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Afghanistan : un pays au bord du gouffre

15 août 2021 Expertises   21210  

Christian Malard

On ne peut pas comprendre l’Afghanistan si on ne connaît pas son histoire, écrite dans les guerres et rythmée par les invasions depuis Alexandre le Grand, jusqu’aux Soviétiques (20ème siècle), en passant par les Mongols (13 ème ème siècle) et, bien sûr, les Britanniques au 19ème siècle. Chaque occupation a évidemment provoqué une guerre de libération jusqu’au départ des envahisseurs. Et chaque libération du pays a été suivie par une guerre civile. C’est la malédiction afghane. La décision de Joe Biden de retirer les 2.500 derniers soldats Américains avec les 7.700 soldats de l’OTAN et les troupes alliées, peut donc être lourde de conséquences.

Entre le 1er mai, date initialement prévue par Donald Trump et le 11 septembre prochain, celle avancée par Joe Biden, tout peut arriver, même le pire : le pays est écartelé entre les Talibans – dont l’obsession est le retrait des troupes occidentales – et le gouvernement en place, inféodé aux États-Unis et qui ne doit son maintien qu’à la présence d’un contingent américain. Un statu quo fragile, précaire, simulacre de paix armée aux allures de drôle de guerre, où chacun montre ses muscles et qui peut, du jour au lendemain, basculer dans un nouveau bain de sang.

Car enfin, c’est un secret de Polichinelle : les Talibans ne respectent aucun de leurs engagements pris dans l’accord du 20 Février dernier au Qatar. Ils refusent le cessez-le-feu, refusent la tenue d’élections et, bien sûr, refusent de partager le pouvoir avec le Président afghan, Ashraf Ghani. Pis encore : comme le 24 avril dernier à Istanbul, ils font tout pour saper les négociations difficilement entamées entre les parties belligérantes.

Les Talibans ne veulent qu’une seule chose : le pouvoir. Un pouvoir qu’ils entendent exercer seuls. Ils veulent refaire de l’Afghanistan une république islamique, comme entre 1996 et 2001, avant qu’une coalition internationale ne les chasse du pouvoir après les attentats du 11 septembre. Le pays avait alors sombré dans le Moyen Âge, des années de cauchemars, notamment pour les femmes à qui il était interdit d’étudier, de travailler, de sortir sans être accompagnées par un homme de la famille. C’est aussi l’Afghanistan des Talibans qui a donné l’asile à Ben Laden, alors déjà ennemi public n°1. On peut donc craindre qu’un retrait des troupes américaines pourrait favoriser la réinstallation d’organisations terroristes (al-Qaïda, Daech ou autres) dans le pays.

Les Talibans sont en position de force. Les troupes gouvernementales tiennent à peine un tiers du territoire. Pendant longtemps, on disait du président afghan qu’il n’était en réalité que le maire de Kaboul. Si les grandes villes ne sont pas encore tombées, c’est essentiellement grâce aux frappes de l’U.S. Air Force qui appuient l’armée de l’air afghane. Mais demain ? Il y a fort à parier que le gouvernement de Kaboul sera bien incapable, sans une aide extérieure, de maîtriser une situation d’autant plus explosive que le risque terroriste est toujours bien présent. Les Talibans brandissent d’ailleurs la menace de nouveaux attentats pour hâter le retrait des troupes américaines.

En 20 ans, les Américains ont dépensé 74 milliards de dollars pour aider militairement l’Afghanistan. Joe Biden a promis de poursuivre cette aide militaire après le retrait de ses troupes, afin que la pays ne sombre pas complètement. Il envisagerait, dit-on, un repositionnement dans plusieurs Républiques d’Asie Centrale : l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan. Il peut aussi compter sur des avions de chasse et des bombardiers déjà positionnés dans les bases navales du Golfe et de l’Océan indien. Pas sûr que cela suffise à maintenir la paix en Afghanistan. Pas sûr non plus que ce redéploiement impressionne un tant soit peu les Talibans. C’est du moins ce que craint William Burns, le patron de la CIA, beaucoup plus réservé que Antony Blinken, le secrétaire d’Etat, pour qui « l’Afghanistan ne redeviendra pas un tremplin pour terroristes ».

L’Afghanistan est donc au bord du gouffre. Comme l’était l’Irak en 2011, lorsque Barak Obama avait opéré un retrait prématuré des troupes Américaines d’Irak. Trois ans plus tard, apparaissait Daech…

Qu’on ne s’y trompe pas : les Talibans à nouveau maîtres du pays seraient une catastrophe. Pour les Afghans, bien sûr. Mais pas seulement : chacun doit être conscient qu’on retrouverait alors dans le pays une situation presque identique à celle qui précédait le 11 septembre 2001.

* Expert en politique internationale et consultant diplomatique.