À la fin des années 1950, Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan al-Banna (fondateur des Frères Musulmans) fuit l’Égypte et choisit Genève pour partir à la conquête de l’Occident. Son fils Hani dirige depuis 1995 le Centre islamique de Genève (CIG). Son frère Tariq était le Musulman francophone le plus connu sur la planète, avant que des affaires de mœurs ne le fassent chuter en 2017. Encore aujourd’hui, Genève reste, en grande partie, sous la coupe du clan Ramadan. Mais coup de théâtre, le 10 septembre 2024. Alors que Tariq Ramadan avait été acquitté en mai 2023 en première instance, il est condamné en appel à trois ans de prison dont un an ferme pour viol et contrainte sexuelle.
La Cité de Calvin a parfois des sursauts. En 1990, des personnalités de droite avaient appelé à voter pour l’intègre Bernard Bertossa, magistrat classé à gauche, pour qu’il devienne procureur général de Genève, afin de sauver « l’honneur de Genève ». Ils en avaient assez des juges qui ridiculisaient la ville en étouffant tous les scandales de blanchiment d’argent. Cette fois, il fallait montrer que Genève ne se couchait plus devant les islamistes et les Frères musulmans.
Mais il faut rappeler les conditions hallucinâtes dans lesquelles s’est déroulé le procès en première instance. Le petit-fils du fondateur des Frères musulmans était jugé pour viols et contrainte sexuelle. Les faits se seraient déroulés dans un hôtel de la ville en octobre 2008. Le prédicateur est acquitté au bénéfice du doute. La quarantaine de journalistes suisses et français présents garde un goût amer du procès. « Le droit pour le prévenu, la rudesse pour la plaignante », titre Le Monde. « Tariq Ramadan a pu dérouler sa brillante argumentation sans être interrompu ni contredit par le tribunal, mais la plaignante a subi le feu roulant et souvent suspicieux des questions des trois juges », écrit Pascale Robert-Diard1. Le Nouvel Observateur parle d’un « procès d’un autre âge ». Les avocats de la plaignante sont continuellement coupés et recadrés par le tribunal. Pour le quotidien suisse Le Temps, « le Tribunal correctionnel a donné une image déplorable de la justice en se montrant particulièrement agressif envers la plaignante et ses conseils, tout en laissant une latitude rarement observée aux digressions et autres vitupérations du prévenu2 » …
Cerise sur ce gâteau empoisonné : la présence de Dieudonné, l’humoriste multicondamné pour injures antisémites, venu clamer qu’il croyait à l’innocence de Tariq Ramadan. Il aurait entendu dire par un inconnu que la plaignante, loin de parler de viol, évoquait « un coup d’un soir » avec Tariq Ramadan…
Pourquoi ce cirque lamentable ? Dans un article intitulé : ‘‘Genève s’est pris Tariq Ramadan en pleine face’’, le site suisse Watson affirme que « Genève n’est pas à l’aise parce qu’une forme d’omerta et de complaisance ont couvert, dans la République et le canton, le côté volage du petit-fils du fondateur des Frères musulmans et son engagement dans l’islam politique au nom de la défense des opprimés. Le boomerang Ramadan lui revient aujourd’hui en pleine figure3 ».
Protégés par les services suisses ?
Dans la cité de Calvin, les Ramadan tiennent le haut du pavé depuis plus de soixante ans. Richement doté par la Ligue islamique mondiale dont il est l’un des fondateurs, Saïd Ramadan était la fois l’imam du Centre islamique de Genève et… l’ambassadeur de la Jordanie auprès de l’ONU. Deux fonctions incompatibles, mais tolérées par Genève. Dans son journal, Al Muslimoon, Saïd Ramadan n’a eu de cesse de dénoncer Israël, qualifié d’« incarnation de la pensée de l’enfer », et de s’en prendre à l’Europe : « la haine de l’islam étant une constante de l’Histoire occidentale depuis 1 000 ans », écrit-il. Saïd Ramadan ne cache même pas qu’il entend favoriser l’apparition d’« un monde qui appartient entièrement à l’islam ». Bénéficiant également d’un passeport pakistanais, il voyage sans cesse dans le monde entier. La Suisse, qui classe les Frères musulmans parmi les ennemis du communisme, ferme les yeux sur le militantisme du gendre d’Hassan al-Banna.
