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La révolte féministe fait vaciller le régime des mollahs !

14 décembre 2022 Expertises   11955  

Emmanuel Razavi
Emmanuel Razavi

En Iran, les revendications féministes sont à l’origine de la mobilisation populaire contre le régime des mollahs. En retirant ou brûlant leur voile en public, les Iraniennes marquent leur opposition à une théocratie vieillissante et usée. Premières victimes de l’oppression, elles savent mieux que personne à quel point la République islamique a fait de cette étoffe l’un de ses piliers idéologiques, reléguant de facto la femme au rang d’être inférieur.

Ainsi, alors qu’en France, les néo-féministes laissent entendre que le voile serait un marqueur de liberté et d’émancipation de la femme musulmane, en Iran, des jeunes filles sont arrêtées, violées et tuées parce qu’elles refusent de porter ce fichu… fichu !

Il y a en fait quelque chose d’orwellien, pour ne pas dire d’inepte tant sur le plan sociologique que politique, dans la posture de ces militantes françaises d’extrême gauche qui nient la réalité mortifère de ce morceau de tissu, qu’il ait la forme d’un hijab ou d’un tchador.

On ne rappellera jamais assez qu’en 1979, l’Ayatollah Khomeini a pris le pouvoir en s’appuyant sur les réseaux de l’extrême gauche iranienne. Il faut avoir vécu cette époque pour se souvenir que ses meilleurs alliés furent les activistes de l’organisation islamo-marxiste des moudjahidines du peuple. Comme en France, ces derniers tenaient un discours révolutionnaire teinté de progressisme et même de féminisme, voyant dans l’islamisme un moyen de faire gagner leur révolution démocratique.

Leurs théories ont cependant fait long feu. Car s’ils ont eu un peu d’influence au début de la révolution, les moudjahidines du peuple furent ensuite persécutés et leurs cadres emprisonnés, exécutés ou contraints à l’exil.

En ce sens, ce qui se passe en Iran doit servir de leçon à ceux qui pensent que l’on peut composer avec l’islamisme.

Des femmes plus libres sous l’ancien régime

Il faut souligner à quel point les Iraniennes qui luttent pour leurs droits en se libérant de leur voile sont courageuses. Car cet étendard idéologique a fait d’elles les proies sans défense de miliciens qui les harcèlent et les tabassent à mort pour peu qu’elles le portent de travers.

Ce n’est donc pas par hasard si la jeune Mahsa Amini, assassinée par la police des mœurs, est devenue un symbole de la liberté. Car sa mort révèle la fracture béante qui demeure entre une jeunesse iranienne qui aspire à la modernité et le régime rétrograde des mollahs, totalement dépassé par les aspirations de celle-ci.

Toutefois, les femmes iraniennes n’ont pas toujours été maltraitées par les pouvoirs publics iraniens ; leur condition a même connu de nombreuses évolutions en fonction des périodes. Piliers de la maison, elles jouissaient traditionnellement d’une influence importante dans l’écosystème familial. Mais c’est à partir de 1935 que tout a vraiment commencé à changer. S’inspirant de Mustafa Kemal, Reza Shah Pahlavi interdit à cette époque le port du voile en public. En 1936, il procéda à une réforme de l’Éducation nationale en mettant sur un pied d’égalité les garçons et les filles, pour permettre à celles-ci de poursuivre des études universitaires.

Au début des années 60, son héritier, Mohamed Reza Shah, leur donna le droit de vote. Elles purent alors s’engager en politique, certaines accédant à des fonctions publiques.

Dans les années qui ont suivi, la minijupe a fait son apparition dans les rues de Téhéran ou d’Ispahan, et il n’était pas rare de voir des jeunes filles en bikini sur les plages de la mer Caspienne. Cette période fut celle d’une certaine émancipation des femmes iraniennes dans laquelle l’Impératrice Farah Diba joua un rôle important.

Puis, tous ces acquis ont volé en éclat avec l’arrivée au pouvoir des islamistes qui avaient pourtant lancé des appels aux femmes, dès 1978, afin qu’elles s’engagent à leurs côtés et manifestent contre les dérives de la monarchie. Ces appels, qui eurent un écho mobilisateur dans les milieux intellectuels de gauche et la classe moyenne, signèrent sans aucun doute le début de la fin des libertés pour les Iraniennes. Il est probable qu’aucune d’entre elles n’imaginait alors qu’une dictature religieuse serait instaurée et qu’elle les priverait de leurs droits fondamentaux.

Ainsi, dès l’accession de Khomeini au pouvoir, le voile redevint obligatoire et l’âge du mariage fut abaissé de 18 à 9 ans pour les filles. L’Iran entrait alors dans une longue période de ténèbres qui perdure encore.

Les Iraniennes feront-elles tomber le régime islamiste ?

Tout mouvement de contestation populaire intervient dans un contexte social et politique particulier. L’Iran, qui fait face à une crise économique d’une gravité sans précédent depuis l’arrivée au pouvoir des mollahs, avec une inflation de 60%, n’échappe pas à la règle. Plus de la moitié de sa population vit sous le seuil de pauvreté et des millions de familles peinent à se nourrir. La corruption des Gardiens de la Révolution qui ont la main mise sur près de 80% de l’économie, a conduit le pays à l’enlisement. Enfin, entre la construction insensée de nombreux barrages, le mauvais état du réseau de traitement des eaux usées, les cultures intensives et le réchauffement climatique, plusieurs provinces font aujourd’hui face à un stress hydrique important qui rend l’accès à l’eau potable et à l’électricité de plus en plus difficile.

Dès lors, on doit comprendre que les revendications des Iraniens vont bien au-delà de la seule condition des femmes, même si l’assassinat de Mahsa Amini est le déclencheur du mouvement de révolte commencé le 16 septembre dernier et que les femmes en sont les premières héroïnes.

À l’heure où ces lignes sont écrites, l’on peut ainsi affirmer qu’en dehors des fidèles du régime qui demeurent minoritaires, pas une catégorie socio-culturelle n’échappe à ce raz-de-marée antivoile. Car dans un pays qui compte 83 millions d’habitants et dont la moitié a moins de trente ans, la majeure partie de la population est à bout de souffle.

Pour les Iraniens, quelles que soient leurs conditions, dire non au voile et s’engager à soutenir les femmes, c’est s’opposer à un régime qu’ils jugent ultra-violent, corrompu et usé.

La révolte des féministes iraniennes le fera-t-elle pour autant vaciller ? S’il est difficile de l’affirmer, une chose est certaine : un mouvement de fond, porté par les femmes et une jeunesse en quête de liberté, traverse l’Iran. Un mouvement auquel presque tous les Iraniens s’identifient. L’actrice iranienne Golshifteh Farahani l’a parfaitement résumé : « le plus gros combat de résistance pour des droits égaux entre les hommes et les femmes se déroule maintenant en Iran. Les femmes peuvent tout simplement mourir pour avoir des cheveux non couverts ». C’est donc un combat universel qui se joue au pays des mollahs. Et le gouvernement aura beau couper Internet et réprimer dans le sang les manifestations comme il l’a fait par le passé pour mater la contestation, il a d’ores et déjà perdu la bataille générationnelle.