise en place d’observatoires permettant de collecter les données dans les différents coins du monde, par les pays développés devient-elle un élément essentiel de la Santé Publique : c’est un des éléments recommandés par l’OMS et c’est ce que font les Etats-Unis à Lima, au Caire, à Nairobi et à Bangkok. Parmi les pays francophones, il existe peu ou pas d’implantations et ce rôle nous échoit historiquement. Cette surveillance est de moins en moins assumée du fait de la dispersion des moyens des acteurs principaux (Service de Santé des Armées, ANRS, IRD et Institut Pasteur) et du fait que le Service de Santé des Armées est actuellement en repli considérable du fait de la professionnalisation de l’armée.
Il y a un danger incontestable de voir apparaître un nouveau virus ou un mutant grippal équivalent à celui de la grippe espagnole transmissible par aérosol, qui se répandrait extrêmement rapidement par les voyages et serait susceptible d’entraîner une épidémie aux conséquences incalculables de plusieurs millions de morts. Les épisodes viraux respiratoires récents ont avortés (Nipah virus, Paramyxovirus equin, nouveau mutant grippal aviaire de Hong Kong). Toutefois, le risque de diffusion mondiale est toujours grand. La préparation à une telle hypothèse doit être renforcée.
Premièrement, les capacités de déplacement sécurisé en avion sont faibles voire inexistantes pour à peu près l’ensemble des pays. La décision prise face à une telle situation serait probablement de ne plus transporter les patients et de laisser le traitement se faire sur place. Ceci repose la question de la constitution d’hôpitaux sur place en coopération, ayant un niveau technique et scientifique suffisamment élevé pour pourvoir au traitement sur place de nos ressortissants, y compris éventuellement des militaires. Le système de veille aéroportuaire doit être développé. Une infirmerie permettant l’isolement doit être mise en place dans les aéroports internationaux. Des ambulances spécialisées pour l’isolement et le transport des malades contagieux doivent être équipées dans les grands aéroports internationaux.
Une fois arrivés, les patients suspects doivent être mis en quarantaine ; l’arsenal législatif du pays ne la permet pas actuellement, pas plus d’ailleurs que pour quelqu’un qui se serait auto-inoculé la variole. Elle ne le permet qu’avec l’accord du patient. Ce problème doit faire l’objet d’un profond débat en France pour permettre, quand quelqu’un met en péril la population, de le contraindre à l’isolement et aux soins.
Une fois arrivés dans les hôpitaux, la situation doit être planifiée. En effet, il faut d’abord pouvoir, dans l’ensemble des services d’urgence, reconnaître les malades suspects puis les orienter vers des services dans lesquels on puisse les prendre en charge. Le port de gants et de masques pour les soignants et les malades présentant une grave pneumopathie doit se généraliser. Pour pouvoir prendre en charge un malade extrêmement contagieux dans un service, il faut l’isoler, il faut avoir les équipements pour le personnel médical permettant d’éviter la contagion (combinaison, masque) et il faut pouvoir hospitaliser le malade dans une chambre à dépression. Dans de telles chambres, l’air est capté à l’intérieur de la chambre par un système de flux allant de l’extérieur vers l’intérieur ; ce qui ressort de la chambre est filtré, en filtre absolu, pour éviter la contamination environnante (P2 ou P3). Pour les malades les plus graves, il faut avoir quelques lits en soins intensifs. Le problème des circuits de prélèvements et des examens para-cliniques se pose aussi. Pour les examens para-cliniques, il faut disposer au moins d’un appareil de radio transportable de qualité, qui sera laissé dans le service en question. Il faut, par ailleurs, pouvoir traiter les examens biologiques et, d’abord, ceux destinés à permettre la recherche de micro-organismes pathogènes en P3. Avant d’avoir identifié le microorganisme en cause, on ne sait pas s’il est nécessaire de le cultiver en P4 et donc il faut utiliser des P3 jusqu’à apparition d’un effet atypique. Les centres référents biotox associés dans les villes à risques doivent être associés à la stratégie d’isolement initial. Les virus suspects doivent être envoyés au P4 lyonnais.
