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JEANNE ACCORSINI SIPA

 

Faire face à la montée des périls

10 juin 2024 Expertises   23482  

Martine Gozlan

Le monde d’hier décrit par Stefan Zweig dans son exil brésilien en 1943 n’a jamais été si proche de nous. Sa déploration d’Européen, contemporain de l’engloutissement de tout ce qu’il aimait, nous poursuit alors qu’une nouvelle Europe et une nouvelle France surgissent des urnes du 9 juin, puis, dans notre pays, de celles des 30 juin te 7 juillet. La campagne de crise précédant le vote a été marquée par la disparition des principes-clés qui fondent notre civilisation : l’affrontement courtois, la rationalité contre le délire, la recherche du sens contre l’insensé et l’impensé.
La perte de ces concepts et l’absence de décence dans l’expression, marque d’une faillite morale et politique, ont ouvert la voie à une tragique concurrence des extrêmes. Elle a culminé dans un coup de théâtre – la dissolution du Parlement français – qui fait de l’hexagone le miroir vers lequel se tournent, fascinées, les démocraties du vieux continent.

Comment affronter les lendemains qui succèdent au monde d’hier ? Réfléchissons, aux raisons du grand bouleversement. Elles ne sont pas uniquement sociales mais culturelles. De quelle mutation la grossièreté affichée par la classe politique, à quelques exceptions près, est-elle le nom ?

Quand l’Assemblée nationale devient le haut lieu des happenings de la France insoumise, quand une foule hystérisée par les consignes de la pasionaria fanatique Rima Hassan, désormais députée européenne, déferle vers TF1 pour exiger l’interdiction d’une interview de Benyamin Netanyahou, de quoi s’agissait-il exactement ? Quel syndicat de journalistes a réagi à cette effarante atteinte à la liberté de la presse dans un milieu pourtant prompt à s’émouvoir ?

Quand le Premier ministre Gabriel Attal – formidablement imbu de sa personne – fait une irruption très calculée sur un plateau pour s’emparer du micro d’une Valérie Hayer inefficace, faut-il en conclure que chacun – chacune – est tenu de s’effacer devant le plus puissant, le plus jeune, peut-être le plus mâle ?

Quand les affiches électorales de Raphaël Glucksmann – qui ne ménageait pourtant pas ses critiques au gouvernement israélien et réclame notamment la suspension des accords d’association entre l’Union européenne et l’État hébreu – sont maculées d’étoiles de David et d’insultes, la fureur antisémite qui s’est emparée de plusieurs capitales européennes ne s’étale-t-elle pas tout entière ?

Quand la chasse aux esprits indépendants fait rage dans le monde universitaire qui a pourtant pour mission de les former et de les protéger, quels lendemains promet-on à nos enfants, jeunes Français et Européens de naissance ou d’adoption, héritiers perdus du legs universel des Montaigne, Montesquieu, Descartes, Diderot, Leibniz ?

Quand la laïcité française, seule garante de la plénitude individuelle et de la cohésion nationale, est dénoncée comme une offense à la sacralité divine et – un comble – à la liberté d’opinion, le mensonge n’est-il pas en marche ?

Voici donc l’amnésie recommandée dans un univers intellectuel et médiatique qui tronçonne l’Histoire. À chacun son bout de chemin mémoriel, ethnique et racialiste. Identitaire ? Hélas, les mots sont piégés comme le rappelle Jean-François Kahn à l’attention de la gauche dans son dernier ouvrage ‘‘Ne m’appelez plus jamais Gauche’’ dont nous publions les extraits (lire page 22).

Mais allons plus loin : il ne s’agit pas seulement de la gauche. Des pages entières du vocabulaire ont été perverties. L’identité, par exemple, cet un élément naturel, essentiel et en partie constitutif de la personnalité, paradoxalement jusque dans son rejet. Comment l’être ne chercherait-il pas une des clés de son mystère dans la forêt des passés antérieurs ? Or, les uns veulent abolir l’identité tandis que les autres ne jurent que par son règne. Le mal réside précisément dans cette manipulation, dans l’asservissement des identités trafiquées à l’idéologie des extrêmes. Mêlé à la boue de l’invective, à l’interdiction de la parole, à l’exacerbation de la haine des Juifs qui a toujours annoncé l’avènement d’une catastrophe, ce phénomène caractérise un mode de fonctionnement social et politique extrêmement brutal, basé sur le réflexe instinctif, l’absence de surmoi, le retour au tribalisme, le vertige de la force.

Il ne s’agit pas d’un totalitarisme, du moins pas encore. La France est une démocratie et le tissu démocratique de l’Europe reste solide. Cependant, les influences totalitaires pénètrent sournoisement ce vaste espace si convoité.

Qu’il s’agisse des Frères musulmans, artisans des discours et manifestations antisémites de promotion du Hamas sous couvert de défendre les Palestiniens, ou des campagnes de déstabilisation russes, nous sommes dans l’œil du cyclone. L’atmosphère de guerre civile entretenue ces derniers mois est le pendant des guerres qui nous cernent. Les frontières de la propagande se sont distendues jusqu’à nous rendre proches voisins de l’Ukraine et de Gaza.

Là encore, attention aux mots : il ne s’agit pas de l’empreinte mondialisée mais de la patte totalitaire. Nous faisons face à la montée des périls.