Le modus operandi souvent appliqué par la Chine pour faire des percées dans les pays économiquement plus faibles, que ce soit en Asie, en Afrique ou en Amérique latine, consiste à conclure des accords avec des chefs d’État corrompus. Cela permet aux entreprises chinoises de promouvoir non seulement leurs intérêts commerciaux dans ce pays, mais aussi à l’État chinois de pénétrer subrepticement dans le système politique de la nation, dans le but d’assurer son influence à long terme. La nation himalayenne du Népal apparaît comme un exemple classique de cette machination chinoise où le parti communiste népalais au pouvoir, dirigé par le Premier ministre KP Sharma Oli, semble défendre de manière flagrante les intérêts chinois, au point de mettre mal à l’aise de nombreux membres haut placés de son parti.
Les accusations de corruption et les liens avec la Chine ne sont pas une nouveauté pour le Premier ministre népalais. Lors de son premier mandat, en tant que Premier ministre, en 2015-2016, des rapports ont laissé entendre qu’avec l’aide de l’ambassadeur chinois au Népal de l’époque, Wu Chuntai, il avait lancé un processus d’investissement dans le secteur des télécommunications au Cambodge. L’accord a été finalisé par le défunt homme d’affaires népalais Ang Shering Sherpa, un proche confident d’Oli, avec l’intervention du Premier ministre cambodgien Hun Sen et la facilitation du diplomate chinois de haut rang à Phnom Penh Bo Jiangeo.
Lors de son second mandat de Premier ministre depuis 2018, la tendance d’Oli à contourner les réglementations gouvernementales afin d’attribuer des projets à des entreprises chinoises ou népalaises connues pour leurs liens avec le bureau du Premier ministre, a attiré l’attention du public. Les enquêtes menées dans nombre de ces affaires ont mis en évidence des pots-de-vin qui ont conduit soit au Premier ministre Oli, soit à ses proches. Par exemple, en décembre 2018, China Communication Service, un agent de la société de télécommunications chinoise Huawei, a reçu un contrat pour la mise en place d’une « salle d’action numérique » avec des installations de vidéoconférence dans le bureau du Premier ministre. Le contrat a été attribué à la société chinoise sans appel d’offres, même si la société publique Nepal Telecommunication disposait de l’expertise nécessaire pour créer ces installations. Des enquêtes ultérieures ont révélé que le fils du conseiller politique du Premier ministre, Bishnu Rimal, avait fait pression pour obtenir ce contrat en échange de gains financiers.
En mai 2019, Nepal Telecommunication a signé un accord avec China Communication Service, situé à Hong Kong, pour le développement du réseau d’accès radio et un autre avec le fabricant chinois d’équipements de télécommunications ZTE pour l’installation du réseau central 4G pour Nepal Telecommunication. Le projet vaut environ 19 milliards de roupies népalaises (NR), soit environ 130 millions d’euros. Le Premier ministre Oli a également annulé la décision de son prédécesseur, Sher Bahadur Deuba, de ne pas attribuer le contrat de 2,42 milliards de dollars américains pour le projet hydroélectrique de 1.200 MW de Budhi Gandaki, le plus grand du pays, à la société d’État chinoise China Gezhouba Group Company. Dans ce cas également, KP Sharma Oli a attribué le contrat sans appel d’offres. Il est de notoriété publique au Népal que la décision a été annulée après qu’un homme d’affaires népalais proche du Premier ministre a reçu un important pot-de-vin de la société chinoise.
Le mépris effronté du gouvernement dirigé par KP Sharma Oli envers la procédure et la transparence, la corruption latente qui a entraîné l’effondrement progressif d’une infrastructure de protection sociale gouvernementale intrinsèquement faible et l’influence visible de la Chine dans la prise de décision, ne sont pas passés inaperçus au Népal. Il n’est donc pas surprenant qu’à la suite de la mauvaise gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19, des manifestations spontanées et apolitiques d’étudiants aient éclaté au Népal à partir de la mi-juin.
Au cours du dernier mois, le slogan « Enough is enough » (Assez, c’est assez !) a résonné lors des manifestations à Katmandou et dans d’autres villes du Népal. Les manifestants ont été indignés par le manque d’apathie du gouvernement dans la gestion de la pandémie, associé à des accusations de corruption liées aux paiements reçus pour l’achat d’équipements de protection du personnel, d’équipements de test, etc. fabriqués en Chine, dont beaucoup se sont révélés défectueux et trop chers. Les manifestants ont demandé au gouvernement de faire toute la lumière sur les 10 milliards de roupies népalaises, soit environ 73 millions d’euros, qui auraient été dépensés pour lutter contre la pandémie.
Deux enquêtes sont déjà en cours sur les accusations portées contre le ministre de la Santé népalais et plusieurs autres conseillers principaux parmi les proches du Premier ministre KP Sharma Oli, qui ont reçu des pots-de-vin pour l’achat d’équipements médicaux. L’une des affaires concerne le groupe OMNI, situé au Népal, qui s’est vu attribuer un contrat de près de 7 millions d’euros pour la fourniture d’équipements médicaux et logistiques nécessaires au contrôle du coronavirus. Le premier lot de fournitures médicales, acheté par le groupe OMNI en Chine et livré au gouvernement népalais, s’est avéré non seulement de qualité inférieure, mais aussi excessivement onéreux. Il est intéressant de noter que ce n’est pas la première fois que le groupe OMNI est accusé de fournir du matériel défectueux à un prix exorbitant. En 2017, avant les dernières élections générales au Népal, il a fourni des machines d’impression défectueuses à la Commission électorale du Népal. On a découvert, par la suite, que les propriétaires d’OMNI et le bureau du Premier ministre KP Sharma Oli entretenaient des liens étroits, ce qui expliquerait pourquoi, malgré son mauvais bilan commercial, le gouvernement lui a quand même attribué le contrat pour du matériel médical.
La richesse personnelle du Premier ministre Oli aurait augmenté de façon spectaculaire au cours des dernières années. Selon nos sources, il possèderait un compte dans une succursale bancaire suisse. Ce compte, qu’il détiendrait conjointement avec sa femme Radhika Sakya, disposerait d’environ 5,5 millions de dollars US investis dans des dépôts à long terme et des options sur actions, et dont on pense qu’ils rapportent un bon demi-million de dollars par an. Cependant, dans un communiqué adressé à notre rédaction, la banque en question affirme que « les personnes mentionnées ne détiennent pas de compte dans notre établissement ».
Alors que la Chine fait régulièrement des incursions au Népal, cette corruption galopante offre une situation « gagnant-gagnant » pour KP Sharma Oli et ses bienfaiteurs chinois !
* Écrivain et consultant, président du Roland Jacquard Global Security Consulting (RJGSC).