Entre l’élégante et raffinée Kamala Harris et l’imposant, caractériel et excessif Donald Trump, le contraste est saisissant. C’est le choc frontal de deux Amériques que rien – ou presque – ne peut plus réconcilier.
Par Atmane TazaghartEn 2017 déjà, face à Hillary Clinton, le tonitruant milliardaire new-yorkais s’est offert les clés de la Maison-Blanche grâce aux voix des ‘‘Blancs déclassés’’ qui peuplent ce que les économistes d’outre-Atlantique nomment les ‘‘ceintures de la rouille’’- référence aux zones désindustrialisées qui se sont formées, au tournant du nouveau millénaire, autour des villes moyennes américaines. Avec leurs lots de délabrement urbain, détresse sociale et taux de chômage records, qui frappent de plein fouet les catégories ouvrières et les classes moyennes ‘‘blanches’’, les plongeant dans le dénuement et l’exclusion qui furent jadis le lot quasi exclusif des ‘‘minorités’’.
Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, Donald Trump continue à faire rêver ces laissés-pour-compte de la mondialisation. Car, en dépit des excès qui le caractérisent, de sa personnalité pittoresque, ses méthodes clivantes et ses déclarations quelquefois délirantes, on ne saurait résumer le ‘‘bulldozer à la mèche orange’’ à la caricature que l’on se fait de lui dans le reste du monde.
Ses excès – notamment en fin de mandat, quand il a soumis les Institutions américaines à rude épreuve, en ne reconnaissant pas sa défaite face à Joe Biden – ont mis en lambeaux sa promesse de ‘‘rendre l’Amérique forte à nouveau’’ (Make America Great Again). La démocratie américaine n’en est, certes, pas sortie grandie. Mais le bilan social de la première Administration Trump, marqué au sceau du ‘‘protectionisme (voire du patriotisme) économique’’, est impressionnant. Tant et si bien que l’action en faveur de l’emploi et contre la flambée des prix sera l’une des principales clés de voûte qui pourraient ouvrir à Trump, de nouveau, les portes de la Maison-Blanche.
En face, Kamala Harris, qui a remplacé Joe Biden, au pied levé, fin juillet dernier, a su redonner espoir aux électeurs modérés. Son profil (femme, active, issue des ‘‘minorités’’) et sa réputation de ‘‘femme d’État intègre, bosseuse et opiniâtre’’ ont pu séduire au-delà du seul Parti démocrate. En témoigne le soutien que lui a apporté Liz Cheney, la fille de l’ex-vice-Président ‘‘neocon’’ Dick Cheney
Pour empêcher Trump de retourner à la Maison-Blanche, Harris dispose de deux atouts redoutables : Les craintes pour les Institutions de la démocratie américaine qui risqueraient d’être ébranlées par les outrances trumpistes. Et les menaces qui pourraient peser sur les droits civiques (remise en cause du droit à l’avortement, discriminations à l’encontre des minorités…).
Or, ces thématiques sont extrêmement clivantes. Et de ce fait, le choc Trump-Harris menace d’aggraver la ‘‘fracture américaine’’. Car, ‘‘les Républicains voient dans les Démocrates des Américains qui ont perdu le sens patriotique, qui sont manipulés par des idéologies bizarres que l’on appelle le wokisme. Et les Démocrates considèrent que les Républicains sont des réactionnaires, de vieux sudistes qui n’ont pas digéré la guerre de Sécession, qui ne sont intéressés que par l’argent’’, comme l’explique l’éminent spécialiste de l’Histoire des États-Unis, André Kaspi.
La bataille électorale prend, donc, les allures d’un duel fratricide opposant l’Amérique de ‘‘ceux qui travaillent avec leurs mains’’ à celle de ‘‘ceux qui travaillent avec leur tête’’, comme le résume si bien Kenneth R. Weinstein
Reste à savoir qui de Trump ou Harris sortira vainqueur de ce duel ? Et quelles répercussions la victoire de l’un ou de l’autre aura-t-elle pour les États-Unis et, par ricochet, pour le reste du monde ?