« Qu’est-ce qu’un fanatique, disait Churchill : une personne qui ne veut jamais changer d’avis ni changer de sujet. » Les massacres qui se sont récemment déroulés dans le Caucase nous renvoient à ce fanatisme vieux de plus d’un siècle : le génocide des Arméniens en 1915.
C’est avec ce passé atroce que renoue Recep Tayyip Erdogan, le tyran islamiste, en appuyant les Azéris -avec force miliciens djihadistes- dans les combats du Haut-Karabakh, une région peuplée à 99% d’Arméniens. La moitié de la population est déplacée, fugitive, errante. Comme voici 105 ans, elle va d’un coin d’enfer au suivant.
Cette figure de l’Arménien errant et voué au massacre, ce fut le thème d’un écrivain juif autrichien visionnaire, Franz Werfel. Dans un livre prémonitoire -« Les 40 jours du Mousa Dagh »- publié en 1933, l’année de l’arrivée d’Hitler au pouvoir, Werfel lit en transparence à travers le génocide arménien ce qui attendait les juifs. Il décrit l’épopée d’une poignée de villageois qui fuient la déportation en gagnant la montagne : le « Musa Dagh », ce Mont Moïse situé au nord-ouest de la Syrie. L’empire ottoman s’écroulait. Dans le sillage de cet effondrement et la puanteur des propagandes, le régime invente la fable de l’ennemi intérieur. Il programme la liquidation de tout un peuple. Ce fut le premier génocide du XXème siècle : un million et demi de morts. Fusillés, pendus, poignardés ou agonisant de soif et de faim dans le désert vers lequel ils étaient contraints de marcher. « Comment Franz Werfel connaissait-il le mécanisme et le vocabulaire de l’holocauste avant l’holocauste ? » s’interrogeait Elie Wiesel, en découvrant le livre à son retour d’Auschwitz. Dans les 900 pages de ce récit magistral (Livre de poche), on redécouvre en effet l’immense solitude d’un peuple abandonné de tous en dépit des protestations formelles des protecteurs habituels des Arméniens. N’est-ce pas le cas aujourd’hui ? En septembre 1905, cependant, la marine française finit par accoster au pied du Musa Dagh et par évacuer les survivants. Il existe des images de ce sauvetage. On songe, en les regardant sur Internet, à l’hypocrisie européenne actuelle qui n’ose affirmer sa défense des chrétiens : les Arméniens massacrés au Haut-Karabakh comme hier les Coptes en Egypte, les « Nazaréens » de Mossoul et autres terres irakiennes du calvaire des populations vouées au couteau des djihadistes. Ces mêmes égorgeurs qui reprennent du service dans le Caucase, enrôlés par Erdogan. L’un des héros de Franz Werfel et du Musa Dagh est abattu par une balle turque, en serrant une croix sur son cœur. Alors, en 2020, une croix de plus sur les Arméniens ?
Leur supplice recommencé préfigure ce qui nous attend, comme Werfel l’avait pressenti en 1933 pour son époque, si, à l’égard d’Erdogan, persistent les semi-reproches, l’entière lâcheté, et l’absence de vision réelle du danger. Malgré les preuves qui s’accumulent. Car enfin, le dictateur a embastillé l’intégralité des journalistes soupçonnés d’émettre la moindre critique. Il se trouve pourtant encore sur la scène médiatique des idiot(e)s utiles pour excuser sa légèreté !
Ce va-t-en guerre affronte en Méditerranée un pays membre de l’Otan, la Grèce, et multiplie menaces et insultes vis à vis du président d’un autre pays membre, la France. Ses imprécations contre Emmanuel Macron relèvent en effet directement du vocabulaire d’un prêcheur islamiste. Et pourtant Erdogan est toujours membre de l’OTAN !
Ce Frère musulman arrache à la basilique Sainte-Sophie le statut de musée dont la dota Ataturk en 1934 pour apaiser les deux âmes, la chrétienne et la musulmane, qui fondaient une nation réconciliée. La première prière est psalmodiée par le tyran et sa cour, entre les mosaïques chrétiennes ancestrales que l’on a pris soin de recouvrir pour ne pas heurter les convictions ombrageuses des croyants. Une autre église vient d’être transformée à son tour en mosquée et l’agenda complet des futures conversions d’édifices est examiné au Palais blanc d’Ankara, la résidence néo-stalinienne d’Erdogan.
Ce dangereux « Islam pour tous », et bien sûr pour ceux qui n’en sont pas, annonçait aussi l’intervention dans le Caucase. Et pourtant on n’a rien vu venir ! On s’est contenté de confesser sa désolation inutile sans oser appeler par son nom et son histoire l’idéologie qui anime le liquidateur des Kurdes, le massacreur des Arméniens, le négationniste du génocide, le parrain et le financier des djihadistes.
Erdogan, vrai danger intérieur pour nos démocraties, avec la puissance de ses lobbies, est la tête de pont de l’islamo-fascisme.
* Journaliste et essayiste, rédactrice en chef à l’hebdomadaire Marianne, spécialiste de l’islamisme et du Moyen-Orient.