Les catholiques pratiquants représentent à peine 10% de l’électorat français. Il n’empêche qu’ils font l’objet de toutes les convoitises, dans la course à la présidentielle d’avril prochain. Bien qu’ils ne pèsent pas grand-chose sur le plan quantitatif, leur positionnement – à la frontière d’une droite traditionnelle qui stagne dans l’opinion, et de la droite nationale et identitaire, en forte progression – en fait un segment charnière de l’électorat autour duquel s’articuleront les rapports de forces entre les 3 candidats de la droite et de l’extrême droite. Ainsi, à moins d’une surprise venant d’une gauche plus que jamais divisée, c’est en fonction des orientations du vote catholique que se décidera qui de Valérie Pécresse, Marine Le Pen ou Éric Zemmour accèdera au second tour de la présidentielle.
Les spécificités du vote catholique pratiquant
À l’instar de l’ensemble des Français, les électeurs catholiques pratiquants se droitisent. On les retrouve à des niveaux supérieurs à la moyenne nationale sur trois des motivations dominantes du moment chez l’ensemble des Français, qui sont politiquement marquées à droite : 77% des catholiques pratiquants (contre 73% des Français) sont motivés par la lutte contre l’insécurité et la délinquance ; 76% (contre 69% des Français) par la lutte contre le terrorisme ; 64% (contre 56% des Français) par la lutte contre l’immigration clandestine.
En revanche, les électeurs catholiques sont moins motivés par trois autres thématiques prédominantes chez l’ensemble des Français, qui sont politiquement marquées à gauche : 61% seulement des électeurs catholiques (contre 70% des Français) sont motivés par le relèvement des salaires et du pouvoir d’achat ; 49% (contre 51% des Français) s’intéressent à la protection de l’environnement et à la lutte contre le dérèglement climatique ; 44% (contre 48% des Français) sont mobilisés pour la défense de la laïcité.
À cette tendance conservatrice, liée à la droitisation globale de l’électorat français, s’additionnent des facteurs spécifiques aux catholiques pratiquants. Ceux-ci se traduisent par une exacerbation des phobies identitaires. Ainsi, 50% des catholiques (59% des pratiquants réguliers / 43% des occasionnels) considèrent la défense de la famille traditionnelle comme un facteur déterminant de leur vote. Pis encore, 61% des catholiques (74% des pratiquants réguliers / 51% des occasionnels) placent la défense de la culture et des racines chrétiennes de la France à des niveaux plus hauts que la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations (46%) ou la lutte contre les replis communautaires et identitaires (43%).
Cette recrudescence des phobies identitaires trouve ses racines dans les traumatismes subis lors de certaines attaques terroristes, comme l’égorgement Père Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray, ou l’attentat de la Basilique de Nice. Elle est aussi nourrie à dessein, comme l’explique Jérôme Fourquet (Lire page 8), par la ‘‘fibre civilisationnelle’’ des Chrétiens d’Orient, utilisée par certains candidats pour envoyer un message subliminal aux catholiques français, en suggérant que le sort des Chrétiens d’Orient serait une onde de préfiguration de ce qui pourrait leur arriver en France dans le cadre d’un conflit de civilisation !
Non, Zemmour n’est pas plébiscité par les Catholiques !
Malgré les efforts considérables qu’il déploie depuis des mois pour séduire les catholiques pratiquants (voyage sur-médiatisé en Arménie, théâtralisation surjouée de l’installation d’une crèche à Noël, défense acharnée des valeurs traditionnelles et de l’identité catholique de la France…), Éric Zemmour n’a pas obtenu la percée fulgurante qu’il espérait au sein de l’électorat catholique : le polémiste n’en a séduit que 15% !
Un modeste score qui s’explique par le choc provoqué par certaines de ses outrances sur Pétain et d’autres épisodes sombres de l’Histoire de France, mais surtout sur les migrants qu’il rejette et stigmatise, alors que le pape Françoisrecommande d’adopter à leur l’égard des « comportements d’humanité et de générosité ».
La Conférence des évêques de France a même édité, début janvier, un livret intitulé L’espérance ne déçoit pas (Lire page 10), mettant en garde les électeurs catholiques contre « la peur [qui] est toujours mauvaise conseillère », leur recommandant de « veiller à ce que personne ne prenne son parti des drames humanitaires qui se produisent constamment sous nos yeux ou à quelques encablures de nos côtes ».
Autre fait important, chez les catholiques, comme pour l’ensemble des Français, l’électorat Zemmour a le même profil : majoritairement masculin, actif, de 35 à 49 ans, appartenant aux catégories socio-professionnelles supérieures. Or, ce profil est loin d’être majoritaire chez les catholiques pratiquants !
Macron-Pécresse : un duel par procuration
Emmanuel Macron et Valérie Pécresse sont au coude-à-coude chez les électeurs catholiques pratiquants. Ils comptabilisent chacun un quart de cet électorat, avec un bonus pour Pécresse (26%) chez les pratiquants réguliers, qui sont plus conservateurs, et pour Macron chez les pratiquants occasionnels (28%), davantage sensibles aux idées libérales.
Cette égalité en trompe-l’œil résulte, en réalité, d’une nette décote de la candidate de la droite traditionnelle au sein de l’électorat catholique. Elle est, pour l’essentiel, un dommage collatéral de l’émergence du phénomène Zemmour : Pécresse recueille 25% des votes catholiques, contre 46% pour le candidat LR, François Fillon, en 2017. Soit un recul de 21%. Or, 15% de ces voix perdues par la candidate LR sont captés par Zemmour. Quand Emmanuel Macron (19% au premier tour en 2017) ne progresse que de 6% et Marine Le Pen (15% en 2017) n’obtient que 3% de plus.
Raison pour laquelle, pour faire bouger les lignes entre Macron et Pécresse, les captations directes de voix catholiques ne seront pas si déterminantes. Il s’agira plutôt d’un duel par procuration, arbitré par la droite nationale et/ou identitaire.
Deux cas de figure à la clé : Si Pécresse résiste aux assauts de Zemmour et Le Pen sur son électorat catholique, elle sera en mesure d’accéder au second tour, pour peu qu’elle parvienne à rassembler davantage au centre-droit.
Par contre, si la candidate LR ne parvient pas à stopper le siphonnage de ses voix catholiques par la droite nationale et / ou identitaire, s’enclenchera alors une ‘‘logique baissière’’. Celle-ci ne se limitera pas à l’accentuation du détournement de franges conservatrices de l’électorat catholique de la droite traditionnelle au profit de la droite nationale et / ou identitaire. Elle donnera également naissance à une logique de vote utile au profit de Macron parmi les soutiens catholiques actuels de Pécresse.