L’auteur de ‘‘Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans’’ a été le premier en 2016 à publier une enquête sur le patrimoine immobilier de l’imam Hassan Iquioussen et de sa famille. Pour lui, le cas Iquioussen n’est en fait que l’arbre qui cache la forêt : depuis des décennies, la Confrérie des Frères musulmans accumule, en toute discrétion, des immeubles, des maisons, des locaux commerciaux, des appartements, des terrains. L’objectif est de se constituer un ‘‘trésor de guerre immobilier’’ qui leur permettrait de s’autofinancer, pour ne plus dépendre de l’argent venant des pays du Golfe.
Propos recueillis par Ian Hamel– Le Canard enchaîné affirme qu’Hassan Iquioussen serait assujetti à l’impôt sur la fortune et que son patrimoine dépasserait 1,3 million d’euros. Partagez-vous cette estimation ?
– Mohamed Louizi : Je pense que ce chiffre est très sous-estimé. Cette famille ne possède pas que des biens immobiliers dans le Nord de la France. Il faudrait également mener des investigations du côté de Bordeaux et de sa région. Les reportages publiés au moment de l’annonce de l’expulsion d’Hassan Iquioussen ont montré que lui et ses enfants, via une multitude de sociétés civiles immobilières (SCI), s’étaient constitués un impressionnant capital en investissant dans la pierre, en mettant en location des dizaines d’appartements dans de nombreuses communes du Nord. Malgré cette fortune, Hassan Iquioussen a réussi pendant longtemps à donner de lui l’image d’un ascète, vivant modestement. Je me souviens d’un de ses déplacements à Villeneuve-d’Ascq : il était arrivé dans une vieille voiture toute cabossée. En revanche, il vivait plus que confortablement dans une maison très onéreuse.
– Mais tous ces biens appartiennent-ils véritablement aux Iquioussen ?
– C’est la principale question qu’il faut se poser. Qui détient vraiment toutes les propriétés achetées à leurs noms par les Iquioussen et leurs proches ? En fait, Hassan Iquioussen n’est que l’arbre qui cache la forêt des Frères musulmans. À présent, il faut commencer à s’attaquer à la forêt. Depuis au moins trente ans, dans toute l’Europe, la Confrérie accumule un patrimoine considérable, essentiellement basé sur la pierre. Partout, les Frères musulmans achètent des appartements, des maisons, des immeubles, des commerces, des terrains. Avec la complicité d’élus, qu’ils soient de gauche, du centre, ou de droite, ils se voient concéder des biens à des prix dérisoires, souvent sans appels d’offres. Il faudrait recenser toutes les acquisitions des Frères musulmans et publier une sorte de ‘‘livre noir’’ pour que l’opinion publique se rende (enfin) compte de leur stratégie. Le concept de Tamkine dont je parle dans « Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans », ce projet global de domination de l’Occident, de la victoire sans partage du pouvoir politique, n’est pas qu’une vue de l’esprit. C’est une stratégie et celle-ci se réalise concrètement, jour après jour.
– Pourquoi cette complicité d’autant d’élus, notamment de maires ? On a souvent évoqué la collusion d’Anne-Lise Dufour-Tonini, la maire PS de Denain.
– Pendant longtemps ces élus, par ignorance véritable ou simple calcul, ont confondu islam et islam politique. Ils croyaient qu’en se montrant complaisants avec les Frères musulmans, ils obtiendraient automatiquement leurs suffrages aux élections. Bien évidemment, cette confusion est entretenue par la Confrérie. L’Union des organisations islamiques de France (UOIF), devenue en 2017 Musulmans de France, cherche toujours à faire croire qu’elle représente tous les Français de confession musulmane.
– Pouvez-vous préciser le concept de Tamkine ?
– Le rêve d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans en 1928 en Égypte, est de recréer un califat islamique dominant tous les pays arabo-musulmans mais aussi occidentaux. Le concept de Tamkine fait partie des éléments lexicaux de la terminologie fondamentale de l’idéologie expansionniste des Frères musulmans, que ce soit en Égypte, au Qatar ou en Europe et en France. Ce terme, en arabe, est utilisé ici. Pour atteindre le Tamkine, il y a plusieurs étapes, la première étant la propagation de l’islam, la suivante est de sélectionner les individus qui porteront et transmettront le message islamique. La dernière étape est la victoire, c’est-à-dire la domination sans partage du pouvoir politique pour que l’islam sunnite domine les cœurs et organise la société selon les lois d’Allah et dans le strict respect de la tradition du prophète Mohammed. C’est tout simplement la création d’un État islamique.
– Il y aurait donc des dizaines, sinon des centaines d’Iquioussen en France ?
