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Julia Beverly/Shutterstock/SIPA

 

Kamala Harris : Yes we KAM ?

3 novembre 2024 News   127621  

Du renoncement de Joe Biden le 21 juillet dernier au scrutin du 5 novembre prochain : la vice-présidente des États-Unis n’aura disposé que d’une centaine de jours pour faire campagne, Kamala Devi Harris, 60 ans, fille d’un économiste jamaïcain et d’une scientifique indienne, ancienne procureur de Californie, est caricaturée par ses adversaires trumpistes comme « une gauchiste » et par les wokes comme « une flic ». La réalité est celle d’une centriste pragmatique, certes peu charismatique, mais bosseuse et intègre. Ce qui, face au bulldozer en roue libre qu’est Trump, peut convaincre et rassurer les électeurs indécis….

Par Erwan Le Moal

À l’extérieur des USA, beaucoup ont découvert Kamala Harris le samedi 7 novembre 2020, lorsque fut confirmée la victoire électorale de Joe Biden sur Donald Trump, après un interminable dépouillement. En jogging devant les caméras, la colistière démocrate avait téléphoné à son boss et prononcé cette sentence : « Nous l’avons fait, Joe » (« we did it, Joe »). Sans doute, la sénatrice de Californie imaginait-elle alors la parenthèse trumpiste refermée. Las ! Tel le méchant dans la suite d’un mauvais film d’action, Trump revient pour « se venger » – ce sont ses mots… Trump 1 prépare Trump 2, le Retour. Le même, en pire.

La candidate Harris, dès son premier meeting de campagne, a donné le ton : « la liberté » avec elle, « le chaos » avec Trump. Ce dernier venait d’insinuer qu’après avoir voté pour lui, les Américains n’auraient plus jamais à se rendre aux urnes… La responsabilité sur les épaules de Kamala Harris est historique : sauver la démocratie !

Nul n’aurait imaginé un tel scénario lorsqu’en janvier 2019, cette magistrate, élue sénatrice démocrate de Californie en 2016, s’est présentée à la primaire de son parti. Stagnant à 3 % des voix, elle avait jeté l’éponge… avant d’être rappelée par Biden comme colistière : dans une nation minée par le communautarisme, l’ex-vice-président de Barack Obama cherchait à capter les suffrages des femmes et des minorités.

Son prénom Kamala signifie « lotus » en sanskrit : « Une fleur posée sur l’eau, qui n’est jamais mouillée et trouve ses racines dans la boue. Il est important de savoir d’où on vient », a-t-elle coutume d’expliquer. Son second prénom, Devi, veut dire « déesse ». Ses parents se sont rencontrés en 1962 à l’université californienne de Berkeley. Son père, Donald Harris, était un étudiant jamaïcain et sa mère, Shyamala Gopalan, une étudiante indienne originaire du Tamil Nadu. Sur le campus, le jeune couple fréquentait la gauche noire américaine, et notamment un des fondateurs des Black Panthers, Huey Newton. Le père de Kamala est devenu professeur d’économie, et sa mère, endocrinologue.

Au divorce de leurs parents, Kamala et sa sœur cadette Maya suivent leur mère au Québec et font leur scolarité en français. Kamala revient aux USA étudier le droit, avant d’entrer au Barreau de Californie, où elle gravit les échelons. À 29 ans, elle a une liaison avec Willie Brown, politicien afro-américain de trente ans son aîné, et futur maire de San Francisco, qui la nomme dans deux commissions étatiques. Elle est élue procureur de San Francisco en 2004, puis procureur général de Californie (2011-2017). Ce qui fait d’elle la première femme et la première Afro-américaine à diriger l’administration judiciaire de l’État le plus peuplé du pays.

