La pandémie du Covid 19 exacerbe le ressentiment anti chinois dans les pays d’Asie centrale. Mais, malgré la grogne des populations, les gouvernements locaux, financièrement vulnérables à l’égard de Pékin, peinent à s’opposer au néo-impérialisme chinois.
Les Républiques d’Asie centrale constituent un élément important de l’initiative chinoise de la nouvelle route de la soie. Non seulement elles permettent le passage des marchandises chinoises vers l’Europe, mais la Chine perçoit ces pays comme des hubs énergétiques pour cette nouvelle route de la soie. Par conséquent, bon nombre des pays de région, en particulier le Kazakhstan, le Tadjikistan et le Kirghizistan, qui partagent une frontière avec la Chine, ont vu les investissements chinois augmenter, de façon considérable, dans divers secteurs allant de l’agriculture aux infrastructures, en passant par les télécommunications.
La domination croissante des économies de ces pays par la Chine a donné naissance à un ressentiment anti chinois de plus en plus exacerbé chez les populations locales. Cependant, comme les économies des ces pays sont largement endettés envers les investisseurs chinois, les gouvernements locaux ont longtemps œuvré à contenir ce ressentiment et empêcher qu’il se répande davantage au sein de leurs populations. Mais est-ce encore le cas ? L’exaspération semble, depuis peu, atteindre les sphères politiques et diplomatiques.
Le 14 février dernier, l’ambassadeur chinois au Kazakhstan, Zhang Xiao, a été convoqué par le ministère kazakh des affaires étrangères suite à la publication d’un article sur le site d’information gouvernemental chinois www.sohu.com, intitulé « Pourquoi le Kazakhstan est enclin à retourner en Chine ? ». De son côté, l’ambassade kazakh à Pékin a déposé une protestation à ce propos auprès du ministère chinois des affaires étrangères. L’article en question indiquait notamment que « le Kazakhstan est situé sur des territoires appartenant historiquement à la Chine ».
Au début de l’année, la lobbying chinois en vue de l’obtention de projets économiques au Kazakhstan a donné lieu à des protestations anti chinoises dans six grandes villes du pays. Les manifestants ont exprimé leur inquiétude de voir les investissements chinois compromettre la souveraineté du pays. En outre, l’annonce de la construction de 55 usines chinoises au Kazakhstan a exacerbé les craintes concernant la multiplication de ce type d’implantations dans le pays. Bien que la Chine ait présenté ces investissements comme des projets gagnant – gagnant pour les deux pays, les populations Kazakhs demeurent sceptiques, notamment en raison de l’afflux de travailleurs chinois qui accompagne ces implantations.
Plus récemment encore, le 19 février dernier, le ressentiment anti chinois a donné lieu à des manifestations des habitants du quartier de Zaisan, dans la région du Kazakhstan-Oriental, limitrophe de la Chine, qui ont protesté contre le fait que les hôpitaux locaux étaient réservés à l’accueil des patients chinois atteints du coronavirus.
A la même période, dans une autre République d’Asie centrale, le Kirghizistan, des centaines de manifestants étaient descendus dans la rue, le 17 février, près d’At-Bachy, dans l’Est du Kirghizistan, pour protester contre un projet d’investissement chinois d’une valeur de 275 millions de dollars, visant à construire un centre logistique dans cette région. Les manifestants brandissaient des pancartes indiquant « Pas de terres kirghizes pour la Chine ». L’immense pression populaire a finalement obligé le gouvernement kirghiz à annuler le projet.
En août 2019, déjà, plus de 500 citoyens kirghizes sont entrés en conflit avec des employés chinois dans une mine d’or à Solton-Sary. Par ailleurs, des militants des droits de l’Homme se sont mobilisé en opposition à l’installation de caméras de reconnaissance faciale, avec l’aide de la Chine, dans les rues de Bichkek, la capitale du Kirghizistan. Et le ressentiment anti chinois s’est encore accentué, suite à la disparition d’au moins 35 étudiants kirghizes étudiant à Bichkek, après leur retour dans la région autonome chinoise du Xinjiang.
Une récente enquête d’opinion réalisée au Kirghizistan par une ONG américaine, International Republican Institute, a indiqué qu’un nombre écrasant de citoyens kirghizes considère la Chine comme la principale menace économique pour le pays.
Au Tadjikistan, les habitants de la région autonome de Gorno-Badakhchan (GBAR) se sont opposés, en juin 2019, à l’octroi d’une licence à la société chinoise, Kashn Sinyui Dadi Mining Investment Ltd, pour la location du gisement d’argent de Yakchilva, dans le district de Murghab.
La pandémie de coronavirus ne semble pas ralentir l’ambition chinoise d’étendre son influence dans le monde et plus particulièrement en Asie centrale. Pékin semble, au contraire, accélérer les démarches pour assurer ses intérêts stratégiques. En témoignent les récents développements en mer de Chine méridionale, où la Chine a annoncé la création de deux nouveaux districts administratifs dans la ville de Sansha et où un navire des garde-côtes chinois a heurté et coulé un bateau de pêche vietnamien au large des îles Paracel, provoquant une nouvelle vague de mécontentement.
Toutefois, même si la pandémie du Covid 19 accentue le ressentiment anti chinois, les économies locales se trouvent fragilisées par la pandémie. Raison pour laquelle les gouvernements, qui sont financièrement vulnérables à l’égard de la Chine, hésitent à s’opposer aux intérêts chinois. Et se retrouvent, donc, pris entre l’enclume de la contestation populaire et le marteau de ce néo-impérialisme chinois.