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Frères musulmans: les archives oubliées de Gamal al-Banna

27 juin 2020 Expertises   134334  

Ian Hamel

Il y a une quinzaine d’années, j’avais eu le privilège d’entrer dans l’antre de Gamal al-banna, le plus jeune frère d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans. Dans un petit appartement situé dans un quartier populaire du Caire, il avait accumulé plus de 30.000 ouvrages, aujourd’hui souvent introuvables, des centaines de documents inédits, comme des notes manuscrites sur les liens secrets entre la Confrérie et le Mouvement des officiers libres, l’organisation militaire fondée par Gamal Abdel Nasser. Du vivant de Gamal al-Banna, ces trésors n’intéressaient pas grand monde. Que sont-ils devenus depuis sa disparition en janvier 2013 ?

 

 

Gamal al-Banna ne disait sans doute pas complètement la vérité. Il affirmait n’avoir jamais appartenu à la Confrérie. Il assurait pourtant la direction de leur journal Al-Ikhwan Al-Muslimum dans les années quarante. Il avait aussi été secrétaire de rédaction d’Al-Shihâb, une autre organe du mouvement. Arrêté en décembre 1948, en même temps que de nombreux dirigeants des Frères musulmans, Gamal al-Banna n’avait été relâché qu’en 1950, un an après l’assassinat de son aîné. Mais très vite, effectivement, il s’était éloigné de cette organisation islamique pour se consacrer à la cause ouvrière. Il avait travaillé dans une usine textile, puis pris la tête du syndicat général des ouvriers de l’industrie textile, et enfin fondé en 1981 la Confédération islamique internationale du travail à Genève. Tout au long de sa vie, le plus jeune frère d’Hassan al-Banna a rédigé des études et des ouvrages sur les organisations syndicales en Égypte, mais aussi au Royaume-Uni, aux États-Unis, dans l’ex-URSS, en Suède, en Birmanie, en Malaisie. On lui doit même un livre intitulé L’opposition ouvrière à Lénine

 

Mais surtout, Gamal al-Banna a multiplié les prises de position iconoclastes, qui vont contribuer à le marginaliser dans son pays. Car s’il s’oppose aux islamistes, il n’est pas plus tendre avec le régime égyptien (au moment de notre rencontre, Hosni Moubarak était au pouvoir). Il publie notamment La liberté de croyance en Islam, L’islam et le rationalisme, et surtout L’échec de l’État islamique à l’époque moderne : les responsabilités, qui sera interdit. « Je considère que l’islam des cheikhs d’Al-Azhar n’est pas l’islam du Coran. Ils n’ont pas une culture générale très étendue, ils s’encombrent de détails », nous avait confié le vieil homme aux cheveux gris. En 1994, dans une plaquette intitulé Kalla thumma Kalla ! (Non, encore non !), il s’était indigné qu’une autorité religieuse, en l’occurrence le cheikh Mohammed al-Ghazali, ait pu justifier l’assassinat de l’écrivain Faraj Fouda, accusé d’athéisme. Faraj Fouda, militant des droits de l’homme, symbole de l’intelligentsia laïque égyptienne, a été assassiné au Caire en juin 1992 par des militants de la Gama’a Islamiyya, une organisation islamiste plus extrémiste encore que les Frères musulmans.

 

« Le voile n’est pas une obligation dans l’islam. L’essentiel est dans la décence. Si une femme souhaite cacher ses cheveux, elle peut aussi bien porter un chapeau », nous disait-il en 2004. « Le Coran est un guide pour les croyants, pas une science exacte. Quant aux hadiths, ils ont été fabriqués au fil des siècles pour servir des intérêts religieux ou politiques. Cela n’a aucun sens de s’y référer pour répondre aux question d’aujourd’hui », n’hésitait pas à déclarer le propre frère du fondateur des Frères musulmans. Ce qui lui avait valu d’être sobrement présenté par la presse officielle égyptienne comme un « penseur islamique moderniste, souvent contesté par les cercles traditionnels ».

 

La fondation pour « la culture et l’information islamiques », qu’il avait créé avec sa sœur Fawiya (alors disparue), était installée au premier étage d’un immeuble vétuste de la rue Al-Geish, dans la capitale égyptienne, loin des artères plus opulentes sur les bords du Nil. Le petit appartement était envahi, du sol au plafond, par des milliers de livres, des revues anciennes, introuvables depuis des décennies, des documents inédits sur la Confrérie. Gamal al-Banna avait aussi récupéré chez des bouquinistes des collections laissées par l’armée britannique.

 

Dans l’ouvrage Le Projet, que viennent de publier Alexandre Del Valle et Emmanuel Razavi (Éditions L’Artilleur, Paris, novembre 2019), les auteurs racontent leur rencontre avec Gamal al-Banna en juillet 2007, qu’ils présentent comme le « légataire de documents originaux inhérents à la Confrérie ». Interrogé sur son neveu, Tariq Ramadan, Gamal al-Banna leur avait déclaré : « Il ressemble à un Frère et il a le discours des Frères en apparence. Mais il n’en est pas un. Il connaît bien sûr en partie l’œuvre de son grand-père, qu’il n’a cependant pas lue entièrement, car je suis l’un des rares à disposer de ce qui reste de ses textes » (2).

 

Gamal al-Banna, qui était né en 1920, s’est éteint en janvier 2013, à l’âge de 92 ans, dans l’indifférence générale. Depuis sa disparition, les textes inédits d’Hassan al-Banna ne sont apparemment pas réapparu. Qu’est devenu l’inestimable collection de son jeune frère, le dernier d’une fratrie de cinq garçons et deux filles ? A-t-elle était dispersée ou même définitivement perdue ?

 

Alors qu’Emmanuel Macron a annoncé en novembre 2019 « des actions nouvelles concrètes » visant « l’islamisme politique » de ceux qui ont « un projet de séparation d’avec la République », et que Christophe Castaner, le ministre de l’Intérieur, a demandé de faire du « combat » contre « l’islamisme » et le « communautarisme » un « nouvel axe » fort de l’action de l’État, il est regrettable que rien ne soit sérieusement entrepris à ce jour pour collecter le maximum d’informations sur la plus dangereuse et la plus structurée des organisations islamistes, la Confrérie des Frères musulmans.

 

* Journaliste et écrivain, spécialiste des Frères musulmans.