A l’issue de plusieurs semaines de grogne populaire, provoquée par une grave dégradation de la situation économique et sanitaire, qui a atteint son apogée le 25 juillet – jour anniversaire de l’instauration de République en Tunisie – avec une journée de protestation appelant au limogeage du gouvernement et à la dissolution du parlement, marquée par le saccage de plusieurs sièges d’Ennahda, le parti islamiste au pouvoir, notamment dans les villes pauvres du sud du pays ; le président Kaïs Saïed a décidé de porter un « coup d’arrêt » radical à la crise politique et sociale qui secoue la Tunisie.
Par Atmane TazaghartEn se référant à l’article 80 de la constitution, le président Tunisien, élu en octobre 2019 avec 72% des suffrages, annonce le limogeage du gouvernement présidé par Hicham Mechichi, le gèle des travaux de l’Assemblée des Représentants du Peuple (parlement) et la levée d’immunité de tous les députés.
Un coup de tonnerre qualifié par les islamistes prétendument modérés d’Ennahda – et leurs « gros bras » de l’alliance El-Karama – de « coup d’Etat » portant atteinte à « la révolution et aux institutions démocratiques ». Pourtant, le « coup d’arrêt » décidé par le Président Saïed est accueilli par des scènes de liesse populaire dans tout le pays !
Et alors même que les personnalités les plus critiques à l’encontre de « l’interprétation faite par le Président Saïed de l’article 80 de la constitution » s’accordent que « le retour au régime qui a prévalu jusqu’au 25 juillet n’est pas possible ni souhaitable », le leader d’Ennahda Rached Ghanouchi décide de tenter une contre-offensive « pour sauver la révolution et la démocratie », selon les termes d’un communiqué posté sur sa page facebook.
Moins de deux heures après les annonces du Président Saïed, Ghanouchi – qui occupe aussi la fonction de président du parlement – tient un long conclave au siège national de son parti, au moment même où les forces de police se débattaient pour contenir les foules qui déferlaient sur le siège du parti islamiste décidées à le saccager ou le brûler, à l’instar de nombreux bureaux du parti à travers le pays.
Lors de ce conclave, étaient réunis, autour du « Cheikh » Ghanouchi, ses proches conseillers ainsi que le chef de file de l’Alliance El-Karama, le député Seifeddine Makhlouf. Celui-là même qui avait agressé, sous la coupole du palais du Bardo (siège du parlement), la députée Abir Moussi, présidente du Parti Destourien Libre.
Le « Cheikh » décide de lancer, le soir même, un coup de force inspiré, tout à la fois, de la riposte du président turc Erdogan, lors de la tentative de coup d’Etat de juillet 2016, et de la « stratégie du pourrissement » adoptée par les Frères musulmans égyptiens, lors du sit-in de la place Rabia, qui s’est soldé par un carnage.
A l’instar d’Erdogan, Ghanouchi décide de recourir au live facebook, pour haranguer ses troupes, les appelant à le rejoindre devant les grilles du parlement investi par les blindés de l’armée. Une manœuvre à l’objectif double : réunir une foule suffisamment nombreuse pour créer un rapport de force qui obligerait les militaires à lui donner accès au parlement. Ensuite, le scénario – tel qu’il a été révélé, en temps réel, par le zélé député d’El-Karama, Seifeddine Makhlouf, au micro de la chaîne qatarie al-Jazeera – consistait à convoquer le bureau de l’Assemblée, que préside Ghanouchi, afin de lancer une motion parlementaire visant à « destituer le Président Saïed pour violation de la légitimité constitutionnelle ». Et comme à la place Rabia en Egypte, les partisans d’Ennahda devaient se masser dans la cours du parlement, pour servir de caution populaire à la contre-offensive islamiste et de… chair à canon, si l’armée tente un coup de force contre les députés.
Cependant, après près de deux heures passées devant les grilles du parlement, dont l’accès lui a été interdit par les militaires, le « Cheikh » – entourés d’une vingtaine de personnes de sa garde rapprochée – finit par se rendre à l’évidence : la foule espérée n’est pas au rendez-vous !
La multiplication des appels, via un communiqué officiel du Parti et un long live facebook sur la page du « Cheikh », relayé par les chaînes qataries al-Jazeera et al-Araby, n’y changera rien. Pis encore, vers 4 heures du matin, c’est l’effet inverse qui se produit : des dizaines d’opposants au parti islamiste affluent au Bardo, pour en découdre avec le « Cheikh » et ses compagnons. Les forces de police s’interposent, mais le « Cheikh » comprend alors que son coup de poker institutionnel a échoué.
Avant de quitter les lieux, une phrase venue de la foule de ses opposants retentit à ses oreilles, comme un coup de couperet : Ya Ghanouchi Babourek Zaffar ! Une formule, en dialecte tunisien, que l’on pourrait traduire par : Game Over !