Dans son livre Tariq Ramadan, histoire d’une imposture, paru aux éditions Flammarion, notre confrère Ian Hamel consacre à l’islamologue François Burgat un chapitre très édifiant sur les accointances de l’auteur de Comprendre l’islam politique avec les Frères musulmans et leur sponsors qataris.
Bonnes feuilles :
Par Ian HamelEn 2004, avant de rencontrer la famille d’Hassan al-Banna et des dirigeants des Frères musulmans en Égypte, je m’étais plongé dans L’Islamisme en face, signé par François Burgat, chercheur au CNRS. À cette époque, avec mes modestes connaissances sur le sujet, cette lecture, je dois l’avouer, m’avait presque rendu sympathique la confrérie. Docteur en droit public, enseignant à l’université de Constantine en Algérie, chercheur au CEDEJ au Caire (où il avait fait connaissance avec Tariq Ramadan en 1992-1993), directeur du Centre français d’archéologie et de sciences sociales à Sanaa, au Yémen, François Burgat, parfait arabophone, présentait une carte de visite impressionnante.
Depuis, j’ai assez vite modifié mon jugement. En particulier lorsqu’il m’a présenté le Soudanais Hassan al-Tourabi, surnommé le « pape noir du terrorisme », comme « un homme très fin, très cultivé, polyglotte et surtout, un modéré, quoi qu’en pensent ceux que son intelligence et sa capacité de communication contrarient (1) ».
À en croire François Burgat, les djihadistes les plus sanguinaires seraient d’innocentes victimes de l’égoïsme et de l’iniquité de l’Occident. Haoues Seniguer, enseignant à Sciences Po Lyon, constate que sa « “bonne” version de l’islam serait celle des islamistes, qui l’interpréteraient comme il se doit, conformément à ce que serait son essence profonde : un islam intégral, normatif, “identitaire” donc, et politiquement oppositionnel ». Oubliant que l’islam est « une religion séculaire qui s’est longtemps passée d’islamisme (2) ».
Burgat débine Kepel et Roy
Oumma.com met moins de gants pour dénoncer les « mensonges éhontés de François Burgat ». Ce dernier a accusé le premier site de l’islam francophone de s’aligner sur la ligne éditoriale des autorités algériennes. Ce qui est pour le moins inexact, Oumma.com a toujours condamné les dictatures dans le monde musulman. Plus significatif encore, François Burgat reproche au site les « Qatar et Al-Jazeera bashings les plus virulents ». Réponse d’Oumma.com : « Stupéfiant ! L’homme de gauche, qui hurle avec les loups, s’indigne donc que l’on s’en prenne à la théocratie esclavagiste par excellence, là où l’argent coule à flots, un critère qui, il est vrai, ferait trouver du charme à n’importe quelle monarchie absolue (3). »
François Burgat est-il sincère, ou s’est-il choisi un créneau afin de se différencier des deux islamologues francophones les plus connus, Gilles Kepel et Olivier Roy ? Deux collègues qui, apparemment, lui font beaucoup d’ombre, si l’on en croit le ton assez peu académique qu’il utilise pour les « débiner » dans son livre Comprendre l’islam politique. Il y affirme ainsi que les écrits de Gilles Kepel « empruntent enfin un registre qui m’est toujours apparu plus proche de celui des prophéties autoréalisatrices ou des pompiers pyromanes que celui de la patiente déconstruction que peuvent opérer les sciences sociales ». Concernant Olivier Roy, son approche « avait à [son] sens le tort de réduire la réalité islamiste à une appropriation littérale des slogans des acteurs (4) ».
Depuis les ennuis judiciaires de Tariq Ramadan, François Burgat, 72 ans, directeur de recherche émérite au CNRS, n’utilise pas vraiment un ton académique pour traîner systématiquement dans la boue ses adversaires. Sur les réseaux sociaux, il préfère utiliser le vocabulaire des « lascars » de quartier. « Du caniveau au #NouvelObs, les derniers barrages ont-ils sauté ? » lâche-t‐il sur Facebook en décembre 2018. Et sur Twitter, il accole #beuark à mon nom et à celui du Point, le 12 mars 2018. François Burgat va jusqu’à prétendre le 28 avril 2019 sur Twitter que j’accepte « non seulement de cirer les bottes des Émiratis mais également celles (espérons que cela était TRÈS bien rémunéré) d’Abdelfatah Sissi, dont il a fait la campagne électorale ! :-)Beuark ! ». Sauf, petit détail, que je ne couvre pas journalistiquement cette région. Dans ces conditions, il m’est difficile de mener campagne en faveur du dictateur égyptien, pour lequel je n’éprouve aucune sympathie.
Pour tenter de comprendre la défense aveugle que François Burgat apporte à Tariq Ramadan, tout comme son amour qui semble immodéré pour l’émirat gazier, il faut se plonger dans l’impressionnant dossier de plus d’une cinquantaine de pages que lui consacre l’ancien Frère musulman Mohamed Louizi. On y apprend que le politologue est un fidèle habitué des palaces de Doha, devenus pratiquement ses cantines favorites. En mars 2016, il est invité d’honneur au Cile, dirigé par Tariq Ramadan, en même temps que le théologien saoudien Salman bin Fahd al-Odah, signataire d’un appel au djihad armé en Syrie, et que Mohamed el-Moctar el-Shinqiti, « Frère musulman mauritanien djihadiste ».
