« I love you Elon ! » À l’annonce de sa victoire, Trump a aussitôt remercié le « formidable » Musk, qualifié de « génie » et de « star ». L’homme le plus riche du monde, patron de Tesla et de Space X, aura en effet largement contribué au retour du président populiste américain, finançant sa campagne (à hauteur d’au moins 120 millions de dollars) et mettant son réseau social X (ex-Twitter) à son service…
Par Erwan Le MoalNé en Afrique du Sud, il y a 53 ans, Elon Musk incarne depuis le début du millénaire l’archétype du prodige de la Tech, charismatique et provocateur. Même Hollywood s’était laissé séduire, s’inspirant de ce milliardaire excentrique pour créer le personnage de Tony Stark dans les films de superhéros Iron Man…
C’était oublier un peu trop vite que, derrière le look décontracté et les projets déjantés, se cachait un libertarien égocentrique, que la pandémie de Covid 19 a fait basculer vers le complotisme et l’extrême droite. Ce qui en a fait un personnage sulfureux et outrancier, plus proche du Tony Montana de Scarface [célèbre film de gangster, réalisé en 1983 par Brian De Palma sur un scénario d’Oliver Stone] que d’Iron Man ! Et dont l’alliance avec la prochain Administration Trump ne fera qu’accentuer les excès…
Futur mauvais génie de Trump ?
Elon Musk a remporté son pari. En récompense de ses loyaux services, Trump le chargera de larges responsabilités politiques. Le Président (ré)élu veut lui confier « un audit » afin de « réformer en profondeur » le gouvernement américain. Ce qui augure, compte tenu de ses convictions libertariennes (courant politique mélangeant idées libertaires et ultralibérales) de coupes claires dans les budgets des agences fédérales et d’une dérégulation tous azimuts. L’homme le plus riche du monde se lèche les babines, affirmant avoir « hâte de servir l’Amérique ». Servir l’Amérique ou ses propres intérêts ? La victoire de Trump a fait grimper de 13 % le cours des actions de Tesla : Wall Street sait que l’avenir du constructeur automobile est assuré. C’était, à l’évidence, un des objectifs de Musk. Trump – dont l’électorat redneck raffole des pickups pétaradants qui carburent au diesel – promettait naguère de « mettre fin à la voiture électrique dès le premier jour », pour « sauver l’industrie automobile américaine de l’anéantissement ». Désormais, il s’affirme « prêt pour les voitures électriques » … Tesla devrait donc conserver son crédit d’impôt, tandis qu’à l’inverse, ses concurrentes chinoises – mais aussi européennes – subiront de lourdes taxes. Ce n’est pas tout : patron de Space X, Musk entend, avec le concours de Trump, envoyer un vaisseau habité sur la planète Mars dès 2028… Enfin, Musk pourrait mettre à la disposition de Trump ses relations privilégiées avec Vladimir Poutine, avec qui il s’entretient régulièrement.
Ado harcelé à Pretoria
Elon Musk était déjà l’homme le plus riche du monde, il en est devenu un des plus puissants… Né en 1971 à Pretoria, il est le fils d’Errol Musk, ingénieur possédant des intérêts miniers en Zambie, et de Maye Haldeman, nutritionniste et ex-mannequin d’origine canadienne. Il a donc grandi dans l’Afrique du Sud de l’Apartheid, mais du bon côté de la barrière raciale. Au divorce de ses parents, Elon s’isole et lit beaucoup, jusqu’à deux ouvrages par jour, sur tous les sujets. Il se passionne pour les premiers ordinateurs. Dès 12 ans, il bricole un code pour jeu vidéo et le revend à un magazine. Mais dans les cours de récrés, les « intellos » introvertis sont rarement populaires : au lycée, une bande de brutes le harcèle, le tabasse, le jette dans l’escalier et l’expédie aux urgences… Un jour qu’il se cachait de ses harceleurs, son « meilleur ami » le trahit et le livre à ses bourreaux. Ces traumatismes constituent sans doute un des moteurs de sa soif de réussite : le besoin de faire ses preuves, de sécuriser et contrôler un environnement sur lequel il ne trouvait naguère aucune prise.
À 17 ans, Elon profite de la nationalité canadienne de sa mère pour filer étudier dans l’Ontario. Il dément avoir alors bénéficié de la fortune paternelle : « Je suis parti au Canada avec un sac à dos et une valise de bouquins ». Il décroche ensuite une bourse pour étudier en Pennsylvanie. Visionnaire, il anticipe déjà les potentialités qu’offrent ce que Bill Clinton appelle alors « les autoroutes de l’information » : Internet. En 1995, il plaque ses études et cofonde une start-up de logiciels, Zip2. Compaq la rachètera en 1999 plus de 300 millions de dollars ! Avec sa part du gâteau, Musk fonde la première banque virtuelle : X.com. Pour cela, il a besoin d’une solution de paiement fiable, et s’associe avec une start-up qui planche sur ce domaine : Paypal. Bien lui en a pris : en 2002, il réalise une énorme plus-value lorsqu’eBay rachète Paypal pour… 1,5 milliard de dollars ! À trente ans, le voilà richissime. Il investit son pactole pour réaliser ses rêves les plus fous. En 2002, ce fan de SF ose se lancer dans la conquête spatiale, avec SpaceX. Son idée de génie est de réduire les coûts en récupérant l’étage principal des fusées – jusqu’alors à usage unique. Space X met son premier satellite en orbite en 2008 et, depuis 2012, ravitaille l’ISS, la station spatiale internationale.
