Préparer un voyage en Syrie ou en Somalie peut dorénavant vous valoir des années de prison en Suisse. Berne développe la justice préventive et veut s’en prendre aux « terroristes potentiels », à l’instar de certains films de science-fiction qui racontent qu’à l’avenir les polices n’arrêteront pas seulement les auteurs d’un hold-up, mais auront le droit d’intercepter les personnes qui ont évoqué l’idée de commettre un braquage…
Par Ian HamelA une assez large majorité (127 voix pour, 54 contre et 13 abstentions), le Conseil national (l’Assemblée nationale) en Suisse a renforcé son arsenal juridique antiterroriste. Dorénavant un individu qui prépare un déplacement dans une zone de guerre ou qui participe à une activité de financement de ce voyage peut être arrêté et condamné jusqu’à dix années de prison. Même s’il n’y a pas eu participation à un acte terroriste.
En avance sur la France, qui tente d’imaginer ce que pourrait être une justice préventive, son petit voisin vient de la mettre en application. Comme l’écrit l’éditorialiste de La Tribune de Genève, si quelqu’un tente de se rendre dans une zone contrôlée par les djihadistes, c’est « rarement pour intention d’y ouvrir un restaurant ou d’en ramener des photos de vacances ». Il faut donc cesser de pêcher par naïveté. Les autorités de poursuite pénale ont dorénavant le pouvoir de criminaliser toutes les personnes qui sont soupçonnées de vouloir soutenir les organisations terroristes. Ce qui veut dire qu’un cousin qui prêterait 300 francs suisses à un potentiel djihadiste risquerait de croupir des années en prison.
En clair, le code pénal helvétique punit dorénavant le recrutement, l’entraînement et le voyage en vue d’un acte terroriste. Ce à quoi la gauche, opposée à ce durcissement, répond que certaines personnes n’ont pas forcément conscience du caractère criminel de la personne pour laquelle elles travaillent. Un coach sportif peut fort bien entraîner une personne dans les Alpes vaudoises sans savoir que celle-ci se prépare à rejoindre Daech dans quelques semaines. Un serveur dans un restaurant peut tout ignorer des desseins criminels de son patron. Par ailleurs, faut-il condamner tous les mythomanes capables de se vanter d’actions guerrières qu’ils ne mèneront finalement jamais ?
Car ce sont rarement ceux qui annoncent pendant des semaines à leur entourage leur départ imminent pour la Syrie, l’Irak ou le Sahel, qui y partent un jour. Par ailleurs, comment définir ce qu’est une organisation terroriste alors qu’il n’y a pas de définition commune au niveau international ? Contrairement à certains pays du Golfe, les Etats européens ne considèrent pas la Confrérie des Frères musulmans comme une organisation criminelle. Le Conseil national a tout de même précisé que la nouvelle norme pénale ne s’appliquerait pas aux organisations humanitaires, comme le Comité international de la Croix-Rouge, qui sont contraint de traiter avec Al-Qaïda ou avec l’Etat islamique afin de sauver des vies. En revanche, la nouvelle loi prévoit l’expulsion de la Suisse de tous les étrangers qui aideraient les potentiels terroristes.
En France, on s’intéresse davantage au sort réservé aux détenus, condamnés dans une affaire de terrorisme, après leur sortie de prison (c’est le cas de 43 détenus qui vont retrouver la liberté en 2020, et d’une soixantaine en 2021). Faut-il leur imposer certaines mesures coercitives comme l’obligation d’habiter une commune, l’interdiction de se rendre dans certains lieux ? De rencontrer certaines personnes ? De pointer plusieurs fois par semaine à la police ou à la gendarmerie ? Cela peut être considéré comme une peine après la peine. Or, quand un détenu a exécuté sa peine en France, on estime qu’il a payé sa dette à l’égard de la société. A l’exception des délinquants sexuels qui continuent à être suivis après leur libération, en raison de la dangerosité de leur pathologie. Mais le terrorisme est-il une pathologie ?