Procureur Harris 

Non seulement les USA détiennent le record du plus fort taux d’incarcération au monde (1,77 million de détenus), mais la justice y est terriblement inégalitaire : un accusé qui ne peut se payer un bon avocat doit se résigner à « plaider coupable ». Les pauvres sont surreprésentées en prison : les Afro-américains, 13 % de la population, constituent 40 % des détenus. Des militants afro-américains ne digèrent donc pas le passé de Kamala Harris : « She’s a cop » (« c’est une flic »), s’étaient-ils offusqués lorsque Kamala s’était présentée aux primaires démocrates. Elle admet être moins à gauche que ses parents. Un recentrage qui choque les wokes, mais pourrait s’avérer crucial le 5 novembre, en rassurant les électeurs de droite modérés, révulsés par la fascisation du parti républicain sous la coupe de Trump. Telle Liz Cheney (fille de Dick Cheney, ex-vice-Président ‘‘neocon’’ de George W. Bush et architecte de la guerre en Irak) qui s’affiche en meeting avec la candidate démocrate.

Kamala Harris rappelle à ses détracteurs de gauche qu’en 2005, en tant que procureur, elle a lancé un programme de réinsertion, ‘‘Back on Track’’ (‘‘remis sur les rails’’) pour éviter la prison aux primo-délinquants. Après la crise des subprimes, elle a aussi fait passer une loi en Californie pour éviter l’expulsion des petits propriétaires (homeowner bill of rights). Bref, il est inepte d’accuser la première asiatique et deuxième afro-américaine élue au Sénat d’être indifférente aux inégalités raciales qui plombent les USA. Son mari Douglas Emhoff, un avocat new-yorkais, divorcé et père de deux enfants, a raconté comment Kamala lui a « fait prendre conscience du privilège d’être Blanc » dans ce pays.

Fille d’un Jamaïcain et d’une indienne, Kamala s’est aussi vue reprocher de ne pas être une « vraie » afro-américaine. Pourtant, ses ancêtres étaient bien des esclaves africains déportés dans les plantations de Jamaïque. Harris évoque ses « premières manifs en poussette ». « Je suis née Noire et je mourrai Noire, je ne vais pas m’excuser auprès de gens qui ne comprennent pas ça », a-t-elle dû se justifier.

À droite, entre deux allusions racistes, on fustige Harris, 60 ans le 20 octobre prochain, pour ne pas avoir eu d’enfant. En 2021, J.D Vance, le colistier de Trump, l’a qualifiée de « femme à chats misérable dans sa vie », qui n’aurait « pas d’intérêt » au futur du pays. Vance fait semblant d’oublier qu’Angela Merkel n’avait, elle non plus, pas d’enfants !

Discrète mais opiniâtre

Des pancartes « Kamala 2024 » avaient fleuri dès novembre 2020 dans les rassemblements fêtant la victoire de Biden. L’intéressée s’était bien gardée de manifester quelque ambition. Discrète vice-Présidente, elle a su, pendant quatre ans, entretenir son image de femme moderne et sexy. Chaussée de baskets Converse, elle incarnait le tonus qui manquait tant au grabataire Joe Biden : un jour, sous la pluie (et devant les caméras…), elle a même dansé sur le morceau Work That de la rappeuse Mary J. Blige. Une « cool attitude » qui ne l’empêche pas de se montrer opiniâtre face à ses adversaires, ainsi qu’elle l’a encore prouvé le 10 septembre dernier lors de son unique débat avec Trump.

Le 27 juin, le tribun républicain avait écrabouillé en direct le sénile Biden : « Je n’ai aucune idée de ce qu’il cherche à dire et je pense que lui non plus ! », avait-il ricané en réponse aux inintelligibles bredouillements du Président… Mais devant Kamala, de vingt ans sa cadette, Trump a fait figure d’homme du passé. Il s’était montré inapte à argumenter et répliquer à l’ancienne procureur. La confrontation a tant refroidi Trump qu’il refuse tout nouveau débat face à Harris. Non par crainte de perdre ses fans – ils l’idolâtrent et sont sourds aux arguments rationnels -, mais de peur de faire basculer les indécis, les centristes et les modérés qui, le mardi 5 novembre prochain, vont décider du sort des États-Unis. Et, par conséquent, du reste du monde…