On la connaît mal en Europe. Pourtant, cette force en charge des opérations extérieures du Corps des Gardiens de la Révolution – la milice paramilitaire du régime iranien – est derrière la plupart des attentats terroristes commandités par la République islamique d’Iran. Elle est aussi à la manœuvre en mer Rouge et dans le détroit d’Ormuz, où ses drones attaquent tankers et navires de commerces internationaux. En une trentaine d’années, elle a tissé un réseau d’espions qui œuvrent jusque dans les capitales européennes, qu’elle menace plus que jamais. Explications.
Par Emmanuel RazaviPour comprendre ce qu’est la Force Al-Qods, il faut remonter aux origines de la révolution islamique et à la création du Corps des Gardiens de la Révolution. Celui-ci fut pensé à la fin de l’année 1978 sous le nom d’armée du peuple par Mohsen Sazegara, l’un des proches de Khomeini, durant son exil parisien. Ce n’est qu’après le retour de l’Ayatollah en Iran que l’entité devient officielle et prend le nom persan de Pasdaran-e Enghelâb-e Eslâmi. Constituée telle une milice idéologique et paramilitaire, elle fait de l’extrême violence sa marque de fabrique, multipliant les arrestations arbitraires, et pratiquant la torture et le viol dans les prisons, ou encore les assassinats ciblés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Entre 1981 et 1988, alors que l’Iran et l’Irak sont en guerre, les Gardiens de la Révolution islamique et les membres de leur milice civile, les Bassidjis, s’illustrent sur les champs de bataille. Des dizaines de milliers d’entre eux, parmi lesquels des enfants d’une dizaine d’années, tombent en “martyrs de la Révolution’’, sous les obus et les chars de l’adversaire.
Durant cette période, les vétérans de retour du front profitent des prêts à taux zéro mis en place par des banques iraniennes, en remerciement de leurs bons et loyaux services. Un jackpot inespéré pour ces anciens combattants auréolés de gloire, qui leur permet d’investir à peu de risques dans des programmes de reconstruction et différents business juteux, puis de prendre le contrôle de l’économie iranienne. Forts de leurs fortunes accumulées, ils investissent alors dans différents trafics, notamment de drogue et d’armes, en lien avec leurs proxies au Proche-Orient.
Ce n’est qu’en 1990 que le régime donne son accord à la création de la Force al-Qods, nom qui désigne en arabe Jérusalem. Cette Force sera en charge des opérations extérieures du Corps des Gardiens de la Révolution et de la protection des frontières de l’Iran, ce qui lui permettra de contrôler les voies terrestres, maritimes et aériennes nécessaires au bon acheminement du produit de ses trafics.
Dotée de 10 000 à 15 000 hommes, al-Qods est dirigée depuis 2020 par le général Ismael Qaani, 66 ans. Il est l’une des figures les plus dures du Corps des Gardiens de la Révolution, proche de Rida Safi al-Din, chef du Conseil exécutif du Hezbollah et généralement considéré comme le ‘‘numéro deux’’ en charge de la supervision des trafics d’armes et des opérations terroristes de la milice chiite libanaise.
Agissant de façon quasi autonome, ne répondant qu’aux ordres du Guide, le commandement de la Force al-Qods a tissé sa toile dans le monde entier, y compris en Amérique et en Europe où elle a mis en place un réseau d’agents et d’espions.
Elle est derrière le meurtre de l’ex-Premier ministre du Chah, Chapour Bakhtiar, en 1991, qui fut égorgé à son domicile, en banlieue parisienne. Elle est aussi soupçonnée d’avoir tenté d’assassiner l’ambassadeur d’Arabie saoudite aux États-Unis, en octobre 2011. Elle a aussi contribué à éliminer de nombreux opposants à la République islamique en Turquie, au Pakistan, et en Autriche. Depuis près d’un an, elle chercherait à cibler aussi certains d’entre eux en Angleterre et en France.
