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Le moins que l’on puisse dire, c’est que la prestation de Tariq Ramadan face à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV n’a pas eu l’effet escompté. Avant même que le petit-fils d’Hassan al-Banna prenne la parole, après presque deux ans de silence quelque peu forcé, Oumma.com, le principal site musulman francophone, l’allumait en évoquant une « vaine réhabilitation ». Le site rappelait que « sa vie n’était qu’un tissu de mensonges et son cynisme sans limites ».

 

Les Frères musulmans ont fini par lâcher Tariq Ramadan

12 novembre 2019 Expertises   14225  

Ian Hamel
Ian Hamel

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la prestation de Tariq Ramadan face à Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV n’a pas eu l’effet escompté. Avant même que le petit-fils d’Hassan al-Banna prenne la parole, après presque deux ans de silence quelque peu forcé, Oumma.com, le principal site musulman francophone, l’allumait en évoquant une « vaine réhabilitation ». Le site rappelait que « sa vie n’était qu’un tissu de mensonges et son cynisme sans limites ».

Mais le coup le plus dur lui a été porté par Musulmans de France (l’ex-UOIF), la branche tricolore des Frères musulmans. Avant même que son ouvrage, Devoir de vérité (tiré à 12.000 exemplaires), ne soit distribué dans les librairies, l’association musulmane se déclarait trahie « par le comportement révélé par monsieur Ramadan, comportement qui s’avère en totale contradiction avec les principes éthiques et moraux attendus d’un homme qui prône l’islam, appelle à sa spiritualité et à ses valeurs, et répond aux interrogations d’un public essentiellement jeune et à la recherche de modèles ». Le site Middle East Eye, réputé proche de la Confrérie et du Qatar, ne le ménage pas non plus, en titrant sur « l’impossible défense de Tariq Ramadan », et en évoquant un « parfum de scandale ».

La presse française n’a pas accordé à ce désaveu, de la part de la Confrérie, la place qu’il méritait. Certes, Musulmans de France a mis beaucoup de temps avant de rompre avec le prédicateur suisse. Il faut se souvenir que lors de la rencontre annuelle des Musulmans de France, au Bourget en 2018, la principale association musulmane tricolore n’avait pas hésité à faire applaudir un homme incarcéré pour deux viols ! Mais il faut savoir que depuis la création de la Confrérie en 1928, sur les bords du Nil en Égypte, la famille d’Hassan al-Banna avait toujours été intouchable. Le livre Les Frères musulmans des origines à nos jours (Amr Elshobaki, Karthala, 2009) raconte que l’un des frères du Guide général était accusé de piquer dans la caisse. Il n’a jamais été inquiété. Hassan al-Banna va même couvrir l’un de ses beaux-frères, Abdel Hakim Abdeen, suspecté d’harceler et d’agresser sexuellement les épouses de certains Frères musulmans. Les faits sont suffisamment graves pour que le tribunal interne de la Confrérie se réunisse pour la première fois en 1945. Le tribunal réclame la condamnation du beau-frère. Mais Hassan al-Banna rejette le rapport présenté par la commission en déclarant qu’il allait former une autre commission impartiale. En fait, il va exclure les membres de la commission qui avait rédigé le rapport accablant concernant Abdel Hakim Abdeen…

Farid Abdelkrim, ancien Frère musulman (il a dirigé les Jeunes Musulmans de France), auteur de Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste (Les Points sur les i, 2015). raconte que l’hostilité des dirigeants de l’ex-UOIF vis-à-vis de Tariq Ramadan est ancienne, car le personnage est particulièrement odieux et ingérable. En interne, il est d’ailleurs surnommé « sa majesté TR ». Mais dès que le petit-fils d’Hassan al-Banna paraît, tous se couchent. «  J’ai en mémoire cette convocation que lui adressa notre honorable conseil d’administration sous prétexte qu’il fallait le rappeler à l’ordre (…) Peu avant qu’il nous rejoigne, beaucoup affichaient ostensiblement leur envie d’en découdre avec l’indiscipliné. Chacun y allait de son indéfectible détermination à lui administrer en pleine face ses quatre vérités… Or, à l’instant même où il apparut, je sentis planer comme un vent de panique », raconte Farid Abdelkrim. Tout ce qu’Ahmed Jeballah, le président de l’UOIF, arrive à prononcer : « Tariq, euh… tu nous es cher… Euh tu es des nôtres et… et nous sommes des tiens… ».

Quant au livre Devoir de vérité, il ne contient aucune révélation. Il se contente d’égrener sur 283 pages les vérités du prédicateur suisse. En fait, Tariq Ramadan serait tombé dans un « traquenard » (pour ne pas dire « complot ») fomenté par le pouvoir français forcément islamophobe. Et pour le compromettre, l’abattre, on n’aurait cessé de lui glisser des femmes (forcément faciles) dans son lit. On retiendra toutefois ses attaques contre le Qatar. D’une part, par une pirouette, il nie que l’émirat gazier puisse lui avoir versé 35 000 euros par mois. « Comment aurais-je pu prendre le risque idiot de rapatrier cet argent en France, comme le mentionne Tracfin, où je me sais si surveillé ? », interroge-t-il. Quelques lignes plus bas, il ajoute sans rire : « Ceux qui me critiquent peuvent-ils citer ne serait-ce qu’un seul discours ou un seul texte où j’aurai défendu un État du Golfe, une monarchie, une dictature ? Il existe au contraire des dizaines d’exemples de textes où je dénonce l’Arabie saoudite, comme le Qatar, l’Iran, la Turquie… ».

Dommage que Tariq Ramadan ne va pas jusqu’à mentionner les publications où il aurait prétendument déversé son courroux contre les al-Thani, et plus particulièrement contre la cheikha Moza, la mère de l’actuel émir, qui lui a sponsorisé sa chaire à Oxford. On peut également se demander pourquoi Tariq Ramadan avait choisi de domicilier sa femme et ses deux filles à Doha, dans cette horrible dictature. Lui-même passant deux semaines par mois dans ses palaces !

 

* Journaliste et écrivain, spécialiste des Frères musulmans.