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Alex Brandon/AP/SIPA

 

Présidentielle américaine : leurs fractures et les nôtres

3 novembre 2024 Expertises   47295  

Martine Gozlan

Sommes-nous si loin d’eux ? L’océan qui nous sépare des Américains semble rétrécir à la veille d’une élection présidentielle cruciale pour les États-Unis et le monde. La panne du rêve américain, cristallisée par l’engouement de la moitié de la nation pour un Donald Trump qui délire – « exécutions de bébés après la naissance, réfugiés haïtiens mangeurs de chats et chiens » – et menace du pire s’il n’obtient pas la victoire, serait-elle la version XXL de la panne du rêve français ?
Ils vont voter alors que nous ne sommes toujours pas remis, ni guéris, de nos propres élections, des Européennes de juin aux Législatives de juillet. Perte du pouvoir d’achat, rupture entre les communautés, dialogues minés par les haines, ultra-violence, dictature des réseaux sociaux, emprise du complotisme : aux débats qui embrasent la scène américaine font écho ceux qui occupent la nôtre.

Dans l’affrontement entre la raison et l’outrance, dans l’inquiétude sur ce que deviendront ‘‘Leurs enfants après eux’’, pour reprendre le titre symbolique d’un prix Goncourt célèbre (Nicolas Mathieu, Actes Sud, 2018) et d’un film à succès (2024), Français et Américains sont les acteurs d’une même tragédie, les héritiers de deux promesses trahies.

« L’Amérique d’aujourd’hui, fragilisée, fracturée, semble s’éloigner de sa promesse originelle, celle de sa Constitution, ambitionnant de mener toujours vers une union plus parfaite ; l’échéance présidentielle de 2024 est décisive parce qu’elle engage la question de la démocratie elle-même », écrit la Franco-Américaine Amy Greene, universitaire et essayiste, dans son dernier ouvrage*.

Si les deux sociétés paraissent construites sur des structures opposées – le communautarisme multiculturel américain et la laïcité française -, elles souffrent aujourd’hui d’un ébranlement profond de même nature. Née d’un rassemblement d’immigrés aux croyances et origines diverses, théâtre d’une tragédie raciale dont elle finit par triompher, l’Amérique a toujours su transcender sa diversité par une adhésion fusionnelle de tous ses enfants aux valeurs fondatrices. Le fameux ‘‘miracle’’ est là et c’est vers lui que nous nous sommes tournés avec envie – oublions les antiaméricains obsessionnels – depuis que le nôtre manifeste un certain essoufflement. Car les Français aussi ont leur miracle : le combat historique de la République pour tenir à distance la religion qui sépare au bénéfice de l’instruction qui répare et de la laïcité qui protège.

Or, ici comme là-bas, nous redoutons de devenir orphelins. Notre modèle est sapé par des influenceurs politiques qui misent cyniquement sur l’origine présumée et la pulsion obscurantiste pour faire leur marché électoral. Quant au peuple américain, « la perte de repères communs entre citoyens participe de l’effondrement de l’union nationale, constate Amy Greene. La notion de vérité partagée se voit évincée par des faits dits alternatifs dans un environnement politico-médiatique laissant à l’individu la possibilité de s’isoler au sein d’enclaves numériques qui confortent ou durcissent ses opinions… »

Ce diagnostic cruel est incontestable. Comme celui de nombreux analystes de l’Hexagone sur la perte de sens du bien commun qui nous frappe. Mais, d’un côté et de l’autre de l’Atlantique, le pessimisme, allié de la colère, est mauvais conseiller. Les peuples ne se détachent pas si facilement de ce qui les fonde. Un brillant observateur des civilisations, Élie Faure, auteur d’une monumentale ‘‘Histoire de l’Art’’, se penchait naguère sur l’âme américaine. Peu séduit par ce monde, il lui concédait toutefois les vertus d’une « énergie illimitée » et qualifiait les États-Unis de « dynamocratie ».

« Le définitif n’intéresse pas les Américains, là est leur force vraie et elle semble gigantesque », écrivait Élie Faure dans un essai intitulé ‘‘D’autres terres en vue’’, publié avant la Seconde Guerre mondiale et reparu récemment aux éditions du Seuil. Autrement dit, la toujours jeune Amérique porte en elle une capacité de renouvellement en contradiction totale avec le passéisme prôné par Trump, ce vieux Républicain retranché dans un ranch fantasmé.

Comme elle, la vieille France, riche de ses combats universalistes, ne peut accepter qu’ils soient reniés par des apprentis sorciers. Quels que soient leur horizon natal, leur langue, leurs poètes, un même fil relie les démocrates. C’est pourquoi nous vibrerons à l’unisson du peuple d’outre-Atlantique quand le jour se lèvera sur sa Présidentielle.

* ‘‘L’Amérique face à ses fractures. Que reste-t-il du rêve américain ?’’, par Amy Greene, Tallandier, septembre 2024, 256 pages, 19,50 euros.