L’Afghanistan a subi deux attentats-suicides, le 12 mai. Le premier a frappé la maternité Dasht-e-Barchi, dirigée par Médecins Sans Frontières (MSF) à Kaboul, et a tué au moins 14 personnes, dont 2 nouveau-nés. Le second a eu lieu lors des funérailles d’un commandant de la police locale dans le district de Khewa à Nangarhar, tuant 24 personnes. Les deux attaques visaient des civils innocents, pour la plupart des femmes et des enfants.
Bien qu’aucun groupe ne les ait encore revendiqué, le conseiller à la sécurité nationale afghane, Hamdullah Mohib, a imputé la responsabilité des deux attaques aux Talibans et à leurs « sponsors ». Il faisait très probablement référence au groupe terroriste soutenu par le Pakistan, Lashkar-e-Taiba (LeT), connu pour opérer avec les Talibans en Afghanistan.
En 2019, un rapport soumis par le groupe de soutien analytique et de surveillance des sanctions de l’Onu au Comité des sanctions de 1988, qui supervise les sanctions contre les Talibans, a établi que LeT « continue d’agir en tant que facilitateur clé dans les activités de recrutement et de soutien financier en Afghanistan ». Le rapport, citant des responsables afghans, affirme, par ailleurs, que quelque 500 combattants LeT sont actifs dans les seules provinces de Kunar et Nangarhar.
Ces deux attentats, qui s’additionnent à l’attaque contre des soldats afghans dans la province de Helmand, perpétrée le 4 mai, ont mis à nu la fragilité de l’accord de paix, très médiatisé, conclu entre les États-Unis et les Talibans à Doha, le 29 février dernier, qui prévoyait un retrait de troupes étrangères de l’Afghanistan, dans un délai de 14 mois, si les Talibans respectent les termes de l’accord.
Il semble toutefois que l’accord soit tombé à l’eau à peine deux mois après sa signature. Avant même ces attaques à la bombe, la fragilité de l’accord s’est révélée patente, lorsqu’en mars, les Talibans ont accusé les États-Unis de mener des attaques de drones sur des civils et ainsi, de violer l’accord. Les Talibans ont également accusé le gouvernement afghan de retarder la libération de 5.000 prisonniers talibans prévue dans l’accord de paix.
Cependant, ces développements n’ont pas surpris les observateurs qui suivent de près l’actualité de la région afghano-pakistanise durant les dernières décennies. En réalité, les États-Unis, impatients de signer un accord de paix avec les Talibans et de quitter l’Afghanistan, ont répété le même type d’erreurs commises à plusieurs reprises durant les 18 dernières années, depuis le renversement du régime Taliban en Afghanistan en 2001.
La première erreur a été de révéler son impatience de quitter l’Afghanistan, avant même d’entamer les négociations avec une partie des Talibans, à une période où le groupe se trouvait en position de force, exerçant son influence sur plus de 14 % des districts afghans. En outre, en acceptant les Talibans à la table des négociations, sans accorder de voix au chapitre au gouvernement afghan, les Talibans ont acquis une légitimité politique et ont été de facto considérés comme une puissance.
L’erreur suivante a été de faire confiance au Pakistan, en tant que médiateur, pour faciliter l’accord avec les Talibans. Nul n’ignore que l’Afghanistan revêt une importance vitale pour le Pakistan, car il lui donne une profondeur stratégique par rapport à son rival et voisin, l’Inde. Le Pakistan espère à tout prix rétablir un gouvernement ami en Afghanistan, comme c’était le cas avant l’arrivée des forces occidentales dans le pays en 2001. Les Talibans afghans et le réseau Haqqani, qui est le pivot de l’action du service de renseignement pakistanais, l’Inter-Services Intelligence (ISI), depuis les années 1970, ont trouvé refuge au Pakistan depuis 2001. Ce faisant, et pendant près de deux décennies, le Pakistan a saboté à plusieurs reprises la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis et l’OTAN. Environ 1100 soldats de l’OTAN et 2400 soldats américains sont morts en Afghanistan, au cours des 18 dernières années. La plupart en raison de l’hospitalité offerte par le Pakistan aux forces talibanes.