– Hassan Iquioussen possède malgré tout un profil un peu particulier, dans la mesure où il est connu, où il se met en avant. Habituellement, les Frères musulmans choisissent des personnages plus effacés pour échapper aux radars. Des membres discrets de la Confrérie ou même des sympathisants fiables. Ce sont eux qui apparaissent dans les SCI, qui sont officiellement les gérants au regard des administrations. Mais en fait, ils ne sont que des prête-noms, car les immeubles et les commerces appartiennent en réalité à la Confrérie. C’est presque systématique : à côté de chaque mosquée, de chaque école, de chaque établissement, liés aux Frères musulmans, vous ne trouvez pas une seule SCI mais plusieurs qui gravitent autour. C’est vrai pour le lycée Averroès à Lille, l’Institut européen des sciences humaines (IESH) à Château-Chinon, ou Syria Charity, etc…
– Mais comment financer tous ces achats ? Uniquement par les dons des fidèles dans les mosquées ?
– Bien sûr que non. Toutes ces opérations se font en liquide. L’usage du cash échappe à tout contrôle. Les dons sont mélangés avec l’argent venant de l’extérieur, notamment des pays du Golfe. Je vous donne un exemple concret : dans une mosquée, l’imam annonce un projet. Il se tourne vers un Musulman, un petit commerçant par exemple, et il lui dit devant toute l’assistance : “ Toi, tu peux au moins donner 10 000 ou 15 000 euros’’. La personne désignée va alors s’exécuter. Or, quand vous connaissez un peu les finances de cet épicier, son train de vie, vous savez qu’il est incapable de sortir une telle somme. En fait, il se contente de remettre à la mosquée l’argent que cette même mosquée lui a donné précédemment en toute discrétion. Pour la peine, car il s’est tout de même mouillé dans une opération de blanchiment, il gardera peut-être une petite commission pour lui.
– Comment se fait-il que le fisc ne mette pas son nez dans ce blanchiment d’argent ?
– Il y a eu deux périodes. Avant et après les attentats de 2015. Avant 2015, les Frères musulmans avaient réussi à ce que les autorités fassent l’amalgame entre le culte musulman et l’idéologie islamiste. La Confrérie passait pour l’interlocuteur légitime du pouvoir. Il n’y avait pas d’enquête dans les mosquées, comme il n’y en a pas dans les églises, les temples, les synagogues. Les quelques chercheurs et journalistes qui dénonçaient l’islam radical étaient montrés du doigt, présentés comme des extrémistes, des gens qui voyaient le mal partout, des islamophobes. Certes, les services faisaient déjà des rapports, mais les politiques ne voulaient pas les voir, en raison de certains liens avec des pays arabes.
– Les attentats de 2015 ont-ils permis aux autorités d’ouvrir (enfin) les yeux ?
– D’un coup, devant l’horreur des attentats, la danse du ventre des islamistes n’a plus séduit. On a compris que les Frères musulmans encourageaient le séparatisme, distillaient un discours de haine à l’encontre des valeurs de la France. En ce qui me concerne, j’ai pu rencontrer des gens qui ont osé se plaindre des Iquioussen, qui ne le décrivaient plus comme un imam irréprochable mais comme un promoteur immobilier, un marchand de sommeil, qui loue des logements insalubres, implacable avec des personnes vulnérables. Un individu à mille lieues des idées qu’il prétendait défendre.
– Grâce à un vaste parc immobilier, la confrérie est donc très riche en Europe ?
– Tout à fait. L’objectif est que dans les années à venir, les Frères musulmans n’auront même plus besoin de l’argent des pays musulmans, et notamment des pays du Golfe, pour se développer. Leurs ressources propres leur suffiront. Je n’ai pas de chiffres, mais je me doute que leur trésor de guerre est déjà gigantesque. Hassan Iquioussen a aujourd’hui le fisc aux trousses comme l’écrit Le Canard enchaîné. Il faudrait étendre les contrôles et que les services fiscaux interrogent tous les prête-noms quant à l’origine de leurs fonds.
Bio Express
Né en 1978 à Casablanca, Mohamed Louizi est un ingénieur, diplômé en génie électrique. Ancien membre du mouvement Attawihid wal’Isah et du parti PJD au Maroc, puis de l’UOIF en France. Il a été notamment président des Étudiants musulmans de France (organisation liée à la branche hexagonale des Frères musulmans) à Lille.
Il est notamment l’auteur de ‘‘Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans : Retour éclairé vers l’islam apolitique’’ (Michalon, 2016), ‘‘Plaidoyer pour un islam apolitique : Immersion dans l’histoire des guerres des islams’’ (Michalon, 2017) et ‘‘La République chez elle, l’islam chez lui’’ (Fauves éditions, 2019).