Les 23 et 24 février 2010, François Burgat était déjà au Qatar « lorsque les Frères musulmans, de l’Internationale islamiste, se sont réunis dans une messe politique, pour parlementer autour du thème “Les mouvements islamistes… choix et politiques”, organisée par le centre d’études attaché à la chaîne qatarie Al-Jazeera », écrit Mohamed Louizi. François Burgat partage à l’occasion la même tribune que Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahda, le parti islamiste tunisien. Une autre photo montre François Burgat, toujours à Doha, en juillet 2017 avec une délégation de l’ONG AFD International, « très proche du groupe marocain al-Adl Wal’ihsân (Justice et Bienfaisance) (5) ».
Pour Mohamed Louizi, François Burgat ne serait pas seulement un universitaire tombé amoureux de son objet d’études (les islamistes), « c’est un compagnon de route de la confrérie et on peut même se demander s’il n’est pas lui-même Frère musulman », déclare-t‐il. En octobre 2016, lors du procès lié au lycée privé musulman Averroès à Lille, Mohamed Louizi est confronté à François Burgat, qui témoigne aux côtés des dirigeants de l’UOIF, notamment d’Amar Lasfar, alors imam de Lille et à l’origine de la création de ce lycée. « Il tenait le discours d’un militant, expliquant que les Frères musulmans étaient une excellente chose pour l’Occident, qui devait composer avec eux (6) », raconte l’auteur de Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans.
Par ailleurs, François Burgat préside le Centre arabe de recherches et d’études politiques (CAREP) de Paris, une filiale du CAREP Doha Institute, dirigé par Azmi Bishara, arabe israélien, exilé au Qatar depuis une dizaine d’années et conseiller officieux de l’émir du Qatar. Depuis des mois, l’ancien chercheur ne cesse de dénigrer Qatar Papers, le livre signé par Christian Chesnot et Georges Malbrunot, et leur documentaire réalisé par Jérôme Sesquin « Qatar, guerre d’influence sur l’islam d’Europe », diffusé sur Arte. Dans une interview, il explique que le courant des Frères musulmans « s’est indiscutablement hissé au premier rang des oppositions arabes ». Et que l’acharnement contre la confrérie et contre Doha tient au fait que « le Qatar est effectivement, avec la Turquie, l’un des seuls États de la région à ne pas les criminaliser. Le crime des Frères est d’être partout sortis en tête des urnes du printemps arabe (7). »
Le 18 octobre 2019, animant au CAREP une conférence intitulée «La France face à la radicalisation», François Burgat dénonce « le processus de la criminalisation de la population musulmane » en France. Dans ces conditions, « il faut taper aux urnes. Il faut taper où ça fait mal […] Nous devons nous mobiliser sur le terrain électoral », rappelant que les musulmans sont tout de même 6 millions. Sans nuance, le chercheur lance un appel à la constitution de listes communautaristes. Devant une salle conquise à ses idées, François Burgat va jusqu’à inverser les responsabilités dans le « processus qui a fabriqué la radicalisation ». En fait, c’est le « pouvoir » français, par son comportement et sa haine des musulmans, qui pousserait un prochain Mickaël Harpon (du nom du tueur de la préfecture de police de Paris) à commettre des assassinats…
Toutefois, François Burgat a publié sur le site du Muslim Post une série d’articles liés à l’affaire Ramadan, dans laquelle il semble vouloir prendre ses distances avec son ami de trente ans. Après avoir déclaré « nous n’avons pas souvent été d’accord, tant s’en faut », il prétend qu’il n’a « jamais cherché ni à nier ni même à euphémiser les contradictions évidentes entre la vie extraconjugale de Tariq Ramadan et ce que son “cœur de métier” requérait d’éthique individuelle. J’ai immédiatement envisagé en effet que les combats que je menais à ses côtés (avec d’autres) pourraient avoir… à se passer de lui (8) » Courageux, mais pas téméraire. D’autant que Tariq Ramadan n’est plus vraiment en odeur de sainteté dans l’émirat.
1. Ian Hamel, La Vérité sur Tariq Ramadan, op.cit., p.168.
2. Haoues Seniguer,« Pour François Burgat, les islamistes ont toujours raison », https://mondafrique.com/francois-burgat-islamistes-ont-toujours-raison/, 21 août 2017.
3. « Réponse aux mensonges éhontés de François Burgat », https://oumma. com/reponse-aux-mensonges-ehontes-de-francois-burgat/, 11 juin 2013.
4. François Burgat, Comprendre l’islam politique, op.cit., p.254-272.
5. Mohamed Louizi, « Les jalons de François Burgat sur la route des Frères », http://mohamedlouizi.eu/2017/12/31/les-jalons-de-francois-burgat-sur-la-route- des-freres/, 31 décembre 2017.
6. Entretien avec l’auteur, novembre 2018.
7. Baudouins Loos, « François Burgat : Des insinuations fantaisistes visent le Qatar… et les musulmans d’Europe », http://blog.lesoir.be/baudouinloos/2019/ 09/10/francois-burgat-des-insinuations-fantaisistes-visent-le-qatar-et-les-musulmans- deurope/, 10 septembre 2019.
8. François Burgat, « Le piège d’une “affaire” », https://lemuslimpost.com/ francois-burgat-quoi-tariq-ramadan-nom-2.html, 21 janvier 2019.