Au lieu de tenir le Pakistan responsable de son soutien aux groupes terroristes, les États-Unis lui a, au contraire, versé 33 milliards de dollars, entre 2001 et 2018, dans le cadre du Fonds de soutien à la coalition (CSF), pour soutenir sa guerre contre le terrorisme. Steve Coll, dans son livre « Directorate S », cite le Colonel Barry Shapiro, qui a travaillé à l’US Office of the Defense Representative au Pakistan, entre 2002 et 2003, selon lequel aucun contrôle n’était exercé par les États-Unis sur le versement du CSF au Pakistan et que, le plus souvent, la véracité des factures présentées par les Pakistanais était douteuse. Par conséquent, il a constaté que le CSF offrait « une sorte de corruption légale aux généraux pakistanais. Musharraf (à l’époque chef d’état-major de l’armée pakistanaise) et ses lieutenants pouvaient utiliser l’argent à des fins militaires légitimes ou le dépenser comme bon leur semblait ».
Ainsi, non seulement le Pakistan a continué à protéger les Talibans, mais il a également été payé pour le faire ! La donne n’a même pas changé après que le grand chef d’Al-Qaïda et le fugitif le plus recherché par les Américains, Oussama ben Laden, ait été découvert vivant avec sa famille à Abbottabad, au Pakistan.
Après avoir initialement exprimé ses frustrations à l’égard de la duplicité politique du Pakistan, qui consiste à parrainer des groupes terroristes, tout en prétendant être un partenaire dans la guerre contre le terrorisme, l’Administration Trump a suspendu le versement du CSF au Pakistan, à partir de 2018. Mais, il a vite fait volte-face, en 2019. En amenant le Pakistan à la grande table des négociations avec les Talibans, les États-Unis ont non seulement aidé Islamabad à réaliser son plan de longue date visant à légitimer les Talibans en tant qu’entité politique, ils l’ont aussi aidée à poser la première pierre en vue du rétablissement de son influence d’avant 2001 en Afghanistan.
Pour les populations afghanes, les futurs plans du Pakistan sont plus clairs et mieux compris. De ce fait, les médias pachtounes n’ont pas réagi favorablement à l’accord conclu en février entre les États-Unis et le Pakistan, le présentant comme un accord entre l’axe Qatar-Talibans et les États-Unis. Le Mollah Abdulmanan Niazi, porte-parole de la faction dissidente des Talibans, dirigée par le Mollah Mohammad Rasoul, a déclaré publiquement que l’accord ne favorisait pas les Afghans et qu’il s’agissait d’un « accord pakistanais non islamique signé avec une coalition infidèle ». Selon lui, les Talibans dirigés par le Mollah Hibatullah Akhundzada forment désormais un groupe que le Pakistan espère hisser au rang de gouvernement à Kaboul. Il a appelé la communauté internationale, l’OTAN et les États-Unis à prendre en compte les intérêts de l’Afghanistan et de ses citoyens plutôt que ceux du Pakistan.
L’Afghanistan sous le régime des Talibans de 1996 à 2001 est devenu un vague souvenir pour beaucoup d’entre nous en Europe. On ne s’en souvient qu’à travers le traumatisme de l’imposition de la charia et des graves violations des droits de l’Homme à l’encontre des groupes religieux minoritaires et des femmes. Il ne faut cependant pas perdre de vue les groupes islamiques radicaux qui opèrent actuellement au Pakistan. Si les Talibans parviennent à reprendre le pouvoir en Afghanistan, la probabilité que ce pays redevienne le principal terreau des groupes terroristes serait alors une réelle et imminente menace.
L’attaque du 12 mai qui a visé des bébés et des femmes, dans une maternité à Kaboul, est un rappel brutal de la barbarie de ces groupes et de leurs sponsors d’État pakistanais. Ceci prouve, si besoin est, la futilité de vouloir négocier avec eux.
* Écrivain et consultant, président du Roland Jacquard Global Security Consulting (RJGSC).