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Crime et mystères autour du trésor de guerre des Frères musulmans à Genève

24 mai 2020 Investigations   111887  

Le 13 novembre 1995, un diplomate égyptien en poste auprès de l’ONU est assassiné de six balles à Genève. Il enquêtait sur le trésor de guerre des Frères musulmans qu’aurait géré Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan al-Banna. Un quart de siècle plus tard, l’affaire vient de connaître un incroyable rebondissement : le tribunal fédéral suisse vient d’ordonner la libération de l’assassin présumé, arrêté en 2018 !

Par Ian Hamel

Alaa el-Din Nazmi, 42 ans, vient de garer sa BMW dans le parking de son immeuble. Le diplomate égyptien est froidement abattu de six balles tirées par un pistolet SIG P. 210 Parabellum. Le tueur abandonne l’arme sur place. « Le canon de l’arme est enveloppé dans un étui de mousse synthétique pour atténuer la résonance des coups », raconte Richard Labévière, alors journaliste à la télévision suisse romande, dans Les dollars de la terreur (éditions Grasset, février 1999).

Carla del Ponte, procureur général de la Confédération, prend personnellement l’affaire en main. Cet assassinat vient de violer l’une des règles non écrites édictées par la Suisse, pays neutre. Celui-ci ferme les yeux sur tous les trafics et autres magouilles étrangères, mais à condition que personne ne s’entretue sur son territoire. Cette règle n’a-t-elle pas été scrupuleusement respectée par les belligérants durant la Seconde Guerre mondiale ?

Le diplomate a été tué le 13 novembre 1995. Le 21 novembre, la police perquisitionne le Centre islamique de Genève (CIG), fondé par Saïd Ramadan, gendre d’Hassan al-Banna, et père de Tariq et Hani Ramadan. Quel rapport entre l’assassinat et la famille Ramadan ? Saïd Ramadan est mort le 4 août 1995, et une note d’un service européen de renseignement constate que « la famille s’est partagée une somme apparemment considérable que Saïd Ramadan avait en gestion pour le compte des Frères musulmans en Égypte ». Et justement, ce diplomate égyptien enquêtait sur le trésor de guerre de la Confrérie.

Simple coïncidence ? C’est à la même période que commence l’ascension de Tariq Ramadan en France, et la diffusion en masse de ses livres et de ses cassettes par les éditions Tawhid à Lyon.

Violent contentieux avec les Frères musulmans

Toujours dans Les dollars de la terreur, Richard Labévière raconte en 1999 que cette captation des économies de la Confrérie aurait « ouvert entre la famille et les Frères musulmans d’Égypte un contentieux violent ». Curieusement, les Ramadan, habituellement prompts à déposer plainte, ne bougent pas. Ils ne protestent pas davantage lorsque Caroline Fourest dans Frère Tariq, et Lionel Favrot, dans Tariq Ramadan dévoilé, deux ouvrages parus en 2004, évoquent à leur tour l’« évaporation » de ce trésor de guerre.

Et surtout, comment expliquer que depuis la mort de son père en 1995, Tariq Ramadan n’ait jamais remis les pieds en Égypte ? Pendant longtemps, il a prétendu qu’il y était interdit de séjour, sans en apporter la preuve. D’autant qu’il dispose d’un passeport suisse. Étrangement, quand Mohamed Morsi prend le pouvoir en juin 2012, Tariq Ramadan continue à bouder l’Égypte. Pour tenter de justifier son désintérêt pour le pays de ses ancêtres, dans son livre L’Islam et le réveil arabe, il explique qu’en fait le « Printemps arabe » aurait été téléguidé par… les États-Unis et Israël. Le 4 novembre 2013, le petit-fils d’Hassan al-Banna donne une interview au quotidien suisse Le Temps intitulée : « Les Frères musulmans m’en veulent énormément ». Sans évoquer, bien évidemment, ce possible contentieux portant sur une affaire de gros sous.

Le Tribunal fédéral fait libérer le suspect

Pendant plus d’un quart de siècle, l’enquête sur l’assassinat du diplomate égyptien piétine. La procédure est suspendue en 2009. Premier coup de théâtre en octobre 2018 : un homme est arrêté à Vernier, dans le canton de Genève. Il s’agit d’un Italo-Ivoirien, né en 1969. Vendeur de voitures à Genève, il vit en France voisine. Il a déjà défrayé la chronique en 2011 en recelant de l’or volé. Et surtout, on a retrouvé son ADN sur le silencieux de l’arme qui a tué le diplomate égyptien. Cet ADN avait longtemps été inutilisable pour les enquêteurs. C’est l’évolution technologique qui a permis de rendre les empreintes lisibles et de retrouver le suspect, vingt-trois ans après le drame (la prescription étant de trente ans). Cette arrestation est racontée dans Tariq Ramadan, histoire d’une imposture (éditions Flammarion, janvier 2020), écrit pas l’auteur de cet article. Depuis son incarcération, l’homme n’a jamais parlé. L’une de ses ex-amies, qui aurait également laissé son ADN sur le silencieux, est également placée en détention, puis libérée après six semaines, en mars 2019.

Nouveau coup de théâtre le 18 mai 2020, le Tribunal fédéral, la plus haute instance judiciaire de Suisse, exige la libération immédiate du suspect ! Cet arrêt est pour le moins surprenant. Tout en ne niant pas que « les traces digitales et/ou ADN lui appartiennent », que l’individu présente un « trouble de la personnalité dyssociale avec traits psychopathiques particulièrement marqués », qu’on lui reconnaît « une certaine affinité pour les armes », et qu’une ancienne compagne évoque des « propos tenus par le frère du recourant – soit que celui-ci aurait tué quelqu’un », le Tribunal fédéral estime que « les circonstances entourant la commission de l’homicide sont loin d’être définitivement établies » (Arrêt 1B_195/2020 du 18 mai 2020).

Le quotidien Le Temps, qui rapporte la libération de « Momo » – son surnom de délinquant de moyenne envergure – explique que pour ces hauts magistrats, « son degré de participation dans un éventuel assassinat (dans l’hypothèse où il aurait par exemple fonctionné comme tueur à gages) demeure incertain ».
A présent, il sera intéressant de connaître la réaction des autorités égyptiennes après la libération par la justice suisse d’un homme qui a laissé ses empreintes sur le silencieux d’un pistolet qui a tué l’un de ses diplomates.