Ancien ambassadeur des États-Unis au Japon, sous l’administration Trump, Kenneth R. Weinstein affiche, sans langue de bois, son soutien au candidat républicain. Grand connaisseur de la politique étrangère américaine, il détaille, dans cet entretien, les répercussions pour le reste du monde d’un retour éventuel de Donald Trump à la Maison-Blanche.
– Nous sommes dans la dernière ligne droite de l’élection présidentielle américaine. Selon vous, qui des deux candidats a le plus de chances de l’emporter : Trump ou Harris ?
– Kenneth R. Weinstein : Actuellement, il me semble que c’est Donald Trump qui tient le manche pour remporter l’élection. Le scrutin sera cependant très serré, même si je parie encore une fois sur une victoire de Trump.
– Dans quelle mesure le confit actuel au Moyen-Orient influe-t-il sur l’élection américaine ? Lequel des deux candidats pourra-t-il en tirer profit ?
– La situation au Moyen-Orient impacte l’élection à plusieurs niveaux. D’abord, ce qui se passe actuellement entre Israël et l’Iran rappelle que le monde était plus tranquille sous Donald Trump, qui avait une véritable notion de la dissuasion et de la contre-dissuasion. Compte tenu de son passé dans l’immobilier, Trump a appris à mettre la pression sur ses concurrents et confrères. Il a ainsi l’habitude de quitter la table des négociations quand les choses ne vont pas dans son sens. Grace à lui, il n’y a pas eu de guerre massive, au Proche-Orient ou en Europe. Sa présidence est la seule que les Russes ont respectée sans faire d’annexion de territoire, comme ce fut le cas sous Obama, ou aujourd’hui en Ukraine. Trump a une personnalité très forte. Il a dit à Poutine qu’il l’attaquerait s’il envahissait l’Ukraine. Et il a été pris au sérieux, notamment en raison de la mort du général iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods au sein du Corps des Gardiens de la Révolution [tué lors d’une frappe américaine en Irak, le 3 janvier 2020]. La politique de Harris est quant à elle beaucoup plus à gauche et plus critique d’Israël. Trump a, par ailleurs, fait un grand effort pour se rapprocher des Irano-Américains qui sont très interventionnistes. Raisons pour lesquelles je pense que le vote juif sera en sa faveur.
– Beaucoup d’analystes considèrent qu’à la veille de cette élection, les États-Unis sont au bord de la guerre civile. Qu’en pensez-vous ?
– Non, pas du tout. Il y a en effet un clivage culturel, comme il en existe en France, entre la capitale et le reste du pays. Aux USA, ce contraste existe entre la côte ouest et la côte est. Il y a aussi un clivage culturel, comme sur les sujets de l’avortement ou du transsexualisme, qui sont parmi les enjeux de cette campagne électorale. On peut résumer ce clivage comme étant celui des gens qui travaillent avec leurs mains contre ceux qui travaillent avec leur tête. Si Trump est élu, il ne faut pas se faire d’illusions : on aura droit à des émeutes.
– Trump est-il aussi caractériel et excessif qu’on le dit ?
– Trump ne correspond pas aux clichés convenus des progressistes, c’est certain. Il adore aussi penser publiquement et changer d’opinion. Mais il n’a rien d’un caractériel ou d’un homme délirant. La preuve, c’est qu’il a su gérer ses affaires. En revanche, il est très dur et rejette totalement les lieux communs répétés en boucle par les bienpensants et les grands médias de gauche. Je crois qu’il y a, en réalité, une élite qui lit The New York Times qui déteste Trump. Et c’est ce genre de presse qui entretient ce mythe autour de lui, pour séduire ses lecteurs. Cela dit, il faut prendre en compte le fait que les gens ont de moins en moins confiance dans les médias.
– Que pense Trump des évènements actuels au Proche-Orient ? Quelle sera sa ligne s’il est élu ?
– Il va avoir une ligne très dure à l’égard de la République islamique d’Iran. Il laissera Israël faire ce qu’il a à faire. Il va aussi faire en sorte que les Émirats et les pays du Golfe puissent travailler contre l’Iran. Il y aura bien sûr un débat au sein de son cabinet. Mais ce qui est clair, c’est qu’il n’a aucune confiance dans les accords de Vienne sur le nucléaire iranien. Il ne croit pas non plus que la diplomatie puisse avoir de résultat avec Téhéran. En clair, il croit davantage aux sanctions.
– Et avec la Russie ? Quelles seront ses positions ?
– Son idée est de conseiller aux Ukrainiens de négocier directement avec la Russie. Ensuite, il dira aux Russes de faire de même avec l’Ukraine et que s’ils ne le font pas, alors les USA vendront des armes à faible coût pour soutenir les Ukrainiens.Encore une fois, Trump est un homme qui sait persuader ses interlocuteurs. Ce n’est pas Biden, qui a joué la carte de la retraite en Afghanistan. Trump, lui, a su mettre la pression sur les Talibans en les menaçant. Lui, se voit en gardien de la paix mondiale. Si les Européens, veulent garder leurs frontières et acceptent sa stratégie, alors cela marchera. Je le redis : Trump n’est pas un looser. Et il n’a rien contre Zelensky, la réciproque étant vraie. Mais il sait que la guerre coûte trop cher.
– Face à la Chine, Trump sera-t-il le va-t-en-guerre que l’on décrit ? Est-il prêt à entrer en conflit pour défendre Taïwan ?
– C’est absurde ! Trump fera pression sur la Chine, c’est évident. Mais il compte surtout jouer la carte de la dissuasion pour éviter la guerre.
– Comment sera la politique étrangère de Kamala Harris, si elle est élue ? Sera-t-elle une grande Présidente ?
– Kamala Harris n’est pas une spécialiste des grandes questions internationales. Elle aime donner son avis, être vue comme une grande politique, mais elle ne maîtrise pas ses dossiers sur le fond. Ce n’est pas une femme de détails. Si elle est élue, elle sera une Présidente faible sur les thèmes internationaux. Elle ne sera pas respectée. Tout cela se comprend clairement quand on l’écoute. Elle a été choisie comme vice-Présidente en raison de ses origines. Elle est connue pour être une femme qui fait le show, plus que comme une bosseuse. Elle s’intéresse surtout aux droits civils. Sur les dossiers internationaux, si elle élue, c’est l’ancienne équipe d’Obama qui prendra le lead sur ces dossiers.
BioExpress
Ancien président de l’Hudson Institute, l’un des principaux think tanks conservateurs américains (2011-2021), diplômé de l’Université de Chicago, de l’Institut de sciences politiques de Paris et de Harvard, Kenneth R. Weinstein est considéré comme l’un des leaders d’opinion les plus reconnus dans le domaine de la politique étrangère américaine. Il a travaillé pour diverses commissions sous quatre administrations américaines, républicaines et démocrates. Il a notamment été nommé par George W. Bush au National Council on the Humanities, et par Barack Obama au Broadcasting Board of Governors (ancêtre de l’actuel U.S. Agency for Global Media).