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Le Pakistan : Chef de file d’un front islamiste mondial contre le « blasphème »

19 septembre 2020 Expertises   113752  

Roland Jacquard

Le 2 septembre, le procès de l’attentat de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et l’hyper cacher de la porte de Bagnolet s’est ouvert au tribunal de Paris. Le même jour, le magazine Charlie Hebdo a réimprimé les caricatures du prophète Mahomet qui avaient fait des collaborateurs du magazine las cibles de terroristes islamistes. Interrogé lors de sa visite au Liban, le président français Emmanuel Macron a indiqué qu’il n’interviendrait pas contre la réimpression de ces caricatures, car la presse en France jouit de la liberté d’expression et même de la liberté de blasphémer. Si la déclaration de M. Macron a été bien accueillie en France et dans la majorité des pays du monde, elle a déclenché une vive opposition dans certains pays du monde musulman.

Le gouvernement iranien a réagi fermement contre la réédition des caricatures, le ministère iranien des Affaires étrangères déclarant que « l’acte offensant de la publication française est une provocation ». Il a ajouté que l’Iran considère qu’il s’agit d’une « insulte aux valeurs islamiques et à la foi de plus d’un milliard de musulmans dans le monde ». Le blasphème est puni de mort en Iran. Et le 10 septembre, des milliers d’Iraniens ont organisé une manifestation à Téhéran contre le soi-disant « acte de blasphème » du magazine Charlie Hebdo.

L’Organisation de Coopération Islamique a également publié une déclaration condamnant le magazine français pour avoir réédité les caricatures. Pendant ce temps, AI-Qaïda a émis une menace, à peine voilée, à l’encontre du magazine français dans sa publication One Ummah, avertissant que Charlie Hebdo se tromperait s’il pensait que l’attaque de 2015 était « unique ».

Cependant, la réaction la plus forte et la plus virulente contre la France a été observée au Pakistan, où des groupes islamistes radicaux sont descendus dans la rue pour protester, demandant l’expulsion de l’ambassadeur français Marc Barety et la rupture des liens diplomatiques avec la France. Le Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), un parti politique radical créé en 2015 et bénéficiant d’un soutien croissant, a pris la tête de ces protestations. Des milliers de partisans du TLP, dont son leader Khadim Hussain Rizvi, sont venus manifester contre la France dans différentes villes comme Islamabad, Multan et Karachi, le drapeau français étant brûlé dans tout le pays. Le parti a également mené une campagne agressive et haineuse sur les réseaux sociaux, appelant au djihad contre les personnes qui commettent des blasphèmes. En outre, Maulana Abdul Waseh, chef du groupe islamiste Jamaat Ulema e lslami Baluchistan, a qualifié la publication de caricatures d’ « acte de terrorisme flagrant ». Un autre groupe, Tahafuz-e-Khatm-e-Nabuwat Conference, a qualifié les auteurs des « caricatures blasphématoires » de « plus grands terroristes ». Les autorités officielle n’ont pas été moins virulentes. Le ministère des Affaires étrangères du Pakistan a déclaré qu’« un tel acte délibéré visant à offenser les sentiments de milliards de musulmans ne peut être justifié comme un exercice de la liberté de la presse ou de la liberté d’expression ».

Les multiples protestations au Pakistan orchestrées par les très puissants groupes islamiques radicaux reflètent le soutien et l’influence accrus que ces groupes ont dans le pays. Il conviendrait de rappeler que dans les années 1970 et 1980, c’est le général Zia-ul Haq, chef de l’armée pakistanaise, qui a renforcé l’influence du clergé islamique au Pakistan en les nommant en grand nombre au gouvernement et en appliquant des lois sur le blasphème manifestement inhumaines. C’est également le général Zia qui a lancé la politique de l’armée pakistanaise consistant à utiliser les groupes terroristes islamiques comme des atouts stratégiques contre l’Inde voisine et comme un moyen de maintenir un rapport de force face aux États-Unis et au monde occidental, en particulier en ce qui concerne l’Afghanistan.

C’est ainsi que les graines de la radicalisation islamique ont pris racine au Pakistan. C’est ce que l’on a pu observer lors des manifestations anti-chiite à Karachi, le 11 septembre dernier, où les manifestants ont déclaré que les chiites n’étaient pas musulmans. Lors de la manifestation, des milliers de manifestants ont scandé : « Shias are Kaffir » (les chiites sont des mécréants), tout en brandissant des banderoles de Sipah-e-Sahaba Pakistan, une organisation terroriste qui a l’habitude de prendre les chiites pour cible, depuis de longues années.

Le plus inquiétant est que ces protestations sont une réaffirmation du fait que les groupes terroristes / radicaux islamistes au Pakistan peuvent mener leurs activités sans aucune retenue et souvent avec le soutien des autorités de l’État. Une autre question devrait préoccuper le monde démocratique et laïque : lois sur le blasphème du pays, en vertu desquelles les membres des groupes religieux minoritaires, principalement les chrétiens et les hindous, sont souvent condamnés à mort par les tribunaux pakistanais sur des accusations frivoles de blasphème.

Les récentes manifestations contre la France au Pakistan sont une indication du changement de la structure radicale du pays et un signal d’alerte de ce qui pourrait bientôt apparaître comme le plus grand vivier de recrues potentielles pour le terrorisme.

Alors que de plus en plus de pays sont confrontés aux défis de la radicalisation islamique, il est important qu’une approche combinée soit développée par les pays partageant les idéaux démocratiques, en Occident et au sein même du monde islamique, pour faire front face à des nations comme le Pakistan qui représentent une menace sérieuse pour la paix et la sécurité dans le monde. Et la première étape vers cette approche combinée serait de cesser de considérer ces pays comme des partenaires « normaux » dans les engagements et les échanges bilatéraux et multinationaux.

* Écrivain et consultant, président du Roland Jacquard Global Security Consulting (RJGSC).