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ISA HARSIN/SIPA

 

France : Le pire est toujours là

10 juillet 2024 Expertises   46032  

Martine Gozlan

Entre les peurs et les leurres, la France balance. Malgré les rodomontades de Jean-Luc Mélenchon qui, dès 20h07, le 7 juillet dernier, annonçait l’affaire bouclée en même temps – laissait-il entendre – que son attaché-case pour Matignon, rien n’est résolu. « Avoir évité le pire – l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir – ne nous préserve pas d’un autre pire : l’ingouvernabilité du pays », prévient Bernard Cazeneuve, ex-Premier ministre socialiste (entre décembre 2016 et mai 2017), tendance gauche laïque et universaliste.

Ministre de l’Intérieur au moment des attentats du 13 novembre 2015, Cazeneuve sait ce que la peur veut dire. N’est-ce pas aussi le reflet ensanglanté du Bataclan, des massacres de Charlie Hebdo et de l’Hypercacher avec les fascinations et les épouvantes nées de la terreur islamiste, que nous payons aujourd’hui ?

Emmanuel Macron ne s’est-il pas maintenu au pouvoir en 2022 grâce à la grande frousse qui a saisi une majorité de l’opinion face au Rassemblement national ? Deux ans plus tard, quel citoyen peut affirmer s’être rendu aux urnes de juillet 2024 en toute sérénité, imperméable à la perspective des chaos entrés en concurrence et en collision ?

Côté gauche – Nouveau Front populaire –, une majorité aussi relative que divisée ne fait pas le printemps du peuple. De quoi nourrir la peur sociale et économique : quel budget pourra être voté à la rentrée, quelle réforme amendée, quel petit salaire revalorisé ?

Côté droite – Rassemblement national et LR-Ciotti –, une minorité tout aussi relative car forte d’un nombre croissant de députés se prépare pour des lendemains meilleurs, plus structurés, à la présidentielle de 2027. Voire avant cette échéance tant les institutions sont fragilisées. Car les onze millions d’électeurs du RN sont traversés par la peur de l’invisibilité. Au fond, le système leur refait le coup du plafond de verre alors que Marine Le Pen et son joker Jordan Bardella le jugeaient pulvérisé. Ce qui conduit tout droit dans le mur à une peur majeure du camp d’en face : jusqu’à quand ?

Jusqu’à quand va-t-on miser sur la trouille pour éviter de se coltiner l’extrême droite ? Jusqu’à quand va-t-on s’interdire de réfléchir aux raisons des autres ? Jusqu’à quand va-t-on avoir peur de leurs peurs ? Comment qualifier l’adversaire autrement que par l’anathème ?

Notre vie politique est bouillonnante, passionnée, impétueuse, mais dangereusement vide intellectuellement. La vitesse à laquelle s’est reconstitué un Front républicain que l’on disait mort et enterré n’a d’égale que celle à laquelle il s’est dissous, une fois le RN vaincu encore cette fois. Où sont les ateliers de réflexion collective capables d’accoucher de cet obscur objet du désir une réponse étayée et réalisable aux grandes peurs françaises ? En vrac : l’école, la sécurité, la santé, l’immigration, la justice. Sur la toile de fond d’un pouvoir d’achat qui se réduit comme peau de chagrin et d’une dette collective abyssale que l’inénarrable écolo-féministe Sandrine Rousseau entend résorber – déconstruire ? – en ponctionnant l’épargne !

Où sont les voix capables de répercuter l’angoisse collective autrement que par le prisme de l’idéologie (Mélenchon – Le Pen), de la vanité (Macron) et des ambitions personnelles également partagées dans toutes les cantines ? Nous ne semblons pourtant pas manquer d’écrivains ni de philosophes. Ce fut même l’une des vertus françaises que cette foule de ‘‘compagnons de route’’ accourus de la république des arts et des lettres pour prêter main forte à l’autre, la République majuscule. Problème : ils se sont mués aujourd’hui en pétitionnaires d’un seul camp, toujours le même. Ariane Mnouchkine, idole de la gauche culturelle, a mis les pieds dans le plat dans une tribune (publiée par Libération, le 12 juin 2024) qui a fait couler beaucoup d’encre avant le premier tour : « On a lâché le peuple, on n’a pas voulu écouter les peurs, les angoisses. Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. »

Ces mots prennent d’autant plus de sens que la tentation revient, une fois surmonté l’électrochoc, de les balancer sous le tapis avec la poussière qui continuera à s’accumuler. On aurait tort. Parce que le pire est toujours là…