Autre martingale : Tesla. En 2004, Musk entre au capital d’un obscur constructeur de voitures électriques de luxe, Tesla Motors, nommé ainsi en l’honneur de l’inventeur américain d’origine serbe Nikola Tesla (1856-1943). Depuis, il l’a transformée en marque la plus connue, à défaut d’être la plus vendue. Musk se passionne évidemment aussi pour l’intelligence artificielle : dès 2015, il lance l’OpenAI, une association collaborative cherchant à créer une IA en Opensource, et l’année suivante Neuralink, une société qui veut fusionner les intelligences humaines et artificielles, en implantant des puces dans nos cerveaux… À ceux qui s’inquiètent de voir émerger Frankenstein, Musk réplique que ses intentions sont louables : il voudrait par exemple redonner leur motricité aux paraplégiques. On peine cependant à l’imaginer capable d’une telle empathie. Père de onze enfants issus de trois mariages, il a nommé le sixième… X AE A-12, supposé se prononcer « Ex Ash A twelve ». Affubler son propre enfant d’un patronyme évoquant, au mieux une exoplanète, au pire un code wifi, en dit long sur l’égocentrisme de Musk.
Sur le plan politique, l’homme est donc un libertarien assumé, Fin 2016, il avait déjà rejoint l’équipe de Trump… avant de démissionner début 2017, quand le Président climatosceptique a renié l’Accord de Paris sur le Climat. Le Musk de 2024 aura-t-il désormais les mêmes pudeurs ? Le personnage s’est radicalisé depuis le Covid. En avril 2020, il enrage contre le confinement qui l’oblige à fermer ses usines. En 2022, agacé de voir Twitter supprimer des tweets jugés haineux, il rachète ce réseau social pour la somme faramineuse de… 44 milliards de dollars ! Il le rebaptise X et y promeut une liberté d’expression totale, même pour les plus extrémistes. Les annonceurs fuient, le nombre d’utilisateurs chute d’un tiers, la valorisation s’effondre de 75 %, mais peu lui importe : il veut offrir une tribune aux idées ultraconservatrices et complotistes (il a payé les frais de justice d’une médecin canadienne antivax…).
Une des causes de sa radicalisation est intime : en 2022, un de ses fils, Xavier, a changé de genre à l’âge de 18 ans pour se faire appeler Vivian Jenna Wilson, et coupé les ponts avec son père. Musk traite Xavier/Vivian de « communiste » qui s’est fait « laver le cerveau ». « J’ai perdu mon fils, a-t-il déclaré, très affecté, dans une interview. Ils appellent cela un nom mort [le ‘dead name’ est l’ancien prénom d’un transgenre]. Le virus woke a tué mon fils… J’ai donc juré de détruire le virus woke ». Vivian Jenna Wilson a réagi à la victoire de Trump en annonçant sa volonté de quitter les États-Unis.
Pourrir la Terre, coloniser Mars
Au cours de sa campagne pour Trump, Musk n’a reculé devant aucune outrance : loterie pour récompenser les signataires d’une pétition sur le port d’armes dans les États pivots, vidéos mensongères générées par l’IA… Et ça a marché : Trump a non seulement gagné, mais il clame son amour pour Musk !
La psychologie aurait sans doute beaucoup à dire au sujet de cette fascination mutuelle entre un esprit brillant, ex-ado introverti et harcelé, et un mâle alpha brutal à la grossièreté et l’inculture assumées, qui nie les réalités scientifiques… Mais à bien y réfléchir, le soutien apporté par Musk à Trump s’inscrit dans la droite ligne de la stratégie économique que l’entrepreneur poursuit depuis ses débuts : séduire les investisseurs et les actionnaires, puis s’endetter pour réinvestir dans un projet encore plus dingue. Comme la conquête de Mars. Un caillou désertique, où il rêve d’installer « un million de personnes en 2050 ». L’humanité peut périr du réchauffement climatique, Musk s’en fiche. Seule lui importe la réalisation de son rêve de gosse. À cette fin, il aura donc contribué à propulser à la Maison-Blanche un climatosceptique fascisant qui promet de « forer, forer, forer » (« drill, drill, drill ») des puits de pétrole…