Un récent rapport du département américain de la Défense soumis au Congrès des États-Unis conclut que, bien que les représentants des États-Unis et des Taliban aient signé un accord, le 29 février, pour mettre fin au conflit en Afghanistan, plusieurs événements ultérieurs ont soulevé des questions quant à la mise en place du processus de paix.
Le rapport estime que les Taliban ont encore intensifié la violence après la signature de l’accord, et que le Pakistan, après avoir encouragé les Taliban afghans à participer aux pourparlers de paix, s’est abstenu d’exercer une pression coercitive sur ces derniers pour dissuader le groupe de mener des attaques. Le rapport indique, par ailleurs, que les objectifs stratégiques du Pakistan en Afghanistan consistent à continuer à « contrer l’influence de l’Inde » et que le pays considère donc que l’influence accrue des Taliban en Afghanistan soutient ses objectifs généraux.
Cela n’a rien de surprenant. Ce rapport est le dernier d’une série de rapports similaires publiés au cours des dix dernières années, par divers départements américains, qui soulignent la complicité du Pakistan dans le soutien aux Talibans et au réseau Haqqani. Il est de notoriété publique que le Pakistan permet depuis longtemps aux militants de traverser la frontière pakistanaise, que ce soit depuis l’Afghanistan ou le Cachemire, en Inde. Les commandants des Taliban continuent d’opérer depuis les différents sanctuaires du Pakistan, qu’il s’agisse d’Islamabad, d’Abbottabad, du Waziristan du Nord et du Sud ou de Peshawar.
Récemment encore, des rapports en provenance du Pakistan ont également révélé que le chef adjoint des Taliban, Sirajuddin Haqqani, était soigné dans un hôpital militaire combiné de l’armée pakistanaise pour le Covid-19. Bien sûr, les Taliban afghans se sont empressés de nier cette information.
Il est pour le moins surprenant que, malgré des années de révélations successives sur la politique de l’État pakistanais consistant à utiliser les groupes terroristes comme des mandataires pour atteindre ses objectifs stratégiques, l’Administration américaine continue à s’engager avec ce pays, en espérant, contre toute attente, que sa nature changera un jour.
Outre son soutien aux talibans, l’agence de renseignement pakistanaise, l’Inter-Services Intelligence (ISI) est responsable de la création, de la formation et de l’armement de groupes terroristes comme le Jamaat-ud-Dawa / Lashkar-e-Toiba (JUD / LET) et le Jaish-e-Mohammed (JEM) et les utilise pour lancer des attaques terroristes en Inde et en Afghanistan.
Au départ, la plupart des agences de sécurité occidentales étaient d’avis que les activités de ces groupes seraient localisées en Asie du Sud. Par conséquent, ils n’ont pas été l’objet de beaucoup d’attention. Ce qui leur a permis de continuer à opérer, sans entraves, à l’abri dans leurs bases au Pakistan.
Au fil des ans, les groupes terroristes basés au Pakistan, comme le JuD, ont étendu leur réseau aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du Pakistan. Grand spécialiste de l’Asie du Sud, Arif Jamal, qui a été journaliste au Pakistan à la fin des années 1980 et a travaillé à Radio France internationale (RFI) et à la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), a déclaré lors d’une interview accordée au journal The Diplomat : « J’ai toujours considéré que le Pakistan était l’épicentre du djihad mondial et que le monde ne connaîtrait pas la paix tant qu’il n’aura pas sevré le Pakistan de l’utilisation du djihad comme instrument de politique de défense ». A propos du JuD, il révélait que des membres de ce groupe avaient « pénétré tous les départements du gouvernement, de l’armée pakistanaise jusqu’aux conseils municipaux ».
L’exactitude de l’évaluation de Jamal sur le profond ancrage du JuD au sein de l’armée pakistanaise et d’autres institutions s’est révélée de façon manifeste, lorsqu’à la mi-2019 le Pakistan a approché le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) pour demander une aide financière pour cinq dirigeants du JuD qui figuraient sur la liste des terroristes des Nations unies, dont son chef Hafiz Saeed !
Le JuD et sa fondation caritative Falah-i-Insaniyat sont des entités préoccupantes dans le cadre des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies (résolution 1267). Un rapport du Wall Street Journal du 20 avril 2020 a également souligné que le Pakistan avait retiré plus de 3.800 noms de sa liste nationale de surveillance des terroristes (Fourth Schedule) depuis octobre 2018.
Le pays s’est également montré réticent à inclure dans sa propre liste locale de terroristes ceux qui figurent sur la liste des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies. À ce jour, il n’a reconnu que 19 des 130 noms figurant sur les listes de l’ONU comme étant présents au Pakistan et n’a pas placé dans le Fourth Schedule les principaux dirigeants du JuD comme Zakiur Rehman Lakhvi, Md Yahya Aziz Mujahid, Haji Md Ashraf Mansha et Hafiz Abdul Salam Bhuttavi, qui figurent sur la liste des sanctions 1267. Raison pour laquelle Michael Rubin, ancien fonctionnaire du Pentagone et chercheur résident à l’American Enterprise Institute considère qu’« il est temps de demander des comptes au Pakistan. Si le Pakistan souhaite ensuite échapper aux sanctions, il doit emprisonner les terroristes sur son sol et cesser de les financer et de les équiper ».
Que les États-Unis quittent ou non l’Afghanistan, une constante restera inchangée : l’utilisation par le Pakistan de groupes terroristes pour rester maintenir son influence. Bien qu’interdit par les législations internes du pays, l’establishment militaire pakistanais soutient des groupes comme le JuD et le JeM. Ces groupes ont étendu leur présence non seulement au Pakistan, mais aussi à l’extérieur du pays, opérant sous différents noms, y compris dans des pays européens comme le Royaume-Uni et l’Italie. La journaliste britannique Carlotta Gall, dans un article publié dans le New York Times, intitulé à juste titre « Pakistan’s Hand in the Rise of International Jihad » (La main du Pakistan dans la montée du djihad international), a révélé que « le Pakistan a coordonné avec le Qatar et peut-être d’autres pays, le déplacement des djihadistes sunnites internationaux, dont 300 Pakistanais, des zones tribales du Pakistan, où ils n’étaient plus nécessaires, vers de nouveaux champs de bataille en Syrie ».
Où sont ces combattants aujourd’hui ? Ils pourraient se trouver entre les mains de la Turquie, qui les enrôle comme des mercenaires en Libye ou les encourage à tenter d’entrer illégalement en Europe. Où qu’ils se trouvent, il est probable que certains d’entre eux appartiennent à des groupes qui bénéficient d’un soutien d’État et donc de plus grands moyens de ressources et de mobilité.
Tout comme la pandémie de COVID nécessite de repenser d’autres questions politiques liées à l’économie, aux infrastructures sociales ou au changement climatique, il est temps de repenser et de redéfinir notre politique antiterroriste. Car, dans un monde marqué par la mondialisation, il n’y a pas que les économies qui sont entremêlées, les menaces à la sécurité le sont également.