Sous prétexte de lutter contre l’obligation vaccinale, des gangs ont racketté les commerces en Guadeloupe. Il fallait payer pour ne pas voir sa boutique ou son supermarché incendiés. Brutalement, Paris découvre que les départements français des Antilles sont gangrénés par le crime organisé, que celui-ci entretient même les meilleurs rapports avec des élus locaux. Et ce n’est pas le seul mal dont souffrent ces îles. Pour preuve : dès l’arrivée à l’aéroport de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, des affiches mettent en garde contre la « radicalisation violente » et l’« enrôlement djihadiste ».
Par Ian HamelEn 2017, la romancière et universitaire Maryse Condé, auteur de « Moi, Tituba sorcière Noire de Salem », née en 1937 en Guadeloupe, jette un pavé dans la mare. Elle publie un roman de près de quatre cents pages intitulé « Le fabuleux et triste destin d’Ivan et Ivana ». C’est l’histoire de jumeaux, un garçon et une fille, nés aux Antilles françaises, partis d’abord au Mali retrouver leur père, avant d’atterrir en région parisienne. Ivan, éternel bon à rien, converti à l’islam, meurt en massacrant des dizaines de vieillards dans une maison de retraite… de la police ! Il tue par la même occasion sa sœur, excellente élève et catholique, qui venait bénévolement s’occuper de ces personnes âgées. Le problème est que cette fiction se saisit d’un fait d’actualité passé sous silence : les djihadistes antillais. « En 2016, on recensait une cinquantaine de signalements pour radicalisation aux Antilles et en Guyane ; une dizaine de Guadeloupéens sont partis faire le djihad au Moyen-Orient », rappelait le journal Le Monde dans sa critique du roman de Maryse Condé (1).
Il a fallu que le Martiniquais Mickaël Harpon, adjoint administratif à la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris, assassine quatre policiers le 3 octobre 2019, pour que l’opinion publique française découvre que des Antillais se convertissaient à l’islam. Et surtout que certains d’entre eux adhéraient à l’idéologie de Daech et d’Al-Qaïda.
Le phénomène est loin d’être récent. « En enquêtant en septembre 2001 sur les tentatives d’attentats contre l’ambassade des États-Unis à Paris et le consulat américain à Marseille, j’ai découvert que parmi les militants islamistes, il y avait plusieurs Antillais, des seconds couteaux. Mais la télévision n’a pas voulu que je traite le sujet car cela risquait de donner une mauvaise image des Antilles ! Et faire fuir les vacanciers », se souvient le journaliste André Berthon, aujourd’hui à la retraite en Martinique. Avant la Covid-19, les deux départements d’outre-mer, Martinique et Guadeloupe, accueillaient chaque année autour de deux millions de visiteurs. Le tourisme reste la principale ressource de ces îles qui ne produisent que des bananes et des ananas.
‘‘Avant qu’ils ne partent au djihad’’
Les médias se sont également montrés discrets sur ce djihadiste d’origine martiniquaise parti rejoindre Daech en 2014, mort dans un attentat suicide à Mossoul. En 2016, lorsqu’une liste recensant des personnes faisant l’objet d’un signalement en Guadeloupe circule dans le département, le préfet finit par reconnaître que des individus sont bien fichés « S », et que ses services « sont pleinement mobilisés pour leur suivi éventuel ».
Comme Maryse Condé, mais dans un style différent, André Berthon met lui aussi les pieds dans le plat en publiant en 2017 un polar intitulé « Carême de sang aux Antilles » (2). Il est question de drogue, mais aussi de terrorisme. Dans ce roman, où la fiction est souvent très proche de la réalité, l’auteur met en exergue le danger représenté par la conversion à l’islam radical dans certaines prisons françaises de jeunes délinquants martiniquais et guadeloupéens. Et qui reviennent ensuite dans leurs îles natales.
Un danger enfoui mais bien réel. À l’aéroport de Pointe-à-Pitre, de grandes affiches demandent aux familles et aux amis d’agir « avant qu’ils partent ». Elles évoquent la « radicalisation violente » et « l’enrôlement djihadiste ». À côté, d’autres affichettes demandent à ce que la Guadeloupe ne soit pas à la merci des armes. Sur l’une d’elles, une fillette déclare : « Papa, ce que tu caches me fait peur ! ». Si la police reconnaît, depuis les récentes émeutes, les guerres entre gangs locaux qui se disputent le juteux trafic de cocaïne. En revanche, aucun de nos interlocuteurs n’a remarqué les affiches mettant en garde contre le djihadisme placardées à l’aéroport !
Dans ces départements d’outre-mer, il y a les plages, les cocotiers, le sable fin, mais l’islam radical « on n’en a jamais entendu parler ». « Des affiches à l’aéroport ? Je ne sais pas, il y a très longtemps que je ne m’y suis pas rendu », nous a-t-on répondu à France-Antilles. Pour la préfecture, ce ne serait qu’un réflexe de bureaucrate : on colle les mêmes affiches dans tous les départements… sauf que les affiches montrent bien des personnages antillais.
Malcolm X, modèle de référence
Pourtant, l’islam n’est pas un phénomène récent. Il apparaît aux Antilles françaises dans les années soixante-dix, accompagnant une perte de confiance dans le catholicisme, conçu comme une religion imposée par les colons. En 1982 se tient à Trinidad une conférence de la mission islamique de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud. À la même époque, la Ligue islamique mondiale s’intéresse suffisamment à la région pour envoyer en Martinique un imam mauritanien formé à Médine. En 2010, les archives des sciences sociales des religions publient une étude intitulée « Une mosquée en Martinique ». Quelques années plus tard, ces mêmes archives se penchent sur les Français et Britanniques d’ascendance caribéenne convertis à l’islam face à la question ‘‘noire’’ (3).
Alors que le christianisme est la référence religieuse dominante dans cette région du monde, de nombreux Antillais, quand ils débarquent en Europe à la recherche d’un travail, se convertissent à l’islam. Certains des convertis associeraient « l’adhésion à l’islam à l’idée de résistance à la suprématie blanche », souligne l’enquête. Surtout pour les Caribéens anglophones (dont les premières conversions remontent aux années 1960), Malcolm X reste la figure qui les a inspirés. « Leur minorisation en tant que Noirs fait partie des questionnements et des problématiques qu’ils cherchent à résoudre dans le cadre de leur adhésion à l’islam », souligne l’étude. Elle rappelle, par ailleurs, que Bilal, ancien esclave noir, est un compagnon du prophète Mahomet très honoré dans la tradition musulmane.
Mais comment expliquer que la France n’attache que très peu d’importance au développement de l’islam radical dans la Caraïbe ? En revanche, le phénomène n’échappe pas aux Anglo-Saxons et aux Espagnols. En janvier 2017, l’Institut espagnol d’Études stratégiques a révélé que non seulement certains pays des Antilles et d’Amérique sont déjà des foyers du terrorisme islamique. Mais qu’il existe des connections de plus en plus fréquentes entre les djihadistes et les trafiquants de cocaïne (4).
1- Gladys Marivat, « Maryse Condé et le djihadisme antillais », Le Monde, 6 juillet 2017.
2- André Berthon, « Carême de sang aux Antilles », Caraïbéditions.
3- Agathe Larisse, « Affiliation volontaire à l’islam et assignation raciale ».
4- « El islam radical en Latinoamérica y el Caribe », R. Evan Ellis.