Par ailleurs, il faut pouvoir traiter les prélèvements de base (formule de numération, ionogramme) dans des conditions de sécurité, et on ne peut pas injecter les prélèvements d’un patient suspect dans le circuit général. Ceci signifie qu’il faut organiser, à l’intérieur du laboratoire P3, les moyens de faire les évaluations minimales pour les constantes vitales sur des appareils de faible volume (hémogramme, coagulation, ionogramme).
Il n’existe qu’une chambre en dépression, en France, à l’heure actuelle, à l’hôpital de Lyon et aucun service en dépression. Les demandes d’équipement de la Pitié (Professeur BRICAIRE) sont restées lettre morte jusqu’en 2003. La seule chambre de Bichat n’est plus fonctionnelle. Des projets sont en cours, en particulier à Montpellier. La mise en place d’un éventuel traitement des prélèvements se fait à Lyon dans un laboratoire P2. C’est la seule équipe qui ait une expérience en France de ce niveau. Il est frappant de constater l’expérience des autres pays alentour. Récemment, j’ai eu l’occasion de visiter la structure ad hoc à Milan, dans l’hôpital STACCO. Le département de Maladies Infectieuses comporte 3 services de 100 lits chacun, où chacune des chambres est en dépression et permet instantanément de travailler sur 100 malades contagieux. Par ailleurs, un bâtiment est en construction, dont le financement a été décidé en 2002 dans le cadre spécifique du bio-terrorisme (pour lequel il y aura 2 pôles, à Rome et à Milan), qui comportera 10 à 20 chambres dans un ensemble complet de niveau P3 comportant, par ailleurs, un laboratoire, un bloc et une morgue pour pouvoir faire les prélèvements histologiques. Ce type d’aménagement permettra de faire face éventuellement à une situation catastrophique d’épidémie extrêmement contagieuse en mettant à l’abri la population et les soignants.
Au total, le risque d’apparition d’un nouveau pathogène extrêmement contagieux, en particulier par voie respiratoire, est clair ; c’est un événement rare et chaotique, il est indispensable de s’y préparer à l’avance pour tenter d’éviter une diffusion massive qui pourrait avoir des conséquences considérables. L’exemple de la peste noire au Moyen Age, qui a détruit le tiers de la population européenne et qui a tué à Marseille en 1720 la moitié de la population, ou de la grippe espagnole qui a tué plus de 20 millions de personnes en 1918 doivent rester présents à l’esprit. Pour organiser les choses, il faut mettre en place sur Paris, Lyon et Marseille, pour commencer, des services entiers susceptibles d’être transformés en service d’accueil des malades extrêmement contagieux. Ces services doivent être constitués d’une vingtaine de lits, comporter des chambres qui seront toutes susceptibles d’être passées en dépression. Ce service doit être associé à un laboratoire qui pourrait être sur un site différent, dans la même ville, de type P3, dans lequel peuvent être réalisés les examens biologiques courants et les examens micro-biologiques. Enfin, des capacités de radiologie et probablement un mini bloc opératoire doivent aussi être mis en place dans cette structure de manière à pouvoir vivre en autarcie sur le plan médical.
Recommandations :
– Equiper les laboratoires P3 des laboratoires associés dans le cadre de biotox à Paris, Lyon et Marseille de mini automates pour réaliser la biologie courante en P3 pour les malades suspects d’être extrêmement contagieux.
– Désigner 3 centres de référence, pour l’isolement et la caractérisation des pathogènes extrêmement infectieux, Paris, Lyon et Marseille.
– Prévoir la construction à Paris, Lyon et Marseille, pour commencer, de services complets de Maladies Infectieuses entièrement en P3, comportant quelques lits de soins intensifs, un mini bloc opératoire, des capacités radiologiques et permettant d’isoler entièrement le service sur le plan des risques infectieux.
– Equiper les aéroports internationaux d’infirmeries permettant l’isolement de patients suspects (en dépression).
– Préparer un circuit d’isolement allant des aéroports et des gares jusqu’à un des 3 centres identifiés (Paris, Lyon, Marseille) dans des conditions permettant d’éviter la diffusion des microorganismes, ceci à l’aide d’ambulances spécialisées.
– Mettre en place les circuits d’envois de prélèvements suspects.
– Réaliser des exercices et des simulations.
– Développer l’usage des masques pour les soignants et les patients atteints de pneumopathie grave.