Comprendre le fonctionnement d’Al-Qods n’est pas simple. L’unité travaille de façon autonome et quasi secrète, utilisant tous les moyens conventionnels et non conventionnels à sa disposition. Dotée d’un conseil des commandants, elle est officiellement subdivisée en huit branches. Elle œuvre dans les domaines du renseignement – en coopération avec le ministère de l’Intelligence iranien -, d’opérations de sabotage, d’opérations financières et d’influence politique, de guerre économique, de terrorisme et de cyber criminalité. Ce qui fait sa particularité, c’est que ses objectifs, comme sa structure, évoluent en permanence au gré des intérêts stratégiques de la République islamique.
Enfin, loin d’être une simple force d’appoint, elle a acquis ces dernières années une compétence de très haut niveau en matière de manipulation de l’information, s’inspirant des techniques du renseignement extérieur russe.
Guerre asymétrique, espionnage et terrorisme
Que ce soit au Liban, en Syrie ou au Yémen, la guerre asymétrique et les opérations de guérilla sont la marque de fabrique de la Force al-Qods. Actuellement, l’une de ses missions principales consiste à perturber la navigation et le commerce mondiaux dans le golfe Persique et en mer Rouge, autrement dit à livrer une guerre économique à l’Occident, tout en mettant sous pression les pays arabes du Golfe. En agissant ainsi, les sicaires de la République islamique d’Iran entendent contraindre ces derniers à faire pression sur l’Occident pour qu’il oblige Israël à stopper ses opérations à Gaza.
Pour les Mollahs, c’est aussi une façon de montrer aux pays du Golfe que ce sont eux qui détiennent la plus grande puissance du Moyen-Orient.
Selon plusieurs sources que nous avons interrogées dans les milieux du renseignement, mais aussi au sein du régime iranien, Téhéran craint par ailleurs la puissance maritime occidentale, ce qui explique l’hyperactivité de la Force al-Qods dans les eaux de la région.
La Force al-Qods a aussi mis en place tout un réseau d’espions en Europe. Celui-ci agit par le biais des ambassades iraniennes sur le vieux continent, mais aussi via des relais au sein de la diaspora chiite et d’entreprises de transport. Ces agents ont pour mission de produire du renseignement concernant des opposants au régime, mais aussi de faire de l’influence, ou encore d’aider au financement des organisations islamistes.
Les liens de la Force al-Qods avec la nébuleuse djihadiste nous avaient déjà été confiés en octobre par une source iranienne, anciennement proche du régime iranien : « Il y a des cellules (terroristes) en France et aux États-Unis (…). Compte tenu du nombre important de Musulmans et de la présence active du régime iranien dans votre pays, elles attendent l’ordre de Téhéran qui veut mettre la pression sur l’Occident pour sauver le Hamas, montrer sa détermination et donner espoir à ses autres proxies. »
La « menace est prise très au sérieux », nous a expliqué un proche du renseignement français. Et pour cause : selon l’ancien agent spécial de la DEA, Amir Hamidi, spécialiste des Gardiens de la Révolution, « la Force al-Qods entrainent aussi des combattants d’al-Qaïda à l’intérieur de l’Iran ».
Une faiblesse structurelle
Toutefois, la Force al-Qods afficherait depuis quelques semaines des faiblesses structurelles. La République islamique manque en effet de liquidités et fait face à une crise économique sans précédent, ce qui entraverait un certain nombre de ses projets dans le domaine militaire.
Selon plusieurs sources, elle est aussi traversée par des dissensions internes, qui semblent perturber la prise de décisions de son commandement. La mort de plusieurs de ses officiers, tués par Israël en Syrie (le plus récent étant Mohammad Reza Zahedi, mort lors d’un raid israélien sur une annexe consulaire iranienne à Damas, le 1er avril), inquiète par ailleurs le régime iranien qui doit en effet les remplacer et reconstituer leurs réseaux, ce qui est long et coûteux.
Par ailleurs, au moins quatre des officiers de rang moyen de la Force al-Qods, critiquant la stratégie du régime, auraient été arrêtés début mars. Un signe fort, qui laisse penser que la République islamique, pourtant plus agressive que jamais, est réellement en proie à une crise profonde au cœur même de ses institutions.