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Islamisme : les opprimés ne sont pas toujours ceux qu’on pense !

13 mars 2023 Expertises   1104  

Nadia Geerts
Nadia Geerts

Le 18 novembre 2022, le tribunal de première instance de Bruxelles a condamné un internaute, estimant que son commentaire publié sur le réseau social Facebook mettait gravement en cause mon honneur et ma réputation, qui sont des droits garantis par l’article 8 de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Le tribunal a en effet estimé que ce commentaire mettait en cause mon éthique et mes compétences d’enseignante « en lui imputant une subjectivité et une xénophobie qui ne lui permettraient pas de faire passer des examens sans un assesseur à ses côtés », et ce sans présenter d’éléments factuels vérifiables. Le tribunal a donc conclu que ces propos injurieux relevaient de l’attaque ad personam et non de la critique constructive que permet un débat d’intérêt général, et n’étaient donc pas protégés par la liberté d’expression.

Ce jugement peut bien évidemment être analysé sous l’angle de la liberté d’expression qui, conformément à l’arrêt Handyside, « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur, ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’y a pas de société démocratique. »

Et dans le cas présent, le tribunal a estimé qu’il ne s’agissait pas d’idées, aussi dérangeantes soient-elles, mais d’attaques, en l’occurrence envers ma personne.

Cependant dans cette affaire, ce qui me paraît en réalité le plus digne d’intérêt est la maladie dont elle est le symptôme : la confusion sempiternelle entre laïcité et racisme, y compris chez nombre de ‘‘progressistes’’.

Car c’est bien de cela qu’il est question, en effet, depuis qu’a débuté une campagne de bashing, menaces et harcèlement à mon encontre dès le lendemain de l’assassinat par décapitation de Samuel Paty. Mes agresseurs – car ils furent nombreux et celui-ci n’est que le premier à se voir condamné – avaient pour point commun de me reprocher mes positions laïques, dont ils estimaient qu’elles témoignaient en réalité d’une xénophobie, d’un racisme, d’une ‘‘islamophobie’’ mal dissimulée. Pour établir cet amalgame, ils se fondaient sur une seule chose : mon opposition au port du voile islamique.

En effet, en tant que laïque, j’estime que le port de quelque signe convictionnel que ce soit est incompatible avec une fonction d’agent de l’État, quel que soit le niveau. En tant que féministe, je déplore que de si nombreuses femmes de confession musulmane se croient obligées d’afficher leur islamité et/ou de préserver leur pudeur et leur vertu, bridant ainsi volontairement leur liberté. En tant qu’athée, je me désespère qu’une religion, là encore quelle qu’elle soit, soit encore en mesure, au vingt-et-unième siècle, d’exercer sur des individus un pouvoir tel que leur lucidité s’en trouve singulièrement affectée. Enfin, en tant qu’anticléricale, je vois avec inquiétude grandir la popularité des revendications politiques portées par la frange la plus radicale de mes concitoyens musulmans.

Car là est le plus fascinant : les revendications musulmanes conservatrices, pour ne pas dire islamistes, trouvent un écho extraordinairement favorable chez nombre de personnes se revendiquant de ‘‘la gauche’’, qui n’auraient jamais fait preuve de la même bienveillance compassée envers les conceptions religieuses rétrogrades de catholiques traditionnalistes.

On peut évidemment ne pas partager mon analyse de ce que signifie le voile islamique aujourd’hui, ni ma conception de ce que devrait être la neutralité de l’État. Il s’agit là de questions complexes, auxquelles j’ai d’ailleurs consacré plusieurs ouvrages, qui en voisinent des dizaines d’autres sur les rayonnages des librairies.

Mais quelle que soit l’opinion des uns et des autres, le débat doit rester possible entre gens de bonne volonté, qui cherchent sincèrement à faire en sorte que nous puissions vivre demain, plus encore qu’aujourd’hui, dans une société pacifiée, où chacun reconnaît à l’autre le droit de penser différemment, vivre autrement, croire en autre chose – ou en rien.

Or, que constate-t-on ?

Que parmi ceux qui se font forts de défendre une société ‘‘inclusive’’, ‘‘ouverte’’ et ‘‘tolérante’’, beaucoup n’ont en réalité qu’anathèmes à la bouche, quand ce n’est pas pire, pour tous ceux qui ont le grand tort de ne pas partager en tous points leur vision de ce que devrait être notre société. Que la violence n’est pas du côté des laïcs, ces soi-disant ‘‘intolérants’’ qui refuseraient la différence, mais du côté de ceux qui, convaincus d’être dans le camp du bien, s’autorisent toutes les violences envers leurs adversaires politiques. Violences qui sont aussitôt relativisées, excusées, voire niées : on aurait touché au ‘‘sacré’’ de nos compatriotes musulmans, en critiquant leur voile, leur prophète, leur méthode d’abattage ou que sais-je encore… Odieuses provocations, auxquelles ne feraient que répondre des Musulmans ‘‘blessés’’.

Mais pourquoi tant d’empathie pour ces Musulmans prétendument blessés ? En d’autres termes, comment expliquer que l’islam conservateur suscite davantage d’affectueuse indulgence que son pendant catholique ? Et par quel phénomène étrange cet islam conservateur semble-t-il si souvent plus sympathique que des positions laïques fermes, au point que nombre de ‘‘progressistes’’ s’allient plus facilement – infiniment plus facilement même ! – avec des militants aux accointances fréristes avérées qu’avec des laïcs universalistes toujours d’emblée suspects ?

J’entends déjà la réponse : la véritable violence est sans doute ‘‘structurelle’’, ‘‘institutionnelle’’, silencieuse, invisible, sournoise. C’est la violence des puissants, des riches, des Blancs, des mâles, des capitalistes, des élites. Face à elle, les ‘‘petits’’, les faibles, les opprimés sortent enfin de leur situation d’infériorisation, se dressent, se révoltent, s’insurgent, et il faudrait leur tendre la main, car ce qu’ils réclament n’est que justice.

Sorry, les gars, mais je ne marche pas !

Car les opprimés ne sont pas toujours ceux qu’on pense et les mésaventures comme la mienne se multiplient. De l’Université Evergreen à Samuel Paty, de Salman Rushdie à Mila, les exemples sont légion de soi-disant ‘‘puissants’’ violemment écartés, chassés, salis, agressés, égorgés. Moi, je suis partie. Comme tant d’autres, tant qu’il était encore temps. Parce que je ne sais pas si j’ai jamais participé à une quelconque violence symbolique qu’il faudrait d’urgence abolir. Mais je suis sûre d’une chose : désormais palpable, la violence est dans l’autre camp. Et elle repose sur la complicité, la lâcheté ou l’aveuglement des institutions, académiques et politiques, qui s’obstinent à vouloir donner des gages d’ouverture à des individus qui ne sont que fermeture, rejet, haine et violence…