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C’était jour d’élection à Jérusalem. Un jour du proche  passé -17 septembre dernier- mais ce pourrait être un proche futur car Israël est bloqué. L’Etat hébreu ne parvient pas à se donner un gouvernement. Il a voté au printemps, revoté en ce tout début d’automne et redoute un troisième scrutin.

 

Jérusalem, un jour d’élection

12 novembre 2019 Expertises   4256  

Martine Gozlan

C’était jour d’élection à Jérusalem. Un jour du proche  passé -17 septembre dernier- mais ce pourrait être un proche futur car Israël est bloqué. L’Etat hébreu ne parvient pas à se donner un gouvernement. Il a voté au printemps, revoté en ce tout début d’automne et redoute un troisième scrutin.

Quand la neige recouvrira la ville et le rêve de l’unité impossible ? Pour le nouvel an des arbres, quand fleurit l’amandier ? Allez savoir, rabbins et libres penseurs lèvent les yeux au ciel avec la même perplexité.

Israël, que l’on décrit si souvent comme une nation qui pense, prie, décide sur le même ton, le même mode, dressée d’un même élan sur le même roc, est en réalité un fleuve aux eaux mêlées de mille alluvions. Et je le regardais s’écouler, l’autre jour, ce fleuve bigarré, vers les bureaux semés à travers la ville sainte. L’électeur marchait d’un bon pas pour accomplir son devoir de citoyen. Fatigué, bien sûr, mais vaillant : plus de 69,4% de participation, davantage qu’en avril, malgré l’exaspération que l’on sentait monter sur tous les plateaux, à tous les micros, sur tous les réseaux. Seulement, cet israélien qui fulminait contre les coupeurs de cheveux en quatre et les diviseurs de majorité en dix, n’a pas pu se refaire. Lui-même est une minorité en marche.

Il est midi au coin du boulevard Emek Refaim -la vallée des géants- et de la rue Emile Zola. L’air de ce beau quartier embaume le seringa et la laïcité. Les portraits du général Benny Gantz, le leader du parti Bleu-Blanc, tapissent les murs. Ici, on est patriote à l’ancienne, à la Ben Gourion plutôt qu’à la Netanyahou. L’alliance du Premier ministre avec les ultra-orthodoxes qui refusent d’être enrôlés dans l’armée ne passe pas. Tout le monde a ou aura un enfant au front – nord, sud, Liban, Gaza- même si le désir de paix est martelé sans cesse.

Quelques kilomètres plus loin, c’est une autre affaire. Dans les rues de Kerem Avraham, ou de Bait Vagan, quartiers anciens ou nouveaux où souffle le vent brûlant de la foi, les électeurs du Shas, le parti des gardiens sépharades de la Torah, volent vers les urnes, entre les banderoles à l’effigie du défunt grand rabbin Ovadia Yossef. Comme si son ombre les guidait d’outre-tombe pour donner au Shas le poids électoral nécessaire à la coalition avec le Likoud. Avec Netanyahou pour qui l’on prie au pied du Mur. Ce monde de bigots est vêtu de noir sous l’éclatante lumière de Jérusalem, femmes et hommes séparés bien sûr, quand vient l’heure d’acclamer leur gourou Arié Deri, encore ministre de l’intérieur.  Voici déjà trente ans, le plus grand écrivain d’Israël, le regretté Amos Oz disparu l’autre hiver, écrivait  en revenant dans le quartier de son enfance à Jérusalem, rue Tahkemoni : « Je me sens pris de claustrophobie et j’ai envie de fuir ce quartier où rien depuis deux siècles n’a changé […] C’est pour rejeter cette forme d’existence juive que se sont dressés au début du XXème siècle des écrivains et des poètes comme Bialik, Brenner, Berditchevsky… Nous n’oserions, de nos jours, renier un monde qui, depuis, a été annihilé par Hitler. Pas plus que nous ne saurions céder à un sentiment de secrète admiration devant la vitalité d’une forme de judaïsme dont la montée et l’influence croissante dans le pays menacent notre propre existence spirituelle, car elle aspire à prendre notre succession. »

Aujourd’hui, le romancier Yishaï Sarid, (Le troisième Temple, Actes Sud, février 2018),  m’explique de Tel-Aviv : « Le conflit avec les religieux est le plus grave de la société israélienne. C’est une guerre culturelle et je ne veux pas que l’avenir de mes enfants en dépende. En réalité, la majorité des Israéliens se situe au centre. Elle n’est pas extrémiste. Nous avions tous un background commun malgré nos origines diverses. Hélas Netanyahou joue les groupes les uns contre les autres… » Cerné par trois affaires de corruption, menacé d’inculpation en décembre prochain, le Premier ministre comptait sur le scrutin de septembre. Il n’y a pas eu de vainqueur. Sur sa route, il a encore trouvé Avigdor Lieberman, son ex-allié, désormais son pire ennemi.

Dans les quartiers russophones, la vodka coule à flots en l’honneur de ce costaud qui refuse l’alliance avec les ultra-orthodoxes. Mais aussi avec les citoyens arabes israéliens. Or ils constituent désormais la troisième force politique du pays. Logique puisqu’ils représentent 20% de la nation. Conscients de l’enjeu, ils ont boudé les consignes de boycott données par les ultras. Leur chef, Ayman Odeh, a tendu la main à Benny Gantz dans l’espoir de former une coalition où se retrouveraient toutes les voix d’Israël. Toutes…mais que faire des ultra-orthodoxes ? Et finalement de Gantz et de Netanyahou qui ne se veulent ni l’un ni l’autre ? Un vrai Rubik cube, cette élection. Les jours passent, le président Rivlin en appelle à l’unité nationale, les guerres font rage pas très loin, vers la Syrie, vers la tragédie kurde.

Jérusalem commence à frissonner…

* Journaliste et essayiste, rédactrice en chef à l’hebdomadaire Marianne, spécialiste de l’islamisme et du Moyen-Orient.