Lorsque les Saoudiens lui coupent les vivres, en raison d’une vie dissolue, et que la Jordanie le lâche, Saïd Ramadan est récupéré par les services suisses alors qu’il allait être expulsé avec sa famille, ne possédant plus de titre de séjour valable. Aux archives fédérales à Berne, une note des autorités, datant du 29 juin 1967, explique que « Saïd Ramadan est, entre autres, un agent d’informations des Anglais et des Américains. De plus, on croit savoir qu’il a rendu des services – sur un plan d’informations – à la Bupo [la Police fédérale suisse] ». Les liens privilégiés de l’islamiste avec certains services secrets occidentaux « pourraient expliquer que les alertes au terrorisme parvenues aux autorités suisses dès la fin des années 60 n’aient jamais vraiment troublé le fonctionnement de son Centre », écrit dans Le Temps Sylvain Besson, auteur de ‘‘La conquête de l’Occident. Le projet secret des islamistes’’ (Le Seuil, 2005)4. Le père de Tariq et Hani Ramadan n’a jamais été inquiété.
Hassan al-Banna, un « Gandhi musulman » !
Peu après la mort de Saïd Ramadan, le 13 novembre 1995, un diplomate égyptien, qui enquêtait sur le trésor de guerre des Frères musulmans, est abattu de six balles à Genève. Le Centre islamique est perquisitionné le 21 novembre. L’affaire est racontée par le journaliste Richard Labevière dans ‘‘Les dollars de la terreur’’5. Presque trente ans plus tard, ce crime n’a toujours pas été élucidé.
Alors qu’Hani Ramadan a pris le relais de son père à la tête du CIG, son frère Tariq, enseignant dans un collège à Genève, décide de passer un doctorat, afin d’échapper au qualificatif de ‘‘prédicateur’’. Son sujet ? Son grand-père Hassan al-Banna, qu’il présente comme un réformiste et un Gandhi musulman. Ni son directeur de thèse ni le jury ne sont convaincus et préfèrent démissionner, d’autant que Tariq Ramadan menace d’engager des procès s’il n’obtient pas son doctorat.
Le sociologue Jean Ziegler, député socialiste au niveau fédéral, et sa compagne, Erica, députée communiste au Parlement genevois, mènent alors une intense campagne en faveur de Tariq Ramadan qui collait leurs affiches en période électorale. Genève, craignant d’être accusée de racisme et d’islamophobie, redoute de perdre sa riche clientèle venue du Golfe. Fait exceptionnel, la faculté est sommée de dénicher un autre directeur de thèse (un Allemand) et un autre jury complaisant afin que Tariq Ramadan puisse savourer sa thèse.
Pendant ce temps-là, pas une émission sur l’islam ou les pays musulmans sans que le petit-fils d’Hassan al-Banna ne soit invité à la télévision suisse francophone. Et quand le prédicateur, mis en examen en France pour viols, se retrouve incarcéré en 2018, des personnalités signent une pétition demandant au président de la Confédération d’intercéder auprès d’Emmanuel Macron pour qu’il libère l’enfant du pays, né à Genève en 1962.
Discrètement, la famille Ramadan continue d’imposer sa loi. La presse locale donne régulièrement la parole à Hani Ramadan, pourtant favorable à la lapidation des femmes en cas d’adultère. Sur son site, le directeur du CIG assure que les otages israéliens sont merveilleusement traités par le Hamas… Le Centre islamique investit actuellement 6,2 millions de francs suisses (6,3 millions d’euros) pour son agrandissement.
Quant à la justice, confrontée à une image déplorable après le procès correctionnel de mai 2023, elle vient de redresser la barre en appel. Le procès en appel, du 27 au 29 mai dernier, s’est déroulé dans un climat nettement plus serein. Le verdict n’est tombé que le 10 septembre 2024. Tariq Ramadan est condamné pour viol et contrainte sexuelle à trois ans de prison, dont un an ferme. La Chambre pénale d’appel et de révision souligne que « plusieurs témoignages, certificats, notes médicales et avis d’experts privés concordent avec les faits dénoncés par la plaignante6 ». Tariq Ramadan a trente jours pour porter l’affaire devant le Tribunal fédéral – l’équivalent en Suisse de la Cour de cassation – qui juge sur la forme, pas sur le fond. En France, Tariq Ramadan va être jugé pour trois autres viols. Mais les dates du procès ne sont pas encore connues.
(1) « Ramadan acquitté à l’issue de son procès en Suisse », 26 mai 2023.
(2) Fati Mansour, « A Genève, Tariq Ramadan et son accusatrice vont s’affronter lors d’un second round judiciaire ultra-scruté », 23 mai 2024.
(3) Antoine Menuisier, 22 mai 2023.
(4) Sylvain Besson, « Quand la Suisse protégeait l’islam radical au nom de la raison d’État », Le Temps, 26 octobre 2004.
(5) Grasset, 1999.
(6) « La justice genevoise condamne Tariq Ramadan pour viol », La Tribune de Genève, 10 septembre 2024.